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İdir, sésame enchanteur et passeur de mémoires

HOMMAGE

İdir, sésame enchanteur et passeur de mémoires

Hamid Cheriet, plus connu sous le nom de İdir, deviendra l’un des chantres de la chanson kabyle grâce à une berceuse diffusée pour la première fois au printemps 1973 sur les ondes de « Radio-Alger » : elle révélait alors aux Algériens une autre culture ancestrale enterrée par le pouvoir central FLN, comme le fut d’ailleurs auparavant en France la langue bretonne.

C’est en 1975, une fois accomplies ses obligations militaires, que le futur troubadour berbère enregistra l’album « A Vava İnouva », un opus produit à Paris (par Pathé Marconi) et qui comportait le tube éponyme porté à la postérité dès 1976. Cette année-là, la responsable des Universités, Alice Saunier-Seïté, décidait de transférer à Saint-Denis le centre universitaire expérimental de Vincennes.

Voulu en automne 1968 sur décision d’Edgar Faure, le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, ce pôle pédagogique émergea sur un terrain loué à l’Armée pour une décennie et ouvrira au mois de janvier 1969 les portes de la connaissance aux paysans, salariés non bacheliers ou étrangers insérés ou non dans la vie active. Avec ses cours en soirée, cet incubateur d’innovation leur offrait la possibilité de changer d’orientation, la chance d’accéder au champ des sciences-sociales et humaines jusque-là réservé à une élite.

Focalisé sur l’interdisciplinarité, l’enseignement sortait des sentiers battus, cassait les codes traditionnels, bousculait le rapport professeurs-étudiants, questionnait autrement le monde.

Conçu, dira le Général de Gaulle, «pour les emmerdeurs », le lieu atypique sera démantelé courant 1980 et c’est juste avant cette mort programmée que je pus y entendre İdir.

Le poète compositeur était venu soutenir les derniers Mohicans tentant de sauver des bâtiments finalement entièrement rasés sous la présidence de Jacques Chirac. Moins vindicatif ou jusqu’au-boutiste que Ferhat Mehenni et Matoub Lounès, il s’engagea néanmoins également en faveur de prisonniers d’opinion, refusa de participer à la Saison culturelle « 2003, année de l’Algérie en France » en raison du récent massacre (128 cadavres) perpétré en Kabylie et signa à ce titre un texte stipulant que «participer à cette manifestation, c’est trahir la mémoire de milliers d’innocents, c’est trahir le combat citoyen (les martyrs, les victimes et les détenus), c’est trahir les forces démocratiques, c’est trahir la mémoire de nos défunts artistes assassinés et de nos défunts artistes morts dans l’anonymat (…). Nous interpellons la Vème République, la France de Sartre, Camus, Jack Lang pour lui signifier que nous ne sommes pas des clowns ».

Le quotidien Liberté du 19 janvier 2003 livrera ensuite sa « Lettre ouverte à ceux qui nous gouvernent », missive dont voici un passage suffisamment significatif : « Alors que des prisonniers du mouvement citoyen de Kabylie croupissent en prison, vous appelez les Algériens à célébrer leur pays en France, tout au long de cette année 2003 (…). Certains me disent qu’il ne faut pas boycotter cette Année de l’Algérie, mais participer et parler, dénoncer…Participer à L’Année de quelle Algérie ? Celle de Massinissa ou celle du gendarme qui l’a assassiné ? (…). J’ai du mal à faire coexister ces deux Algéries, à célébrer l’une sans insulter l’autre (…). Alors, je ne participe pas et je parle. Je parle pour Massinissa et tous les gamins qui l’ont suivi. Et à défaut de pouvoir dire tous les mots qu’ils ne pourront plus prononcer, dire au moins que si j’ai oublié le nom du gendarme, je n’ai pas oublié celui de Massinissa».

L’ultime soutien au « Hirak » (mouvement populaire enclenché le 16 février 2019 en Algérie) démontre la cohérence politique d’un homme qui, souffrant d’une fibrose pulmonaire, s’est éteint le samedi 02 mai à Paris.

Si j’ai entrepris fin 1979 un voyage initiatique en zone amazighe, je le dois d’abord (avant le trio de femmes du groupe « Djurdjura » découvert quelques mois plus tôt au « Théâtre du Châtelet ») à ce natif d’Aït Lahcène, village qu’il mériterait de rejoindre pour être enterré près de sa mère, comme le réclament justement de nombreux aficionados.

Auteur
Saâdi-Leray Farid, Kabylo-Breton et sociologue de l’art

 




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