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Inès Belgacem rejoint la Nasa

Nasa

Inès Belgacem est post-doctorante, spécialisée dans l’étude du système de Jupiter en France. Elle vient de rejoindre le prestigieux Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la Nasa pour travailler sur la prochaine mission de l’agence spatiale américaine vers Europe, une lune de la plus grosse planète du système solaire.

Ce 14 avril 2023, le soleil joue au chat et à la souris avec les nuages sous la chaleur étouffante de la Guyane française. Au centre spatial guyanais, Ariane 5 est sur son pas de tir, prête à propulser la sonde européenne Juice vers Jupiter. Ils sont plusieurs dizaines d’officiels, d’ingénieurs, de scientifiques sur la pelouse d’observation à attendre la fin du compte à rebours.

Parmi eux, Inès Belgacem, alors post-doctorante à l’Agence spatiale européenne. Elle a passé les dernières années de sa vie à travailler sur cette mission. À L’heure-H, les moteurs s’allument. La fusée s’élève vers le ciel, avant de disparaître derrière les nuages. « C’était beaucoup d’émotion », confiait alors Inès Belgacem. « On part vers Jupiter ! Ça me paraît complètement irréel. »

« J’ai toujours regardé le ciel »

Pourtant, à la vue de son parcours, cela semble plutôt logique, même si cela a été un long chemin. « J’ai grandi dans un quartier à Toulouse. Quand je disais que je voulais faire de l’astrophysique, on me regardait un peu avec des yeux comme des billes », se souvient-elle. « Mes parents ne viennent pas du tout de ce monde-là et ne comprennent pas vraiment ce que je fais. Mais ils ont bien vu que j’avais un objectif. » Même si elle y a souvent réfléchi, Inès Belgacem avoue ne pas savoir d’où lui vient cet attrait pour les étoiles et l’espace. « D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours regardé le ciel. Je voulais étudier les planètes et les étoiles. J’avais fait mon premier exposé à l’école primaire sur le système solaire. Mes parents ont tout fait pour m’aider. Je me souviens qu’après un rendez-vous chez le médecin, nous étions allés à la librairie acheter des bouquins sur le système solaire pour préparer cet exposé. » se rappelle-t-elle.

Avec la Cité de l’espace, et de nombreux industriels comme Airbus et Thalès, Toulouse est souvent considérée comme la capitale européenne de l’espace. De quoi encourager les vocations des enfants ? Seulement à moitié. « La Cité de l’espace, j’adore, c’est un de mes endroits préférés sur Terre. Mais c’est un peu cher. Je ne me souviens plus quand j’y suis allé pour la première fois, sans doute avec l’école. Mais en dehors de ça, même si Toulouse à un environnement propice au spatial, on ne peut pas vraiment y accéder si on n’a pas déjà un pied dedans. » regrette Inès. Comme souvent, c’est grâce à des professeurs particulièrement investis que la jeune Toulousaine a pu nourrir sa passion. Élève dans un collège REP+ (réseau d’éducation prioritaire) dans la région de Toulouse, on ne la prenait guère au sérieux quand elle disait vouloir faire de longues études dans le spatial. « Des professeurs ont vu ma détermination. Ils m’ont permis de rencontrer un astrophysicien. Ils m’ont aussi permis d’aller au Pic du Midi, quand j’étais en 4ème. Cela peut paraître anecdotique, mais à mon niveau, c’était énorme. Ça a presque mobilisé tout le collège puisque ma professeure de physique est venue avec moi, il avait fallu l’intermédiaire de deux professeurs d’histoire-géographie. Ça a cimenté mon envie : c’est vraiment ça que je veux faire. »

Étudier les planètes

Les années suivantes, Inès Belgacem suit le parcours quasi-parfait : la prestigieuse école préparatoire Fermat à Toulouse et Supaero, l’école d’ingénieur. « C’est vrai que rétrospectivement, ça donne l’impression que c’est très linéaire. Mais ce n’était pas du tout le sentiment que j’avais. À chaque étape, je ne savais pas où j’allais. Il fallait que je demande des conseils à tout le monde. Après, c’est vrai que j’aimais bien l’école et que j’aimais bien apprendre. C’était aussi très important pour mes parents. J’étais la première en plus. Il fallait que ça se passe bien. Ma mère est secrétaire médicale. Elle a un bac technologique. Mon père n’a pas pu finir ses études. Quand il est arrivé en France, il a dû travailler. Il a passé sa vie dans la construction et des métiers difficiles. Il était passionné d’histoire et de politique. Il insistait vraiment sur la nécessité de faire des études. Forcément, ça m’a poussée. » Inès Belgacem étudie et se dirige vers la recherche. Elle finit par passer une thèse en planétologie. « La curiosité et la recherche, poser des questions tout le temps. C’est quelque chose qui me caractérise depuis longtemps. Ce que je voulais, c’était étudier les planètes. Il se trouve que pour le faire, il faut faire de la recherche. Mais je savais que c’était un milieu compliqué pour faire une carrière. » C’est notamment pour cette raison qu’elle rejoint l’école d’ingénieur Supaéro. « Rétrospectivement, je suis très contente d’avoir fait ce choix, car ça m’a ouvert des horizons que je ne connaissais pas. Si j’étais restée à la fac avec un cursus très académique, je n’aurais pas découvert ce monde d’ingénierie de mission où je m’éclate aussi. Et si dans quelques années, je dois plus travailler sur les opérations des missions, ça m’intéresse aussi. Ce qui m’intéresse en fait, ce sont ces missions spatiales : créer ces aventures technologiques et humaines pour répondre aux questions que je me pose. »

Mais pour l’instant, dans cette histoire, Inès Belgacem présente sa thèse Étude des modèles de réflectance des lunes glacées de Jupiter. « C’est un peu par hasard que je suis arrivée sur ce sujet. Auparavant j’avais passé deux ans à travailler sur Mars et le rover Curiosity. J’avais postulé à une thèse pour continuer à travailler sur le sujet. Mais ne l’avais pas eue. Ça a été un peu la grosse panique et je me suis souvenue d’un e-mail qui présentait un sujet de thèse en partenariat avec Airbus. » Il s’agissait alors d’un travail mariant science et technique, alors que l’industriel européen était en train de concevoir la sonde européenne Juice à destination de Jupiter. C’est ainsi qu’Inès Belgacem tombe dans le bain des lunes glacées de la plus grosse planète du système solaire.

Une opportunité à la NASA

« Ce sont des mondes qui, pour beaucoup, ont des océans sous leur surface. Mais au-delà de ça, on ne sait pas grand-chose, alors qu’ils sont très présents dans le système solaire. Avant, quand on parlait d’habitabilité, on parlait surtout des planètes. Depuis les premières missions qu’on a envoyées, on considère désormais plus ces lunes comme des mini-planètes. Ça ouvre donc un autre champ des possibles. » Inès Belgacem aura donc ainsi eu la chance de pouvoir suivre la mission Juice de sa conception à son lancement, d’abord en thèse avec Airbus puis en post-doctorat à l’ESA. Elle ne travaillera a priori cependant pas sur les résultats : Juice arrivera à destination au début 2030. Mais elle a depuis réalisé un autre rêve. « Une opportunité s’est présentée à la Nasa. Je n’allais pas dire non ! », explique-t-elle. « Je suis française et européenne, c’était un rêve de travailler à l’ESA. Mais je n’avais pas eu le concours du CNRS (Centre national de recherche scientifique, dont il faut réussir un concours extrêmement sélectif pour être titularisé après un post-doctorat, NDLR). Et donc, désormais, je vais pouvoir travailler sur Clipper ! ».

Cette dernière est une mission de l’agence spatiale américaine, dédiée à l’étude d’Europe, une des lunes glacées de Jupiter. « C’était trop beau pour laisser passer ce poste. Il me restait un an de contrat avec l’ESA quand j’ai postulé, et ils ont été assez gentils pour me laisser finir. » Au moment de cette interview, Inès Belgacem venait de prendre son poste un mois auparavant et nous répond en visio, sous le soleil californien, près des locaux du prestigieux Jet Propulsion Laboratory de la Nasa. Comme de nombreux jeunes chercheurs français, elle est ainsi contrainte à l’expatriation pour pouvoir continuer à travailler. Et comme pour tous, même dès le début de carrière, la question du retour et de ses conditions est déjà dans la tête. Inés réfléchit à repasser le concours du CNRS, mais le processus est très lourd, et fait énormément de déçus, alors contraints de vivre à nouveau la précarité des contrats courts, en post-doctorat.

« Montrer qu’il y a des gens comme moi qui peuvent être à l’ESA »

En attendant, Inès Belgacem a une seconde mission vers Jupiter à lancer, et elle a également trouvé de quoi remplir un peu plus ses journées. La Toulousaine est en effet extrêmement investie dans la transmission du savoir scientifique auprès des jeunes. Lorsque nous l’avions quittée à Kourou pour le lancement de Juice, elle poursuivait son séjour de deux semaines auprès de la jeunesse guyanaise, sur tout le territoire. « C’était vraiment important qu’on aille ailleurs qu’à Cayenne ou dans d’autres villes qui voient des scientifiques tous les jours. On a d’ailleurs beaucoup été soutenus par le Centre spatial et l’ESA. On ne voulait pas être l’un de ces projets qui vient pour le lancement et fait deux conférences. Nous sommes allés dans des centres de loisir, sur les marchés… Globalement, ça s’est super bien passé. »

Cela fait désormais une dizaine d’années qu’Inès Belgacem fait de la diffusion scientifique à Toulouse, principalement vers les publics défavorisés. « C’est tout bêtement mon histoire et d’où je viens. J’essaie de faire des choses que j’aurais aimé voir quand j’étais gamine. Plus j’ai avancé dans ma vie, plus je me suis rendue compte des inégalités béantes du système. J’ai le sentiment d’avoir une responsabilité. Je ne suis pas complètement naïve. Je sais que je ne vais pas tout changer. Mais j’essaie d’occuper ma petite place, montrer qu’il y a des gens comme moi qui peuvent être à l’ESA, à la Nasa, qu’on fait des missions incroyables et que la science, ce n’est pas si dur. »

Des gens comme elle ? « Des femmes. Des femmes non-blanches, descendantes d’immigrés qui viennent des quartiers où on ne s’attend pas à ce que vous fassiez quelque chose de grand. Quand je retourne dans mon ancien collège et qu’on dit aux élèves qu’il y a une astrophysicienne qui en vient et qui va venir leur parler, ils n’y croient pas. Mon objectif premier, c’est juste d’ouvrir leur horizon, ça me semble important. » termine-t-elle.

Avec RFI

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