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Inédit. Yalla Seddiki revient sur son compagnonnage avec Matoub Lounès (II)

Chanson kabyle

Inédit. Yalla Seddiki revient sur son compagnonnage avec Matoub Lounès (II)

Le Matin d’Algérie : Comment avez-vous travaillé sur la traduction sachant que vous avez commencé en 1996 ?

Yalla Seddiki : Lounès avait une vision précise du livre que nous devions écrire. Il voulait un recueil qui fût davantage une œuvre d’adaptation que de traduction. Il était conscient, nous en avons parlé quelquefois, que des vers réussis en kabyle encouraient le risque de devenir des lieux communs en français. Parfois, un texte pouvait perdre son originalité et sa force poétique dans la mesure où l’imaginaire qui a présidé au texte peut devenir quelconque une fois transposé. « Ilaq s trumit-nni yin-ek a Sdiqi !« , me disait-il. Derrière la remarque humoristique, dans la mesure où, par mes études, j’étais familier des pratiques poétiques en France, Lounès avait le souci d’utiliser cet intérêt pour tenter de trouver un équivalent à son travail.

Maintenant, soyons honnête : après l’assassinat de Lounès Matoub, amputé comme j’étais de sa présence et de son autorité, force m’était de renoncer à ces ambitions. Force m’était de m’engager dans un projet plus modeste : me borner à transposer en français la beauté des poèmes chantés par Lounès Matoub. Or, commencent alors des obstacles bien plus triviaux que la recherche d’un équivalent stylistique. Des erreurs de lecture, des imprécisions, des confusions qui peuvent s’expliquer par de multiple raisons, mais sur lesquels il est ici inutile de s’attarder. Comme je connaissais des amis de Lounès qui le fréquentaient depuis plus longtemps que moi, leur concours me fut précieux. Je pense notamment à Mourad Azouz et à Rachid Metref, à Fodil Larabi. Je pense également à Malika Matoub qui m’a permis de consulter les cahiers de Lounès dans lesquels il y avait parfois des éléments strictement personnels. Je lui sais un gré immense pour sa confiance. Concernant d’autres textes, grâce à l’épouse de Lounès, Nadia Matoub, j’ai pu consulter le cahier sur lequel il avait non seulement écrit plusieurs textes du dernier album, Lettre ouverte, mais aussi une vingtaine de textes inédits, qu’il préparait pour son prochain disque et qu’il m’annonça comme aussi réussi que Lettre ouverte. Par rapport au premier choix de poèmes que Lounès et moi avons fait, pour des raisons de place, j’en ai retranché, à regret, certains. J’y ai ajouté quatre inédits extraits du dernier manuscrit de Lounès Matoub. De plus, j’avais, en retirant des textes, un dessein secret : celui de faire un second volume en cas de succès. Certains textes retranchés par exemple, Yenna-yi aqli ad ruh’eγ, Ifis, Imcumen (1983), Tensa tafat ou Tissirt n ndama auraient intégré ce second volume. Que cet entretien me soit aussi l’occasion d’un remerciement et d’une mise au point.

Oui, allez-y.

Pour ce livre, j’ai eu la chance de pouvoir ajouter au répertoire connu de Lounès Matoub quatre textes non seulement inédits, mais que, surtout il a composés, pour certains, quelques semaines avant son assassinat. Dans l’un des textes, que je n’ai pas publiés, par exemple, il rend un hommage implicite à l’un des artistes kabyles à qui l’a opposé un conflit très grave touchant à l’honneur et à la probité. À cet égard, mes remerciements les plus vifs vont à Nadia Matoub. Sans me connaître autrement qu’à travers quelques mots que Lounès lui a dits à mon propos, elle m’a permis d’une part de consulter le cahier sur lequel Lounès a écrit une partie des textes qu’il comptait interpréter sur l’album qui devait succéder à Lettre ouverte. D’autre part, dans Mon nom est combat, elle m’a autorisé à publier les textes qui me convenaient. J’en ai choisi quatre : deux politiques et deux autres personnels. À la fois personnel et politique, un des textes est un chef d’œuvre. C’est celui qui commence par Rriγ-d nnehta n yifker. C’est une nouvelle démonstration de la richesse imaginative et poétique de Lounès Matoub ; c’est aussi une illustration de son indépendance devant quelque idéologie et quelque parti que ce soit. Cela étant dit, ces informations me permettent de faire une mise au point. Je veux parler de rumeurs propagées par certains sur Internet ou sur une certaine chaîne de télévision. D’aucuns ont désigné ces quatre textes du nom de « poèmes volés de Matoub » ou d’une expression équivalente. Qu’il soit entendu que, sur le principe de la confiance, ces poèmes me furent offerts sans la moindre contrepartie financière par la veuve du poète-chanteur. Au lieu de remercier ceux qui ont fait connaître au public ces poèmes historiquement importants, on les insulte pour une action qui mériterait la reconnaissance. Mais, concernant Nadia Matoub, ce n’est qu’une énième infamie qui lui reprochée alors qu’il est établi (grâce, entre autres éléments, aux rapports médicaux) qu’elle est une victime de ce qui se passa le 25 juin 1998 et non une complice malfaisante.

Qui a eu l’idée du titre pour le livre, Mon nom est combat, qui symbolise vraiment le poète ?

L’idée est la mienne. J’avais deux titres possibles : De l’abîme, mes hurlements ! C’est un titre d’inspiration baudelairienne. Je me suis dit que cela aurait bien plus à Lounès. Et un second, que je savais plus nettement affirmatif et tragique : Mon nom est combat (vers extrait de Tamurt-iw). Le PDG des Éditions La Découverte, François Gèze, d’une perplexité un peu froide, après avoir écouté le premier titre, me demande si je n’en ai pas un autre plus direct. Ainsi que ferait un comédien affermi par le métier, et assuré du succès qu’il aurait, tout en tremblant à l’idée d’échouer, je lui réponds par le second, Mon nom est combat, qu’il approuve aussitôt. J’aimais le premier pour l’univers romantique noir qu’il traînait à sa suite, mais je savais que Mon nom est combat était plus singulièrement frappant.

Vous faites référence à la culture européenne. Avez-vous eu des réactions de la part de personnalités européennes ?

D’abord, je précise que, auprès de mes amis français, je n’ai cessé de faire une publicité à Lounès Matoub bien avant de le connaître. Après l’assassinat, parmi les témoignages les plus émouvants, il y a celui du grand poète d’origine bretonne, Paul Le Jéloux (1955-2015). Mais, pour l’histoire, ce témoignage demeure. Compte tenu de la qualité de l’œuvre produite par Paul Le Jéloux, en miroir de l’homme de qualité qu’il était, je ne doute pas que la postérité lui donnera toute sa valeur. C’est pourquoi, je vous livre ici le contenu de cette lettre. Je ne l’ai pas relue depuis 1998, du moins jusqu’au moment où j’ai retrouvé diverses archives pour cet entretien : « Ayant lu avec beaucoup d’intérêt vos poèmes dans Polyphonies, et ayant remarqué combien votre admiration pour Matoub Lounès était grande, je me permets de vous écrire bien que nous nous connaissions peu (je suis un ami de Jean-Yves Masson, et nous avons bavardé ensemble dans un café un soir lors du Marché de la poésie, il y a deux ou trois ans…)

Je voulais vous dire mon émotion, ma révolte et malheureusement mon sentiment d’impuissance devant ce défi [ici mot incertain], cet affront fait à tout un peuple. Ceux qui assassinent les poètes, des poètes qui sont la voix de tous leurs frères, ne méritent pas de pitié. J’espère que l’on saura un jour qui a manigancé ce lâche attentat. À vous donc, poète kabyle, je voulais vous dire que sans connaître votre pays je suis bouleversé et je sais que vous saurez un jour trouver les mots qui rendront vivant à nouveau cet homme qui était un symbole de la lutte contre les ténèbres en Algérie ».

Endeuillé que j’étais, je n’avais sans doute pas estimé à sa juste valeur ce témoignage de sympathie pour Lounès et pour son peuple. Nous en avons parlé au téléphone, mais je n’ai pas eu de relation suivi avec Paul Le Jéloux. Que de vains regrets à présent. Mais j’espère que vos lectrices et lecteurs sauront accorder à cette lettre la considération qu’elle mérite.

Et dans le milieu universitaire, quelles furent les réactions à la publication du livre ?

Si vous m’y autorisez, je voudrais, avant de répondre, faire une précision méthodologique. En Occident, en France en particulier, depuis le XVIe-XVIIe siècle, une séparation progressive s’est produite, entre l’art musical et de l’art poétique. Jusque-là, il y eut de grands représentants de ce que l’on pourrait appeler comme nous le faisons pour l’art kabyle, la « poésie chanté ». Pour donner un simple exemple, Guillaume de Machaut compta parmi les poètes et compositeurs les plus considérables de son époque. Par conséquent, à considérer l’évolution permanente qui a porté la poésie et la musique aux extrémités autoréflexives de leurs univers respectifs – le silence –, il est légitime qu’un art fort ancien comme la poésie chantée puisse paraître incongru. Surtout, la chanson est devenue la forme dominante dans la culture dite populaire. Le lien entre musique et poésie est réservé à des expériences menées dans la musique moderne et contemporaine, par des artistes comme Gabriel Fauré, Claude Debussy, puis Pierre Boulez ou Benjamin Britten.

Où voulez-vous en venir ?

À ceci : que, après avoir lu ou feuilleté le livre de Lounès Matoub, Mon nom est combat, plusieurs de mes relations et amis m’ont posé la même question, sans se connaître ou se fréquenter.

Laquelle ?

« Les textes kabyles sont-ils aussi beaux qu’en français ? » Comprenez bien que je ne vois pas là un hommage au traducteur. Puisque celui-ci a toujours eu l’honnêteté de dire que les textes en kabyle sont bien plus beaux qu’en français. Ce que je veux dire c’est que, habitués à lire la poésie, à écouter la musique séparément, mes amis furent surpris de découvrir un artiste-chanteur dont les textes relèvent réellement de la création poétique et non de chanson, quand ce serait celle de grands artistes comme Jacques Brel ou Léo Ferré. Ici deux points importants demandent des précisions.

Le premier est plutôt négatif. J’ai adressé mon livre à différents responsables de centre de recherche en littérature francophone ou nord-africaine. Je n’ai reçu aucune réponse à ce jour. À telle enseigne que j’ai mis en doute la rigueur des services postaux dans la distribution des courriers. Plus sérieusement, je crois dans l’hypothèse d’une forme d’indifférence pour ce qui ne correspond pas à la doxa politico-littéraire portant sur les littératures « postcoloniales ». Lounès Matoub ne revendique pas l’arabité, n’entretient pas de rapport conflictuel avec la langue française, fait partie d’une civilisation persécutée au nom de certaines cultures défendues la critique postcoloniale. Celle qui refait la Guerre d’Algérie et adopte en France le point de vue officiel de l’État algérien comme si ses promoteurs étaient des coopérants de 1963. Je dis cela de façon un peu vive, mais je ne plaisante pas, croyez-moi. Pour un autre projet avorté, j’ai eu à discuter avec certains chercheurs (réputés). Aussitôt que l’ethnique amazighe est énoncé, que le mot kabyle est prononcé, vous êtes immédiatement soupçonné d’être un agent de la division au service d’une puissance coloniale. C’était le cas, par exemple avec une chercheuse qui a travaillé sur Tahar Djaout. Ce n’est qu’un exemple. (A suivre)

Auteur
Hamid Arab

 




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