Continuons notre périple d’entraînement à la passion de lecture pour une génération qui n’a pas été aussi francophone que nous l’étions mais qui en a certainement les capacités et l’envie.
Il s’agit aujourd’hui de partager une expérience de vie, un processus de connaissance qui s’épanouit au fur et à mesure du temps et pour lequel la littérature, si elle n’a pas été le facteur unique, en est le ressort déterminant.
L’Albanie, dans ma jeunesse algérienne, nous n’en connaissions rien ou à peu près rien si ce n’est sa position géographique. La raison est double, notre jeune âge mais aussi les conditions de repli historique dans lesquelles se trouvait ce pays, à cette époque.
Et comme toujours, l’inculture mène au pire comme elle peut pousser au meilleur. Pour moi ce fut le second cas car j’avais soif de connaître cette entité si étrange, un peu comme la Corée du Nord, sauf que son dirigeant était plus discret et donc moins fantasque.
L’occasion m’en a été donnée avec mes études à Paris, à Sc Po où il était aussi impossible d’ignorer l’Albanie qu’un étudiant en médecine, la localisation du foie. Et juste à cette période, avec l’ouverture plus marquée de ce pays, voilà que nous découvrons un écrivain albanais qui allait nous enchanter, aussi bien par ses interventions médiatiques que par ses merveilleux romans.
Ismaïl Kadaré n’est pas le seul écrivain albanais de talent, bien entendu, mais sa francophonie impeccable et sa magnifique prestance lors de ses interventions nous ont immédiatement persuadés de ce que, normalement notre instruction nous avait préparé mais sans en avoir une expérience concrète, l’Albanie est loin d’être le pays aussi caricatural que ne le laissait croire notre ignorance à son sujet.
D’Ismaïl Kadaré, je ne peux choisir une œuvre entre toutes car tous ses écrits sont d’une égale qualité. Lorsqu’on lit un livre de cet auteur, on lit un « Kadaré ». Mais s’il fallait vous en recommander un, il n’est pas si absurde de vous orienter sur celui qui eut le plus de retentissement, « Le général de l’armée morte ».
Pur intellectuel, Ismaïl Kadaré nous éblouit par sa parfaite maîtrise du français mais à un tel niveau, la langue importe peu, c’est le génie littéraire qui rend l’universalisme, ceux des grands écrivains.
Je fais très peu cas des parcours personnels des grands auteurs lorsque j’en présente un aux lecteurs algériens. Mais il est utile de comprendre l’itinéraire particulier de cet homme, fait député dans son pays à régime communiste puis tombé en disgrâce pour un exil forcé en France où il obtint l’asile politique.
Ismaïl Kadaré fut servi par une époque où les opposants du bloc de l’Est étaient les bienvenus pour participer à une certaine propagande des pays de l’Ouest. Mais dans son cas, comme dans celui de certains autres, l’exemple ni les arguments n’étaient usurpés pour lui accorder une telle place.
La littérature, c’est souvent le reflet de l’âme d’un peuple dirait un jeune lycéen dans sa copie. Ismaïl Kadaré est plus que cela, c’est l’âme d’une humanité qui a voulu conquérir sa liberté.
Ne soyez surtout pas effrayés par cette dernière précision, il n’est pas compliqué à lire et reste un immense romancier. Ces derniers sont toujours des conteurs d’histoires, abordables et plaisants. Ce sont des histoires qui sont mille fois plus efficaces que tous les essais et traités les plus obscurs, comme ce qui définit Zola pour le roman social du XIXème siècle.
Bonne lecture et rappelez-vous mon conseil permanent, ne soyez pas emprisonnés par une réputation ou un conseil de lecture. Il ne sont là que pour vous inciter à lire, si possible avec le plus grand plaisir, certainement pas pour vous obliger à une posture convenue et hypocrite.
Si vous n’aimez pas, ne vous en formalisez pas, au moins auriez-vous fait l’acte le plus important de la formation de votre esprit critique, lire et savoir des autres.