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Impeachment, ce mot qui enflamme et qui n’aboutit jamais à rien

REGARD

Impeachment, ce mot qui enflamme et qui n’aboutit jamais à rien

Le voici de retour, le mot est lâché. Il impressionne et tout le monde s’en gargarise. Je ne lis pas l’avenir mais il faut rappeler au lecteur la portée de cette procédure et en relativiser les chances de réussite, bien minces. Il faut garder en tête l’expérience d’une longue histoire à son propos ainsi que sa lourde procédure.

Lorsque j’avais assisté à mes premiers cours de droit constitutionnel dans l’amphithéâtre de l’Institut d’Études Politiques de Paris, en 1975, ce mot était dans la bouche du professeur de droit d’une manière permanente. C’est qu’en 1974, donc quelques mois auparavant, Richard Nixon en avait été la victime suite à la célèbre affaire du Watergate.

Et depuis quarante quatre ans j’entends la même erreur de la part de nombreuses personnes. Non, Richard Nixon n’avait pas été destitué par une procédure d’impeachment, réellement en cours, mais parce qu’il avait choisi de démissionner avant la fin de la procédure. Il est vrai qu’il doutait de la loyauté de certains sénateurs républicains qui pouvaient faire basculer la majorité. 

Le mot n’est cependant pas usurpé dans sa puissance de résonance. Il s’agit concrètement de la possibilité que donne l’article 2 de la constitution des États-Unis de destituer le Président élu s’il est coupable d’une trahison ou de tout acte contraire aux lois du pays. La procédure peut s’appliquer à d’autres personnes comme le Vice-Président, les gouverneurs, les juges fédéraux et les membres des cabinets

L’homme le plus puissant ne peut déroger aux lois, c’est ce qui marque les esprits dans l’expression d’impeachment. La procédure est donc sérieuse et constitue l’un des points clés de l’équilibre des pouvoirs, indispensable dans le processus institutionnel de la démocratie américaine.

Ce n’est pas la première fois que le Président Donald Trump est menacé de destitution. Il en avait déjà été question lors des suspicions de collusion avec la Russie afin de parvenir à déstabiliser sa rivale à l’élection présidentielle, Hillary Clinton.

Cette fois-ci, il s’agit d’une affaire aussi grave puisqu’un lanceur d’alerte, membre des services secrets, qui ne restera pas longtemps anonyme car il devra témoigner, a produit un enregistrement fâcheux pour le Président Trump.

On entend clairement et à plusieurs reprises le Président insister auprès de son interlocuteur, le Président ukrainien, pour lancer une enquête concernant les activités d’affaires du fils de son probable concurrent démocrate à la future élection présidentielle, Joe Biden, le mieux placé à cette époque (il ne l’est plus en ce moment).

On entend, sans ambiguïté, le Président américain promettre une relance des prêts à l’Ukraine. On sait que ces prêts avaient été suspendus puis, miraculeusement relancés, après la date de l’entretien, sans qu’on en connaisse la raison précise. 

L’accusation est donc aussi grave que les précédentes et porte certainement une cause sérieuse d’impeachment si les faits sont prouvés par une enquête. Mais il faut revenir à deux points qui contrebalancent les ardeurs de ceux qui voient déjà Donald Trump dans une obligation de se retirer honteusement du pouvoir, sans compter des éventuelles poursuites auxquelles ils serait certainement condamné à affronter.

Ni l’histoire ni l’extrême difficulté de l’opération ne plaident pour une chance au bénéfice des partisans de l’impeachment. Du point de vue de l’histoire, dix-neuf procédures de destitution ont été lancées depuis 1789. Elles ont concerné majoritairement des juges fédéraux et seules trois ont été engagées contre des Présidents, c’est donc un fait rare et aucune n’a abouti.

En 1868 pour Andrew Johnson, puis la procédure contre Richard Nixon dont nous avons déjà parlé, en 1974. Enfin, en 1998 pour la célèbre affaire concernant Bill Clinton (pour son parjure et non pour sa coquinerie envers une jeune stagiaire de la Maison blanche). 

C’est ensuite la procédure, tellement difficile qu’elle explique l’échec des autres tentatives et le scepticisme que nous pouvons avoir pour celle qui s’annonce, contre Donald Trump. Il faut surmonter deux étapes, c’est d’abord la chambre des représentants qui décide, dans un premier vote, de la tenue d’un procès ou non et c’est le Sénat qui juge définitivement à son tour.

La chambre des représentants se prononce suite à une enquête de son comité judiciaire et doit donc emporter une majorité de consentements. Daniel Pelosi, la charismatique Présidente de la chambre des représentants, démocrate, est la leader d’un mouvement qui veut mettre fin à la présidence de Donald Trump depuis le début de ses agissements, jugés indignes et contraires au droit.

Elle pourra sans aucun doute y parvenir car la chambre des représentants compte, depuis janvier 2019, une majorité démocrate. Mais ce sera une toute autre histoire pour le Sénat qui compte une majorité de républicains, 53 membres contre 45 aux démocrates, sans compter les deux sénateurs indépendants.

Les sénateurs républicains, en plus de leur appui déclaré, n’ont aucune envie de se lancer dans une telle aventure car ils savent qu’ils devront affronter des élections auprès d’un public où le socle majoritaire républicain est encore largement acquis à Donald Trump. Une aventure risquée pour certains s’ils venaient à être tentés par le vote de la destitution.

À cela il faut rajouter, dans la première étape, malgré la majorité acquise par les démocrates,  la difficulté à apporter la preuve d’une implication dans un délit caractérisé. On peut entendre tous les enregistrements possibles et en être convaincu, le droit exige quant à lui un rapport de cause à effet direct et sans ambiguïté entre les paroles et l’explication de la reprise du financement promise au Président ukrainien.

Puis, il faut tenir compte d’un dernier facteur. Les démocrates, même s’ils ne sont pas sûrs du résultat final, très hypothétique, semblent miser sur la difficulté du Président pendant sa campagne électorale en cas de procédure d’impeachment. Or, on sait que celui-ci n’est jamais aussi fort devant son électorat que lorsqu’il agite les menaces de harcèlement dont il serait victime depuis son élection. 

C’est un jeu d’autant plus hasardeux que la procédure pourrait arriver à son terme avant l’élection et l’entrée en fonction du nouveau Président. Le vote négatif du Sénat, presque garanti, serait une opportunité encore plus forte pour les chances du candidat Donald Trump.

Comme je l’avais précisé, je ne lis pas l’avenir mais si cette procédure d’impeachment arrive à démettre le Président, ce serait non seulement une première mais un miracle. Les Présidents américains jurent sur la Bible et je ne crois pas que les républicains tentent le diable.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar

 




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