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« Houaria », un autre roman de l’impasse

Houaria

Tout a commencé par une furie enclenchée par un des candidas du prix littéraire Assia Djebar dans sa 7e édition, dont le texte n’a pas été retenu.

Le malheureux n’a pas trouvé mieux que de se tourner vers deux universitaires connus pour leur tumulte « islamo-fasciste » afin de mettre toute une machine idéologique en branle et ce en plein campagne présidentielle.

En ce temps estival, un temps bien mort une polémique s’est annoncée du plus profond de l’Éros de deux représentants de cette société algérienne qui a renoué avec l’eschatologie et l’exorcisme islamiques. Trois pages du roman de Mme Inaâm Bayoud ont suffi pour qu’une conjuration s’instaure contre le choix d’un jury et atteindre l’irritation de toute une population qui ne lit que les livres « jaunes » de cette autre littérature magico-religieuse.

Pourtant Haouarya est un roman qui a été mis en vente en 2023 et personne n’avait osé dire ou parler d’écriture de l’obscénité ou de dévalorisation morale ?

Au delà de la défense et de l’illustration d’une œuvre de fiction ou d’un genre littéraire qui n’engage que son auteur, il est nécessaire de préciser que Mme Bayoud est née à Damas, d’un père Algérien et d’une mère syrienne d’origine Tcherkesse avec toute les souffrances que l’on emporte en soi que cette communauté avait endurée durant des siècles. Diplômée de l’Université de Damas, Inaâm Bayoud prépara à Alger une licence en traduction simultanée français-anglais-arabe, puis un magister et enfin un doctorat d’État dans l’enseignement et l’évaluation de la traduction. Poétesse, romancière, peintre et traductrice, Inaâm Bayoud publia en 2002, Lettres non encore envoyés, recueil de poèmes chez Barzakh, Le poisson ne s’en souvient pas, Al-Faraby, Beyrouth, 2003 roman qui a reçu le Prix Malek Haddad. Elle traduira entre autre La Fascination de Boudjedra (2000) et L’écrivain de Yasmina Khadra (2004).

D’enseignante universitaire au département de traduction à directrice de l’Institut supérieur de la traduction arabe, affilé à la Ligue arabe, Mme Bayoud avait, en juin 2014, participé à Beyrouth à un forum organisé par le Carnegie Middle-East Center sous la présidence de Fouad Senioura, l’ex-Premier ministre libanais. Dans l’un des ateliers du forum, modéré par le philosophe syrien, Tayeb Tijini, sur les questions du développement culturelle des pays de la région, Mme Bayoud soutenait, pourtant, le rôle de la jeunesse dans la réalisation d’une société pluraliste tout comme le rôle de l’enseignement de la religion dans la réforme du système éducatif qu’elle considère comme facteurs au développement.

Nous ne parlons pas d’une illustre inconnue, mais bien d’une femme intellectuelle qui n’oserait nager dans une eau trouble à la recherche d’une quelconque célébrité. Mais le roman qu’elle lança à la face de ses détracteurs est à méditer. Passant de la ville de Tlemcen et la famille Nour, dans son premier roman, aux bas-fonds de Sidi-Chahmi d’Oran, l’écrivaine tente de nous interroger sur nous-mêmes avec une certaine maladresse qui incombe à sa narratrice.

L’auteure quant à elle, n’ignore pas que dès que nous illustrons des dires et des faires de la quotidienneté sociale, nous ne parlons plus d’un lumpen proletariat sans-voix, mais d’une image crue que nous reproduisons telle quelle sans vouloir l’interpréter ni la dénoncer. Avec la transcription de quelques obscénités dans le texte en désignant des lieux géographiquement repérables, il n’y a plus de place à la fiction ou à un quelconque esthétisme, mais plutôt à l’excitation ou encore à l’incitation dans une société semi-féodale en perte d’identité.

Peut-on apprécier le roman de Bayoud pour le fait d’avoir tenté d’improviser une narration arabe en introduisant la darija oranaise comme langue ayant sa propre grammaticalité très proche de celle de la sacralité ou veut-on initié un genre littéraire qui manquait à notre histoire littéraire qui est déjà en mal de nomenclature ?

Des questions qui n’illustrent pas entièrement la teneur de l’œuvre primée. Deux membres du jury, à savoir le président et un universitaire d’Alger, n’’ont pas trop apprécié le vote de la majorité. Mais ils se réservaient d’évoquer tout propos ou avis contraires en laissant toute la liberté d’opinions aux seuls lecteurs.

Si vous souhaitez activer vos fantasmes sexuels, il vous suffit de choisir un roman érotique passionnant et de le lire au lit, notait l’écrivaine canadienne Victoria Brooks. Manque-t-on de pulsions en Algérie pour que s’abreuver des tentations de « Houaria » et de ses complices ? L’assaisonnement que nous offre Houaria dépasse de loin la seule réalité de nos quartiers et leurs habitants, et que l’islamisme n’est pas un phénomène politique issu des boîtes de nuits ou de chambres de tolérances.

Sur les 213 pages de textes, les 15 personnages dont 10 femmes, 4 hommes et l’âne Abbach, évoluent dans des situations sociales et politiques qui ne traversent que des lieux de débauches avec de sulfureux ingrédients.

Roman érotique ou polar historique ? Ni l’un ni l’autre, mais bien un étalage maladroit qui nous éloigne de cette grande littérature qui des Mille et Une nuits à Saadi Youcef, en passant Chrétien de Troyes, Diderot dans Jacques le fataliste, Baudelaire, Abdul Muti Hidjazi et bien d’autres où l’on est dans une écriture philosophique du désir sexuel en totale contradiction avec la distribution de rôles comme au cinéma, d’une décharge publique d’expression que nous écoutons dans les rues de nos villes en mal de civilité et d’espaces d’expressions.

Tout comme le médecin-militant Hachemi, n’est pas un « communiste de débauche », comme le présente la narratrice le long des 37 pages qui lui sont consacrés. Les patriotes de la lutte anti-terroriste, communistes soient-ils, ne sont pas à mettre au même pied d’égalité avec les 5000 mercenaires de plus de 12 nationalités qui, à Aïn-Défla en 1995, allaient raser tout un pays de la carte.

Il est certainement intéressant d’écrire une fiction, subdiviser en nombre des 28 lettres de l’alphabet de l’arabe et de travailler sur la 25e lettre, le ha, pour nommer ses personnages, mais il est bien pitoyable de vouloir tenter de désacraliser une langue qui ne fait que drainer avec elle des siècles d’exploitations sociales et culturelles dont l’auteure est un produit presque fini.  

Mohamed-Karim Assouane, universitaire

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