Samedi 15 décembre 2018
Informer, évaluer, classer : les organes algériens sous l’éteignoir
Le complexe du colonisé – bien décrypté par Albert Memmi et d’autres analystes – phénomène qui a des résonances plus lointaines, qui vont jusqu’à Ibn Khaldoun (même si la colonisation sous sa forme connue au 19e siècle n’existait pas encore au temps de l’auteur des Prolégomènes)- fait que, tout ce qui vient de l’étranger est cru, écouté, voire amplifié et magnifié. Une espèce de haine de soi a fini par prévaloir et prendre racine.
C’est que les institutions algériennes n’ont rien fait pour contrer ou, à tout le moins, relativiser une telle vision des choses. Pire, avec l’opacité et le déficit de communication qui sont devenus des normes de gestion, le passage par l’étranger devient un gage de sûreté et de vérité pour toute information.
Les choses ont évolué pour affecter le champ culturel et économique. Quels que soient ses efforts et ses mérites, un écrivain n’est consacré chez nous qu’après son passage sur les écrans français, ou, pour les écrivains en langue arabe, par les écrans moyens-orientaux.
Ainsi, en plus d’importer des biens matériels et des études techniques, nous achetons aussi une sorte de « doxa » culturelle, un système de normes esthétiques et idéologiques établi pour les nouveaux « indigènes ».
Cet abandon par lequel nous concédons aux étrangers le droit de désigner pour nous les mérites des nos hommes de culture, de procéder à l’archivage de notre mémoire, d’estampiller l’itinéraire de notre histoire – car notre école y a failli-, et d’arrêter un certain nombre de jugements, via des bureaux d’études ou des organismes de notation qui évaluent et notent des segments de la vie économique algérienne, le niveau de développement de certains phénomènes comme la corruption et le niveau de modernisation de certains de secteurs comme l’enseignement supérieur ou les nouvelles technologies de l’information et de la communication, cet abandon-là, disions-nous, fait partie d’une symptomatologie nationale qui établit l’amer constat du déni de soi, voire de la haine de soi, outre la déliquescence et la médiocrité des instances culturelles et techniques censées fixer la mémoire collective, évaluer la marche de notre économie et diagnostiquer et signaler les insuffisances et les travers de notre processus de développement.
Il est vrai que la globalisation des échanges et la mondialisation ont fait que les organismes de notation ou d’évaluation étrangers, parfois de statut supranational- l’image des institutions de Bretton Woods-, s’intéressent à ce qui se passe partout dans le monde, y compris en Algérie; cependant, il est plus que déplorable que les Algériens fassent l’économie de telles évaluations en abandonnant la tâche aux étrangers.
L’Université algérienne ne figure pas, même en queue de liste, dans les 500 meilleures universités du monde. Le « doing business » de la Banque mondiale classe chaque année notre pays parmi les derniers en matière de climat des affaires et de création d’entreprises.
Transparency International épingle les institutions algériennes et met chaque année l’Algérie à la tête des pays les plus corrompus.
Le développement de l’économie numérique (informatisation des données, télétravail, téléphonie mobile), et de l’utilisation de l’internet par les entreprises et l’administration, est l’un des plus faibles dans le monde. Ce sont la compagnie NetIndex et d’autres acteurs influents du secteur qui évaluent ainsi l’Algérie, malgré les dénégations de Mme Houda Feraoun.
Les notations des organismes d’assurance des investissements à l’étrangers, tels que la Coface ou Ducroire, constituent une base d’évaluation de notre pays sur le plan du climat des affaires et de la stabilité politique et juridique.
Mais où sont les organes nationaux d’évaluation ?
Le Conseil national économique et social (Cnes), organe consultatif qui a à son actif plusieurs études et travaux -issus de colloques multidisciplinaires, d’assises nationales et de journées d’études-, n’a plus de président depuis…mars 2017, date du décès de son ancien président, Mohamed Seghir Babès.
Certains de ces centres et bureaux d’études, de statut public et souvent budgétivores, ne sont pas encore arrivés à établir des bases de données sur l’économie et la société algériennes, à leur donner une résonnance médiatique suffisante à destination des Algériens, des étrangers et surtout des candidats aux investissements dans notre pays.
Des bureaux d’études et des centres de recherche (Ceneap, Bneder, Cneru, Cnis, Ons,…etc.) abritent des compétences avérées dans le domaine de l’évaluation sociale et économique et dans la prospective.
Mais les pressions et les interférences politiques – qui vont jusqu’à « triturer » certaines données jugées « gênantes »- ont ligoté les initiatives et les énergies et ont, du même coup, privé le pays d’un système d’évaluation qui puisse le libérer du seul jugement porté sur lui par des organes et bureaux étrangers dont les intentions et les grilles d’analyse ne sont pas toujours au-dessus de tout soupçon.