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Islamisme et patriotisme : quelques vérités nécessaires

TRIBUNE

Islamisme et patriotisme : quelques vérités nécessaires

Il aurait été préférable d’éviter cet étalage si les islamistes, pour tenter de se donner une belle image, n’ont pas été tentés, à chaque occasion, de récupérer Novembre qui en aucun ne peut leur appartenir, ni de près ni de loin. 

Profitant des confusions volontaires introduites dans l’écriture de l’histoire et de son enseignement à l’école qui donne la part belle aux Oulémas et leur rôle dans l’avènement du 1er Novembre, les islamistes se sont réellement pris pour les libérateurs du pays.

L’histoire officielle de l’Algérie indépendante est pour beaucoup responsable de l’encouragement des islamistes de se revendiquer de l’esprit de la proclamation de la guerre de libération nationale et la libération du pays du joug colonialiste. Très rares ont été ceux qui, avant 1954, ont brandi l’étendard de la religion dans une perspective nationaliste. 

Regroupés au sein de l’Association des ouléma musulmans, profitant de leur érudition en théologie —notamment les diplômés de Zitouna (Tunis), d’El-Azhar (Caire) et du Hidjaz (Arabie saoudite) — en face de croyants souvent analphabètes, certains ont été même parmi les plus grands défenseurs de la colonisation. Il se trouve que ce sont eux ou leurs disciples qui, non seulement ont combattu les nationalistes, n’ont rejoint — en tant qu’organisation religieuse — que très tardivement le principe de la lutte armée pour la libération nationale mais, en plus, au lendemain de l’indépendance, ont été les premiers à revendiquer la création d’un Califat en Algérie.

Le rôle joué par ces oulémas avant Novembre et au lendemain de l’indépendance est loin d’être un sujet de fierté pour l’Algérie et ses sacrifices pour sa souveraineté nationale et sa liberté.

Pour cette question d’Histoire qui reste à décortiquer, il ne sera retenu, ici, que les travaux, déclarations et écrits d’Algériens et publiés en Algérie, dont certains par des islamistes dans une vaine tentative de réhabiliter leurs précurseurs totalement condamnés par leur propre rôle joué avant et durant la période du Mouvement national de libération.

Il aura fallu attendre plus de trois décennies après l’indépendance du pays pour qu’un journal, public de surcroît, s’autorise à mettre le pied dans le plat pour montrer le véritable visage des oulémas par rapport à cette question de libération nationale.

Quoique forçant, peut-être, un peu le ton, l’auteur des déclarations ne reste pas moins pertinent: “Une des causes de l’impasse politique que vit l’Algérie est sans doute la manipulation et la falsification de son Histoire nationale, et plus particulièrement celle récente, relative au mouvement de libération nationale. La falsification a atteint à un tel degré que plusieurs générations ont été formées par l’école algérienne où l’on enseigne officiellement que c’est l’association des oulémas qui est à l’origine de la libération nationale en formant des militants nationalistes et révolutionnaires, en élaborant un vaste plan, sagement exécuté par ses fils, etc. (…) Même lorsque l’Association était obligée de prendre des positions politiques, elle n’a jamais remis en cause l’ordre colonial. (…) Aucun (auteur) n’a pu relever un rôle historique quelconque, reconnu à l’Association des oulémas dans l’œuvre d’indépendance nationale. En commettant un tel crime contre le pays et la Nation, les héritiers des oulémas portent une grande responsabilité dans l’impasse politique actuelle et dans la fitna. En falsifiant l’Histoire réelle, les avatars des oulémas ont préparé le lit au terrorisme qu’ils ont enfanté pour détruire l’Etat algérien né contre leur volonté”(1)

Dans le même ordre d’idée, un ancien ministre et Premier ministre et ancien militant du PPA, parlant de certains militants de l’Association des oulémas, est sans merci.Il assène ouvertement: “Ils ne pardonnèrent et ne pardonneront jamais aux idées et aux conceptions, incarnées par ce PPA, d’avoir prévalu sur les leurs et que la Révolution du 1er novembre et la conquête de l’indépendance nationale ne passent pas dans l’histoire comme procédant de l’initiative de l’Association des Oulémas et que les Oulémas n’en fussent pas les inspirateurs et les leaders reconnus devant les générations nouvelles et la postérité”. (2)

Le PPA/MTLD, le parti dont sont issus l’ensemble des signataires de l’Appel du 1er novembre 1954 proclamant la guerre de libération nationale, tous membres de son Organisation secrète (OS) avait tenu à avertir, quasiment en visionnaire, au moment même de la création de l’OS, à la fin des années 1940, que “le nationalisme algérien n’est pas une sorte de contre-croisade. Si la lutte nationale tend à libérer le culte musulman des entraves colonialistes, le mouvement national algérien ne doit pas être confondu avec une organisation religieuse ; de même, il ne faut pas confondre nationalisme et islam. Il faut dissocier la conscience nationale de la conscience religieuse. La qualité d’Algérien ne dérive pas de la religion ne dérive pas de la religion, pas plus qu’elle ne dérive de la race” (3). 

Il n’est pas inutile de rappeler que le PPA avait encore, dix ans plus tôt, quelque peu sous l’influence du mouvement culturel de la Nahdha moyen-orientale de Mohamed Abdou et du nationalisme arabe de Chakib Arselan, une conception du nationalisme, beaucoup moins éloignée de celle des salafistes. Il définissait, en effet, dans son journal El-Ouma la nation comme “un peuple ayant son unité dans la langue, dans l’histoire, dans la religion, dans la race” (4). 

L’évolution qualitative de la perception du contenu objectif du nationalisme algérien expurgé de la référence à la religion et à la race, a permis, en même temps, de faire un grand pas en avant qui s’est traduit par la création de l’OS et le passage à l’action armée pour libérer le pays. Cette évolution n’a été possible que grâce à la rupture, à la fois, avec les courants hésitants à l’intérieur du parti et avec d’une part, les vaines tentatives d’unité d’action avec les autres organisations plus ou moins assimilationnistes et, d’autre part, avec les oulémas qui, s’ils rejetaient l’assimilation, étaient idéologiquement bloqués pour donner un sens patriotique à leur nationalisme à contenu religieux et ethnique.

De toutes les tendances du mouvement nationaliste, la position des Oulémas a été la plus lente à se dessiner. Le 1er novembre 1954, Cheikh Bachir El Ibrahimi, sollicité par Ben Bella pour appeler les Algériens à se lancer dans la lutte armée refuse catégoriquement. A Alger, l’organe de l’Association des Oulémas s’abstient de tout commentaire sur l’événement. La réserve est de rigueur: 

 D’une manière générale, les Oulémas estiment l’indépendance irréalisable. En juillet 1955, ils souhaitent la suppression du deuxième collège, la libération des détenus n’ayant pas participé à la préparation de l’insurrection et des élections libres. Leur changement d’attitude intervient en 1955.

Leur président, Cheikh Larbi Tebessi, multipliera alors les contacts avec le Front. Et le 7 janvier 1956, désespérant de trouver un écho en France, pressés par les événements et l’impatience de leurs jeunes cadres, les Oulémas publient un manifeste. Ils conviennent «qu’il n’est pas possible de résoudre d’une façon définitive et pacifique l’affaire algérienne autrement qu’en reconnaissant solennellement et sans détour la libre existence de la nation algérienne, ainsi que sa personnalité spécifique, son gouvernement national, son assemblée législative souveraine et ceci dans le respect des intérêts de tous et la conservation des droits de chacun».   

En effet les Oulémas n’ont pas accueilli l’insurrection avec des cris de joie. En leur sein, Cheikh Larbi Tebessi, assassiné par les forces colonialistes, était celui qui, malgré un certain attentisme et des préjugés tenaces à l’égard des radicaux du PPA, avait le mieux compris que le légalisme appartenait au passé. Mais son flair politique ne pouvait se faire valoir dans un milieu que la peur de la violence révolutionnaire prédisposait au conservatisme. Ce sont donc ses adversaires, au sein de l’Association qui, en le marginalisant, seront investis de la confiance du plus grand nombre. Leur leader, Cheikh Kheireddine, tiendra à Ben Cheikh El Hocine El Mili, venu au nom du FLN lui demander son aide matérielle, les propos suivants: «Nous ne souhaitons pas être considérés comme des ennemis, mais, en 1945 nous étions alliés avec le PPA au sein du AML. Nous avons payé ses agissements. Cette fois la situation est différente. Nous ne sommes pas impliqués. Vous avez agi seuls, vous paierez seuls» (5).

L’historien algérien, Ahmed Nadir, rend compte de leur position en ces termes:

«L’adhésion des ‘ulama (Oulémas) n’a pas été immédiate et n’est venue qu’après des tentatives malheureuses et des espoirs déçus […]. Les ‘ulama sont, pour la plupart, d’origine bourgeoise. Bourgeois par l’aisance matérielle, mais aussi par la culture qu’ils croient posséder. Qu’ont-ils en effet de commun avec ces paysans dépossédés qui ont pris le maquis, ces semi-prolétaires qui sèment la terreur dans les villes et les autodidactes qui ont pris la tête du mouvement de libération? Il ne s’agit pas seulement d’une mésentente entre hommes issus de classes différentes. Ce qui sépare peut être le plus le FLN de ces bourgeois cultivés et lui donne une allure antipathique, c’est la présence en son sein d’éléments issus de la pègre des grandes villes. Le FLN héritier du MTLD, qui a toujours charrié des individus de toutes sortes (indicateurs de police, hommes de main, repris de justice, affairistes, etc.), a repris l’ancienne armature de ce parti et recrute ceux qui constituaient ses cadre ou ses militants» (6). 

Cette opinion reflète avec exactitude la position des ‘ulama au lendemain de Novembre. Leur crainte du FLN était telle que leur leader Cheikh Bachir El Ibrahimi, qui séjournait au Caire, cherchera protection contre ce mouvement auprès de Messali, qu’il ne portait pourtant pas dans son cœur. L’idée était de créer un « Rassemblement populaire algérien ». Des entretiens eurent lieu entre Cheikh Bachir El Ibrahimi, Brahim Bayoud, représentant de l’UDMA, et Ahmed Mezerna, responsable des relations extérieures du mouvement messaliste.

Les points d’accord entre eux se résument au refus de dissoudre leur organisation au profit du FLN et au souhait d’œuvrer en commun à la formation d’un front où chacun garderait son autonomie.

Toufik Rouabhi

Renvois

1) Maâmar Boudersa, Les enjeux politiques de l’histoire, in Algérie Actualités n°1431 du 16 au 22 mars 1993, Alger.

2) Mahfoud Benoune et Ali El Kenz, Le hasard et l’histoire, entretien avec Belaïd Abdeslam, tome I, Ed. Enag, Alger, 1990

3) Mahfoud Kaddache, L’histoire du nationalisme algérien, Tome 2, p. 813, Alger.

4) El Ouma du 1er septembre 1937

5) Voir Mohamed Harbi, 1954, la guerre commence en Algérie.

6) Ahmed Nadir, Le mouvement réformiste algérien. Son rôle dans la formation de l’idéologie nationale, thèse 3ème cycle, Paris 1968.

Auteur
Taoufik Rouabhi

 




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