Hugues Robert vient de nous surprendre avec un beau livre témoignage « Le Journal d’un pacificateur » chez les éditions Max Milo. Ce livre raconte une période douloureuse de la colonisation française en Algérie. Hugues Robert nous livre dans ce livre poignant et déchirant, « Le Journal d’un pacificateur », l’histoire de son père Jean-Marie Robert décédé en 1991, sous-préfet pendant la guerre d’Algérie, entre 1959 et 1962 et préfet de Maine-et-Loire entre 1975 et 1982.
Jean-Marie Robert, fut sous-préfet d’Akbou, de la vallée de la Soummam, en Kabylie de 1959 à 1962, il fut l’un des premiers hommes d’État à tirer la sonnette d’alarme sur les exactions de l’armée française pendant la guerre d’Algérie.
Jean-Marie Robert a essayé d’apporter plus de justice et de droits malgré un contexte sanglant où la lutte armée faisait rage, luttant contre vents et marrées contre certains généraux.
Jean-Marie Robert, ce haut fonctionnaire, continua à agir dans l’ombre pour venir en aide aux familles de harkis, abandonnées en Algérie ou parquées dans les camps insalubres de Rivesaltes et du Larzac. Il fut le premier à s’élever contre le triste et tragique sort réservé aux harkis.
Hugues Robert nous offre un pan d’histoire à travers moult documents et des centaines de lettres laissés par son père Jean-Marie Robert.
Invité par l’écrivain Youcef Zirem au café littéraire parisien de l’Impondérable, Huges Robert a ému l’assistance par un langage du cœur et des messages d’amour, quand il évoque son enfance à Akbou, il était assis à côté de Tarik Mira, fils du colonel Abderrahmane Mira, surnommé le Tigre de la Soummam par l’armée française, qui fut chef de la Wilaya VI de 1956 à 1957, puis de la Wilaya III du début 1959 au 6 novembre 1959 date à laquelle il est tué lors d’un combat près du col de Chellata au nord d’Akbou; dont le corps ne fut jamais retrouvé.
Hugues Robert a souligné l’humanisme de son père qui a toujours œuvré pour plus de justice durant toute sa vie, il a également apporté des éclairages qui laissent entrevoir de l’espoir et un rapprochement entre les deux rives.
« Le Journal d’un pacificateur » est un livre très documenté qui est le bienvenu pour enrichir l’histoire et s’offrir aux chercheurs, aux universitaires, en quête de savoir et de vérité. Son écriture limpide le met à portée de tous.
Le Matin d’Algérie : Vous êtes journaliste, écrivain, mais vous avez aussi eu d’autres métiers, qui est Hugues Robert ?
Hugues Robert : À vrai dire, et je l’ai compris beaucoup plus tard, si j ‘ai eu plusieurs métiers, agent de train à la SNCF, menuisier-charpentier, rénovateur de l ‘habitat ancien, Imprimeur, Agent de Voyage, Éducateur d’enfants, éditeur, journaliste, c‘est pour réparer mon enfance dans la guerre, et revisiter inconsciemment mon enfance au Maroc et en Algérie. Mes plus belles années et les plus terribles furent celles de 59 à 62 en Algérie, à Akbou. Le 19 mars 1962, je croyais, avec mes 8 ans, qu’on allait enfin vivre libre et égaux en Algérie. C’était mon rêve ! Déjà je ne supportais pas l‘injustice et la misère que vivaient mes frères et sœurs algériens. J ‘ai été élevé par mes parents dans l ‘horreur de l ‘injustice et du mensonge.
Le Matin d’Algérie : Comment est née cette passion pour l’écriture ?
Hugues Robert : C ‘est le silence de notre enfance qui a nourri mon désir d’écriture. L‘injustice visible et pourtant qu‘on taisait ! Chaque fois qu’on parlait de l ‘Algérie, j ‘avais des larmes silencieuses et amers qui coulaient sur mes joues. Le silence tue, et mes premiers écrits d’adolescent furent des écrits militants contre la peine de mort, la guerre du Vietnam, le coup d’état militaire du Chili, les assassinats de Franco. Cela résonnait avec mon enfance algérienne, la guerre et mes camarades musulmans.
Le Matin d’Algérie : Vous venez de nous surprendre par la publication de votre livre témoignage sur un pan d’histoire crucial entre l’Algérie et la France « Le Journal d’un pacificateur », racontez-nous ?
Hugues Robert : Oh, je ne connaissais pas mon père, et comme il était dur avec nous, je pensais qu’il avait été dur avec les Algériens. C’était tout le contraire. Je l‘avais compris en venant à Akbou dans les années 1990, en rencontrant des gens du FLN, et beaucoup d’autres qui m‘avaient dit que mon père était « un vrai ami de tous les Algériens, » et des Kabyles de la vallée de la Soummam.
Et en ouvrant ses archives en 2017, lors de ma retraite j‘ai découvert, qu’il était un partisan de l‘Algérie algérienne, et qu’il a été effrayé de la guerre que nous menions. La torture, les camps de regroupement, et il écrivit à l‘Élysée pour dire que « jamais les Algériens ne pourraient pardonner à la France ce qu’avaient fait les militaires et ce qu’avait laissé faire l‘administration ». Il réclamait des vivres, des couvertures, des crédits pour reconstruire les villages et maisons détruites, 6667 dans son arrondissement… et plus de 10.000 morts… Il fut meurtri, de ces crimes contre la population civile.
Et il essaya non seulement de panser les plaies, mais surtout de préparer l’indépendance de l ‘Algérie, avec des gens comme Hocine Maloum, le maire d’Akbou qu’il savait contribuer financièrement au FLN, car pour lui comme pour eux, c’était le FLN et de Gaulle qui pouvaient rendre à l ‘Algérie son indépendance.
Jean-Marie Robert fut également meurtri des vengeances, et de l’assassinat de Hocine Maloum et des représailles inutiles contre les dits « harkis ». Après 132 ans de colonisation, pour lui, il fallait savoir pardonner et réparer. « La pire de nos guerres ! » écrivait-il…et il a eu jusqu’à sa mort, un amour et un respect incroyable, pour le peuple algérien et les kabyles de la vallée de la Soummam.
Le Matin d’Algérie : Je dirais que c’est un livre courageux, et cet hommage à votre père est d’une dextérité inouïe, malgré une période écorchée, qu’on croirait dépourvue d’amour, vous réussissez à captiver le lecteur, à le retenir, à ouvrir son esprit et son cœur, les choses aurait pu évoluer autrement n’est-ce pas ?
Hugues Robert : Oui, si les Français, les Européens avaient écouté d’abord l ‘émir Abdelkader, le Cheikh El Haddad, Ferhat Abbas et d’autres qui prônaient la sagesse. Mais voilà l‘Europe se battait entre eux pour coloniser le monde, et la guerre d’Algérie qui a commencé en 1830, et non le 1er Novembre 54… Après la guerre de conquête des Bugeaud, la guerre de domination des Jules Ferry, il a fallu la guerre de libération du FLN…Il n‘y a pas de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
Mon seul regret, c’est qu’on n‘ait pas appliqué les principes du congrès de la Soummam, de 1956 : l’intérieur qui prime sur l‘extérieur et le civil sur le militaire…et que les Européens d’Algérie, menés par les grands propriétaires et les faucons n‘aient pas compris que sans égalité, il ne peut y avoir de liberté et de fraternité.
La colonisation est un non-sens politique et un crime contre l’humanité. Quand on va chez quelqu’un, c’est parce qu’on est invité, et non pas pour casser sa porte, voler ses terres, et violer sa conscience.
Le Matin d’Algérie : Votre père s’est élevé contre les injustices, contre le sort des harkis abandonnés des deux rives, ils étaient plus de 200 000 supplétifs engagés dans l’armée française entre 1954 et 1962. L’article 2 des accords d’Évian les protégeait, (1) « nul ne [puisse] être inquiété, recherché, poursuivi, condamné (…) en raison d’actes commis en relation avec les événements politiques survenus en Algérie avant le jour de la proclamation du cessez-le-feu » (déclaration des garanties). Ou « à interdire tout recours aux actes de violence collective et individuelle », s’ensuivit une débâcle, pourquoi d’après vous ?
Hugues Robert : Ancien moine à Cîteaux, c’était un humaniste qui a fait traduire des militaires français tortionnaires devant la justice, dénoncé les camps « concentrationnaires » de regroupement et les bidonvilles dits « villages nègres », et s ‘est insurgé contre l‘abandon et les représailles contre les dits « harkis »
Des deux côtés de la Méditerranée, si on n‘a rien compris, ou on n‘a rien voulu comprendre aux problèmes des harkis… c ‘est parce qu’on a voulu minimiser la terrible colonisation de 132 ans, la responsabilité première et totale des dirigeants français… de Bugeaud, mais aussi de 1871 et les deux guerres mondiales de 14/18, la guerre de 39/45…. L‘Algérie c’était la France, comme disaient les colons, et même des départements français, avant ceux de la Savoie et de la Haute Savoie, qui ont pu tromper beaucoup de monde. Et puis je connais beaucoup de familles algériennes qui ont donné un fils à la France pour survivre, et plusieurs à la Révolution et à la Résistance pour la dignité et l‘honneur. S’il y a eu quelques salauds, il fallait juger juste ceux-là… Beaucoup de ceux qui ont été assassinés ou emprisonnés étaient restés pour construire l‘Algérie algérienne. L’Algérie s’est privée de forces vives nécessaires à sa reconstruction après cette abominable guerre. Mais le peuple algérien le sait et le comprend. Seuls les politiciens entretiennent les ambiguïtés et la division, là où il faudrait réunir et construire.
Le Matin d’Algérie : Il y a malgré tout une histoire d’amour entre l’Algérie et la France malgré un passé torturé, votre livre « Le Journal d’un pacificateur » laisse apparaître des éclaircies pour un avenir meilleur, qu’en pensez-vous ?
Hugues Robert : C’est vrai, nous avons un passé commun, même s’il est douloureux, mais I have a dream, demander pardon au peuple algérien, même si je ne suis pas responsable de ceux qu’ont fait mes aïeux ; et puis pouvoir partager mes parties de billes ou de dominos avec mes copains d’école, à l’école Mouloud-Feraoun d’Akbou, manger un bon couscous et rire…
Dans mon prochain livre, un roman réalité «Le rire du chacal » je finis ainsi alors que je suis dans un camp avec des amis algériens (fils du FLN, du MNA, Harkis, sans parti pris, émigrés etc…), et qu’une grive m ‘interpelle :
« Piaou, Piaou… Piaou, Piaou ! Hugo Intrigué appelle ses amis, en mettant son doigt sur la bouche, « Chut ! Chut Suivez-moi ! ». Il avait compris. Et ils le suivirent, et les Piaou, Piaou, Tics, Tics, les amenèrent tout près, dans une clairière, éclairée par la lune. Là, stupéfaction : une tribu de petits animaux aux reflets roux ou gris argenté, jouait, riait. Des petits loups ? Ou bien des chiens ? Non des chacals. Ils caquetaient et semblaient rires comme des humains. On lui avait dit, enfant, que lorsqu’il n’entendait plus le hululement des chacals, c’est qu’ils n ‘avaient plus peur, et s’il entendait, leur glapissement, sorte de caquètement, c’est qu’ils étaient dans la paix et la joie. Ils jouaient et riaient comme des enfants qui ont retrouvé l‘espoir. »
Et oui je crois à cette paix et à cette réconciliation entre nos deux peuples. Et que de temps perdu.
Le Matin d’Algérie : Quel regard portez-vous sur l’Algérie d’aujourd’hui ?
Hugues Robert : Un regard d’espoir, justement, car le 8 mars 2019, j‘étais à Alger. Place Maurice Audin. Une femme algérienne est venue vers moi. « Vous êtes Français ? » « Non je suis d’Akbou ! », lui ai-je répondu avec un grand sourire complice. « Permettez-moi que je vous embrasse, me dit-elle en ajoutant : « vous savez monsieur… En 1962 on a libéré nos terres, en 2019 on libère nos cœurs et nos esprits. »
Je ne peux avoir que confiance en un peuple qui chasse la France sans animosité, et en m’accueillant comme il m’a accueilli : « Tu es ici, chez toi! »
La jeunesse est la force de ce pays et je crois qu’elle ne se fera pas manipulée par les passions tristes et la haine recuite. Dommage que les politiciens d’un côté comme de l‘autre de la Méditerranée ne le comprennent pas.
Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours et à venir ?
Hugues Robert : Oui, jusqu’à ma mort… travailler pour la paix et la fraternité entre nos deux peuples. La rencontre entre Tarik Mira, fils du grand colonel Abderrahmane Mira, du colonel Georgesco, sergent de la Harka 205 d’Akbou qui travaillent en ce sens me comblent de joie.
Je ne peux oublier la colère de mon père quand les militaires ont exposé le corps de Abderahmane Mira le 6 novembre 1959 à Akbou et à Taghalat. « Ce n ‘est pas comme ça, qu’on va construire la paix, la réconciliation et l’indépendance » a-t-il dit !
Et puis avec mon ami Hocine, fils de harki dont l‘oncle fut chahid, nous rêvons de devenir Franco- Algériens. Ce serait beau avant de mourir de réconcilier en nous, nos deux pays, qui nous sont chers.
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?
Hugues Robert : Que Dieu protège l ‘Algérie et que la France regarde son passé colonial afin d’éviter le racisme qui le guette.
Et vivent la vie et la fraternité de nos deux peuples !
Entretien réalisé par Brahim Saci
1 – Le Monde Afrique, le 18 mars 2022