Au cœur de Biskra, aux confins du Sahara, l’Hôtel AN, anciennement Transatlantique, se dresse tel un témoin intemporel d’une époque révolue et pourtant toujours vivante.
Construit entre 1907 et 1912 sous la main de l’ingénieur Georges Guéchin, ce joyau d’architecture conjugue avec grâce l’élégance classique européenne et la finesse des arabesques néo-mauresques, symboles d’une terre où s’entremêlent l’Orient et l’Occident, la tradition et la modernité.
Mais plus qu’un simple hôtel, le Transatlantique est un carrefour d’histoires et de mémoires, un creuset où se sont croisées les trajectoires d’hommes et de femmes qui, chacun à leur manière, ont marqué la culture, la pensée et les combats du XXe siècle.
Dans ces murs ont séjourné André Gide, écrivain en quête de lumière et de sens, dont la plume trouva dans la lumière crue du désert une source d’inspiration profonde. La chambre où il posa ses valises fut un refuge, un havre où le silence du Sahara invitait à la méditation.
Le peintre Étienne Dinet, fasciné par la beauté brute et les visages authentiques du Sud algérien, transforma ses séjours en un atelier vivant, faisant de l’hôtel un écrin où la couleur devint chant, exaltation et respect.
Les frères Lumière, pionniers de la cinématographie, y passèrent la nuit, emportant dans leurs valises la magie des images animées qui allaient révolutionner le regard sur le monde. Leurs séjours au Transatlantique introduisirent dans cette ville saharienne les premières émotions visuelles du cinéma naissant.
Le compositeur et ethnomusicologue Béla Bartók, voyageur infatigable, y trouva l’écho des rythmes ancestraux, des mélodies oubliées, ouvrant la voie à une musique universelle, tissant un pont entre traditions orientales et innovations occidentales.
La légende, douce et mystérieuse, rapporte que la reine Élisabeth II, incarnation d’une monarchie séculaire, fit halte ici, symbole discret d’une rencontre silencieuse entre deux mondes, sous la voûte étoilée du désert.
Enfin, le leader révolutionnaire Ho Chi Minh, âme indomptable des luttes pour la liberté, aurait trouvé en ce lieu un souffle pour sa quête, un lien secret entre les combats qui traversent les continents.
Pour ma part, j’ai eu l’honneur de passer trois nuits dans la chambre 206, celle du poète Moufdi Zakaria, auteur des vers vibrants qui rythment aujourd’hui notre hymne national. Là, dans la pénombre délicate, chaque souffle du vent semblait porter les échos des combats, des rêves, des espoirs. Le temps suspendu, la lumière tamisée, invitaient à une plongée intérieure, dans la mémoire vivante d’une terre façonnée par la poésie et la résistance.
Dans les couloirs silencieux, les portraits des illustres hôtes ornent les murs, et leurs regards, figés mais pleins de vie, traversent les âges pour ouvrir un dialogue silencieux. Ils chuchotent, dans un murmure chargé d’émotion : « Bienvenue parmi nous. »
La terrasse, enfin, offre un écrin de paix. Là, sous un ciel infini, j’ai partagé des soirées de calme absolu avec un compatriote venu de Kabylie. Le souffle chaud du désert mêlait nos paroles, tissant un lien invisible entre passé et présent, entre frères d’âme et de terre.
L’Hôtel AN n’est pas qu’un lieu d’hébergement. C’est un sanctuaire vivant, un espace où se mêlent les ombres et les lumières d’un passé qui continue d’écrire notre présent, au rythme éternel des étoiles sahariennes.
Djamal Guettala