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« Inurar – Nouader, village des Aurès, sur les pas de Germaine Tillion »

Publication de Claude Cornu, l’instituteur d’Inourer

« Inurar – Nouader, village des Aurès, sur les pas de Germaine Tillion »

«Existentialiste, détesté de ses supérieurs, adorés par tous les enfants » c’est par ces mots que les membres de l’amicale du 10ème Bataillon de Chasseurs à pied, décrivent l’un de leur camarade : Claude Cornu. Dans ce contexte difficile d’une guerre  féroce, ce jeune appelé ira à la rencontre des habitants de ce petit village aurésien , avec un appareil photo et un carnet de croquis comme seule arme .

A la veille de son départ pour l’Algérie, le jeune pacifiste s’est promis  de ne pas tirer un seul coup de feu durant toute la période de son service militaire.  Des circonstances favorables vont l’aider à tenir sa promesse.
Lorsqu’il débarque  en Algérie en 1958, il apprend avec soulagement son affectation  à une unité non combattante au milieu des Aurès où la guerre faisait rage depuis quatre années. En bas du village d’Inourar (ou Inurer) , Claude Cornu est chargé de classer et ronéotyper des documents auprès du bureau du commandant De Bazelaire .

Cette occupation tranquille loin des tumultes de la guerre va pourtant très vite ennuyer le jeune appelé. Il multipliera donc les virées dans le village pour rencontrer les habitants et surtout les enfants qui vont très vite l’adopter. Devant son obstination à vouloir fréquenter  les chaouis malgré les nombreuses remontrances qu’on lui adresse, ses supérieurs finirent par lui confier l’école du village.
Il partagera donc le temps de son service entre l’école et les ballades dans le village pour photographier et dessiner les habitants.  Ce sont ces magnifiques photographies et croquis qu’il publie aujourd’hui dans ce livre « Inurar – Nouader , village des Aurès , sur les pas de Germaine Tillion » aux Editions Franco-Berbère.

La découverte du village  et ses environs

Le soir de son arrivée au village, Claude Cornu était de corvée. Il devait accompagner le conducteur de jeep  à la source qui se trouve dans la vallée à quelques encablures du camp militaire , il fut bouleversé par la beauté du paysage :  «Je découvre , écrit-il , des jardins bordés d’un muret de pierres sèches ,  on y cultive blé et maïs et à cette époque de l’année abondent les abricots et les figues, les figues de barbarie, les grenades et le raisin … les lauriers roses sont en fleurs. Un enfant juché sur son âne chargé de paniers remonte vers le village, tout est tranquille. Je suis bouleversé  par la beauté simple de ces scènes».
Claude Cornu se met donc dès les premiers jours à photographier les  paysage et les gens, d’abord de loin, ensuite de près , lorsqu’il gagna la confiance des habitants .

L’ouverture de l’école  

Peu de temps après, le Commandant lui demande s’il accepte de devenir l’instituteur des enfants du village, Claude Cornu accepte avec joie et une école est aussitôt aménagé dans une salle de la mosquée qu’il fallait libérer chaque vendredi.
« Le jour ne l’inscription, écrit-il, je me retrouvais avec les noms de 90 élèves, garçons  et filles. Les plus grands des garçons que je connaissais me servaient de traducteurs … le matin je m’occupais des petits, l’après-midi des moyens et des grands. Les filles de plus de douze ans étaient rares. Tous les enfants inscrits ne venaient pas régulièrement. Les garçons gardaient chèvres et moutons. Les filles rapportaient du bois ou de l’eau à la maison».
Les habitants d’Inurer voyaient de bon œil l’ouverture de l’école «Dès le premier jour, écrit Claude Cornu, des femmes m’apportèrent une tasse de café , un morceau de galette, une poignée de dattes ….  Habitant une maison en face de l’école, la mère de Yamina, Chérifa et Louasna mes élèves, ne manquait jamais de m’offrir ce qui le matin dès l’ouverture de la classe devint un rite , le café du matin ! ….  j’appréciais ces signes de bienvenue».

Gagner la confiance des gens

En  dehors des heures de l’école, Claude Cornu descendait dans le village entouré d’une nuée d’enfants,  visitait les jardins où les hommes irriguaient les plantations, les aires de battage où des mulets piétinaient les  gerbes de blé et en faisaient sortir les graines. Petit à petit, on s’habitua à lui, une relation de confiance s’instaura entre lui et les habitants d’Inurer à tel point qu’on ne s’étonna pas un soir de le voir  venir à un mariage sans y être invité. Il passera toute la nuit à regarder les hommes et les femmes chanter et danser, et « vers le matin, écrit-il, un homme me demanda de le suivre rapidement. Je me retrouvais dans une pièce où des femmes me servirent un mélange de galette émiettée et de lait. On m’assura que c’était la tradition. Plus tard, des enfants me firent comprendre que si on m’avait éloigné c’était pour que j’évite de rencontrer des « rebelles » qui s’étaient introduits dans le village ».
Cette confiance que lui accordaient les habitants d’un village assiégé par la guerre, se traduit dans les magnifiques  clichés qu’il a réalisé. « On me connaissait bien dans le village, écrit-il, et des femmes n’hésitaient pas à m’arrêter pour me demander de les prendre en photos. Les enfants, garçons et filles, posaient volontiers pour que je fasse leur portrait, croquis rapide ou dessin plus élaboré ou peinture. Isiya croisée dans la rue le lendemain de son mariage me demanda de la photographier mais au dernier moment baissa les yeux, peut être, un peu effrayée de son audace ».

La fin du service

Lorsqu’il  termine son service militaire et retourne en France, Claude Cornu ne rompt pas les liens avec l’Aurès. En plus des photographies et les dessins, il emmène avec lui des poteries, des sculptures réalisées par des femmes chaouies, des dessins réalisés par ses élèves et autres objets.
Quelques élèves continuent de lui écrire des lettres, mais cette correspondance cessa au bout de quelque temps et il perdit définitivement le contact avec Inurer.  

Pendant des décennies  il tentera de renouer le contact avec ses anciens élèves sans succès, jusqu’au jour où il reçoit un coup de file de l’un d’eux. En  ce jour de septembre 2009 «où pour la première fois depuis longtemps, se souvient-il, j’entendais au téléphone la voix de Brahim me demandant si j’étais bien Claude, l’instituteur de Nouader . Quelle émotion ! Bientôt ce fut Salah et d’autres… Les messages affluaient sur internet et à ma grande surprise venant d’enfants, de neveux ou cousins de ceux qui été mes élèves ».
Le souvenir de ce professeur sympathique et attachant  est resté vif dans les mémoires des habitants, mieux encore, il a été transmis aux nouvelles générations.

Le grand retour à Inurer

En 2010, Claude Cornu retourne dans les Aurès , et les retrouvailles avec ses anciens élèves furent  très émouvantes . Ses photographies l’ont devancé à Inurer, chacun y reconnaît un frère , une sœur , une grand-mère disparue , des paysages familiers…etc.

Un jour Claude Cornu rencontre un Moudjahid (ancien combattant de l’ALN) , ce dernier lui raconte un épisode qu’il ignorait totalement. Un jour qu’il se baladait dans la vallée en bas du village, ce moudjahid avec un compagnon avaient Claude Cornu au bout de leur fusil. Ne tire pas avait dit le premier moudjahid à son compagnon, lui il est protégé !
C’était le chef du village qui avait obtenu qu’on accorde cette protection à l’ancien instituteur. «  Tu as bien travaillé pour l’Algérie » dit le moudjahid à Claude Cornu.

Une autre rencontre émouvante fut celle d’un ancien élève devenu proviseur d’un lycée. « Alors que je partageais avec lui un café, écrit Claude Cornu, il me fit une déclaration que je n’oublierai jamais. ‘’Les hommes ne savaient rien me dit-il. Mohamed  est arrivé et il les a enseignés. Les enfants ne savaient rien, tu es venu et tu les as enseignés. C’est pour cela qu’on t’aime et te respecte’’. J’étais ému, étonné de cette comparaison qu’à mon avis je ne méritais pas . Je crois que ne sus rien d’autre dire que merci ».

Auteur
Jugurtha Hanachi

 




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