Que le peuple algérien, pour sa part massive, applaudit dès qu’un dictateur passe, ce n’est pas nouveau. Il s’agit d’un réflexe, d’un toc, qui est incurable. Mais que des démocrates algériens soutiennent avec force et conviction un despote comme Poutine, c’est incompréhensible autant que coupable.
Ce qui est le plus perturbant pour moi est que je crois en la sincérité de la pensée démocratique pour de nombreux d’entre eux. Mais dès qu’il s’agit d’un despote à l’étranger, ils sont frappés d’une convulsion irrépressible.
C’est risible, surtout de la part de ceux qui ont hurlé massivement dans la rue leur demande de démocratie, bruyamment, chaque vendredi pendant deux ans.
Étonnant que ces démocrates puissent soutenir sans réserve toutes les dictatures de cette terre. Dès qu’il y en a une qui apparait dans l’actualité, ils sont attirés comme par un aimant et foncent, tête baissée, vers le soutien le plus appuyé. Toujours d’une manière instinctive alors qu’ils venaient à peine d’exprimer leur opposition au régime algérien pour le même autoritarisme.
Quelle est la cause de ce mystérieux phénomène ?
L’une d’entre elles est exprimée par cette vieille expression « l’ennemi de mes ennemis est mon ami ». Où que le despote soit dans le monde, quel que soit son autoritarisme féroce, ils lui manifestent un soutien aveugle dès lors qu’il condamne l’occident.
C’est une attitude qui ne me surprend pas seulement, elle me déconcerte. Les raisons pour lesquelles ils manifestent leur opposition en Algérie sont pourtant de la même nature, parfois mille fois plus autoritaires.
J’ai souvent rédigé des articles en fustigeant la réaction de certains qui vous parlent continuellement de l’occident décadent, libéral et néocolonialiste. Vous leur parleriez du problème de la pomme de terre en Patagonie septentrionale qu’ils réagiraient en accusant l’Oncle Sam.
Curieux phénomène qui hante ces démocrates qui trouvent prétexte en leur haine viscérale de l’occident pour cacher leur incapacité à lutter contre la dictature intérieure. C’est un comportement très connu dans la psyché de l’être humain « Eviter d’accuser l’un en invoquant les turpitudes de l’autre ». Aucune attitude de responsabilité et de courage à affronter la réalité de leur sentiment.
Résumons les faits objectifs
Il faut être d’une mauvaise foi infinie pour démentir leur réalité. Voilà un pays qui invoque un délit pour celui qui ose prononcer le mot « guerre » au lieu de celui « d’opération spéciale ». Voilà un pays qui emprisonne les opposants politiques pour des décennies, voir les exécute, juste sur le fondement d’avoir exprimé leurs opinions.
Voilà un pays dont les opposants sont frappés d’une mort subite par ingérence d’un produit toxique. C’est curieux, ils ont tous le même régime alimentaire.
Voilà un pays qui compte un nombre incroyable d’opposants qui sont si maladroits qu’ils trouvent la mort en descendant d’un escalier ou en chutant d’une fenêtre.
Voilà un pays où la presse est contrôlée et muselée jusqu’au moindre mot. C’est tout à fait réel que cette explosion de medias d’opposition qui fuient hors des frontières d’un pays auquel ils sont si attachés.
Voilà un pays qui n’arrive jamais à trouver l’assassin d’un opposant alors qu’il retrouve dans les heures qui suivent une personne qui aurait commis un attentat ou un acte d’espionnage pour le compte supposé d’un pays étranger. Je suis fasciné par la capacité variable des services d’enquête russes.
Voilà un pays dont le PIB national est inférieur à celui de l’Italie et dont une très grande partie de la population est dans la limite de la subsistance quotidienne (la très vaste Russie n’est pas seulement Moscou ou Saint Petersburg). Pourtant cette population accepte majoritairement la corruption et la création d’un clan d’archi-milliardaires, hommes du cercle de Poutine.
Ces démocrates algériens ne cessent de condamner la corruption et l’enrichissement insolent de certains alors qu’ils ferment les yeux sur l’énormité du pillage organisé par Poutine depuis son arrivée au pouvoir.
Voilà un pays qui prône un nationalisme farouche et une adhésion supposée massive aux valeurs ancestrales et prétend que la jeunesse est prête à sacrifier sa vie pour la patrie. Cette jeunesse adhère si fortement à ces valeurs qu’elle a fui pour éviter le recrutement militaire qui l’aurait envoyée vers le front. C’est surprenant pour un peuple qui dit vouloir mourir pour contrer les « nazis ukrainiens ».
Et je ne peux continuer à résumer les faits objectifs que de trop nombreux démocrates algériens refusent de voir.
Le fantasme de Poutine, la restauration de l’Empire
Il n’y a aucune raison de nier ce que Poutine a écrit et a dit durant de très nombreuses années et qu’on résume par une phrase adressée à un jeune garçon lors d’une séquence de communication télévisée, « Les frontières de la Russie s’étendent là où il y a des Russes ».
Il est pétri et obnubilé par l’histoire de la Russie. Son seul langage est une rhétorique sur la glorification du passé, celui de l’Empire russe du temps des tsars. Un discours tout à fait identifiant d’un despote qui l’utilise toujours pour créer une ferveur nationale autour de lui par la théorie de « l’ennemi extérieur » qui menacerait la nation et serait la cause du déclin du pays.
Là aussi, les démocrates algériens dont je parle refusent de faire le lien avec le discours du pouvoir sur la noble nation irriguée du sang des chouhadas et de sa lutte contre le néocolonialisme.
Aucun d’entre eux ne semble être au courant que Poutine fut un officier du KGB. Ces mêmes démocrates nous rappellent tous les jours l’emprise de ce qu’ils appellent pudiquement « les services ». Ont-ils oublié la sinistre « sécurité militaire » du temps de Boumédiene, celle qu’ils n’ont cessé de condamner ?
Ces démocrates, la plupart étant des francophones, n’ont plus le souvenir du désastre de l’arabisation forcée au nom du retour aux racines supposées de la nation algérienne.
Ils sont pris d’une crise d’Alzheimer dès qu’on leur parle d’une dictature étrangère qui fait face à l’occident.
Je ne suis pas médecin, je ne peux rien pour eux sinon attendre leur réveil pour les mettre au courant de la crise soudaine.
Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant retraité