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Idir, d’une légende à l’autre : de Vava Inouva à Vava Inouva 

HOMMAGE

Idir, d’une légende à l’autre : de Vava Inouva à Vava Inouva 

Vous êtes rentrés dans l’univers des grands par une légende « A Vava Inouva » (Mon petit père !) et vous quittez ce monde en légende en ce 02 mai 2020 sous une pluie torrentielle de vibrants hommages qui n’avaient pas cessé un instant dès que la bouleversante nouvelle de votre décès est rendue publique par votre famille. C’est un patrimoine mondial, une dune d’humanité qui s’en va à jamais, mais la  légende reste et survivra éternellement. 

Ainsi dans Vava Inouva, il est vrai que le sort de Vava Inouva a fini par être scellé par la bête sauvage en le dévorant un jour, mais la légende a survécu. Il en sera de même pour vous Idir, la maladie a eu raison de vous, mais la légende survivra. Votre nom est déjà associé à l’éternité et sera inscrit au fronton du monde. On ne compte plus les hommages qui pleuvent encore depuis votre mort. Un véritable tsunami émotionnel a secoué planète ! Une humanité tout entière qui vous pleure en même temps ! Il n’y a pas un coin dans le monde où vous n’avez pas suscité un émoi, un chagrin et un sentiment de perte. 

Les gens rivalisaient en création pour rendre hommage en plein confinement. Les uns ont  installé leur piano sur leur balcon les autres se sont installés dans des petites rues et chantaient  « A vava Inouva »  offrant ainsi le plaisir de votre mélodie à un monde confiné. Qui boudera le plaisir d’écouter votre voix apaisante et réconfortante en ces temps difficiles de confinement et où l’humanité tout entière est menacée par le monstre invisible du Covid 19 ? Sans doute personne. 

Il n’y pas une langue dans le monde dans laquelle on ne vous pas rendu un émouvant hommage. Il n’y avait pas que la Kabylie que vous aviez chantée qui vous pleure encore, mais le monde est en deuil depuis votre disparition,  Il n’y a pas que la Kabylie que vous laissez sans voix, mais c’est toute une humanité que vous laissez sans voix, il n’y a pas que Tanina, votre fille qui sera orpheline de père, mais c’est toute l’humanité qui le sera. 

Mais un artiste peut –il mourir comme dit Matoub Lounès ? Assurément non et la réponse est venue de l’artiste lui-même.  Le monde continuera à faire entendre le son de votre guitare et les airs de votre flûte Idir, votre singulière voix continuera aussi de nous adoucir et nous aider à éloigner la solitude, la détresse, le mal et conjurer la peur ainsi le fait Yelli Ghriva (Ma petite fille) en secouant ses bijoux pour éloigner la bête sauvage qui la poursuivait et prévenir son père de son arrivée pour ouvrir la porte.  

Vous n’êtes pas seulement un artiste qui s’en va !  C’est aussi un homme humble, aimant,  charnel, une épaisseur et une profondeur des mots, une rondeur et une grâce vocales, un père, un ami, un frère, un musicien, un Kabyle, un Algérien, un humaniste, un ambassadeur de la culture berbère, une voix singulière, une légende, un vava inouva, une force tranquille, une étoile.        

Votre mort n’est en réalité qu’une élévation de plus, une ascension dans le ciel, un nouvel envol. Vous êtes déjà sublime, mais le destin a voulu que vous rejoigniez les étoiles pour scintiller avec elles et leur chanter Avava Inouva. Votre musique a quelque chose d’envoûtant, de mystérieux, elle ne  peut émaner que des âmes pures et tranquilles, aussi le destin a –il décidé de vous emmener chanter pour les étoiles et les âmes qui ne sont plus de ce monde.   

Votre chanson respire la Kabylie dans toutes ses facettes, toutes ses formes naturelles, patrimoniales, dans tous ses reliefs, toutes ses couleurs, toute sa langue, toute son histoire. Vous n’êtes pas seulement un artiste, mais aussi un archéologue, vous avez arpenté  toute la  Kabylie à la recherche des moindres vestiges à conserver.

La Kabylie, ce relief d’Ath Lahcène, votre village natal, cette terre qui vous colle à la peau et vous empêche de partir définitivement et complètement, a donné aussi  du relief, de l’épaisseur, de la profondeur, de l’intensité et de la densité à votre chanson. Une histoire d’amour, de continuité et de filiation entre un homme, un artiste et sa terre natale. Sans cette terre, il n’y aurait sans doute pas Idir et sans vous, la légende de Vava inouva  serait encore ensevelie par les fossoyeurs de la culture berbère, et les sauterelles auraient détruit les lianes de cette culture, puis elle mourrait petit à petit, car elle ne pourrait plus se fructifier et sans fructification elle est serait condamnée à disparaître un jour.

Le génie de votre art c’est qu’il ne s’est pas limité à dépoussiérer la légende, à raconter les traditions ancestrales kabyles, mais vous avez su leur donner de la voix et quelle voix ! Les vitaliser en en leur donnant une âme grâce à votre musique gracieuse et apaisante. C’est ainsi que vous aviez offert à la Kabylie et au monde entier une culture revisitée par votre touche moderne et artistique.  

Vous ne l’avez pas laissée figée dans le temps et l’espace comme vous l’aviez trouvée, mais vous avez su lui donner un envol, une expression, une identité, une voix et une mélodie par votre chanson. C’est ainsi que vous aviez prêté votre voix à Vava Inouva pour dire combien il avait peur du monstre de la forêt qui guettait la moindre occasion pour le dévorer ainsi qu’à Gheriva ( sa petite fille)  pour lui dire aussi qu’elle avait peur de ce monstre qui la poursuivait en venant lui ramener de la nourriture. 

Sans vous détacher de votre terre ancestrale, gommer votre identité, vous avez su aussi aimer les autres, fraterniser avec les peuples du monde, être un homme des deux rives l’Algérie qui est votre pays d’origine et la France, votre pays d’accueil. C’est par cette faculté de rester enraciné dans votre territoire tout en étant ouvert sur le monde que vous aviez su   appartenir à l’humanité en lui offrant le meilleur par votre voix gracieuse et votre musique universelle.

Vous aviez su être Kabyle dans l’authenticité, dans tout ce que charrie cette identité comme référent et imaginaire, un Algérien car l’Algérie c’est aussi le pays dont vous vous réclamez et auquel vous vous identifiez, ce pays que vous aviez quitté pour venir en France, ce pays que n’aviez jamais quitté en réalité, car l’idée de retour vous habitait  toujours.  Mais la France aussi, votre pays d’accueil, c’est finalement  un pays où vous vous êtes enracinés sans vous déraciner du territoire qui vous a vu naître. C’est cette rive aussi qui vous a permis de rentrer pleinement dans la modernité en vous offrant les moyens de perfectionner votre art et de faire des rencontres fructueuses avec les grands noms de la musique : Maximes Forestier, Manu Chao, Karen Matheson. .   

C’est par Avava Inouva que vous aviez conquis le monde. Une légende associée à un quotidien ordinaire kabyle pour faire une très belle chanson dans laquelle s’identifie chaque famille kabyle. Vous prêtez ainsi votre voix pour aussi bien Vava Inouva et Yelli Ghriva pour exprimer leur peur du monstre de la forêt qu’à la Kabylie. C’est en réalité le vécu de chaque kabyle que vous aviez su raconter joliment en lui insufflant votre musique pour l’adoucir et lui donner une âme.

La chanson raconte aussi l’organisation de la société kabyle. Un vieux affaibli par les jours se replie dans son burnous dans le petit coin de la maison regardant le monde se faire, son fils se souciant de comment les nourrir ressassant les jours dans sa tête. La vieille, quant à elle, entourée de ses petits-enfants, leur enseigne l’histoire, l’authenticité, l’origine.  Elle est la courroie de la transmission, c’est elle qui assure la transmission du patrimoine familial et sociétal.  La bru « Tisslith »  s’occupe du tissage, c’est sur elle aussi que repose la sauvegarde de la culture ancienne kabyle qui est le métier à tisser. 

Enfin, pour terminer, c’est en déconfinant pour parler le langage de l’actualité ces traditions et culture de vos ancêtres de vos siens en les offrant au monde grâce à votre génie artistique que vous êtes devenu le véritable ambassadeur de la culture et de la langue berbère.

Ainsi grâce à votre chanson Vava Inouva traduite dans 17 langues, vous avez non seulement Idir su hisser la culture berbère au rang de l’universel, mais vous avez su faire parler le monde en Kabyle ne serait-ce qu’en lui faisant dire quelque mots en kabyle : Vava- Inouva et Yelli Ghreva !  Merci l’artiste.    

 

Auteur
Omar Tarmelit   

 




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