Vendredi 5 avril 2019
Isoler la Kabylie politiquement : le plan machiavélique des maîtres du moment
Ce qui s’est passé aujourd’hui vendredi 5 avril n’a rien d’anodin. Ce n’est pas le fruit du hasard. C’est une recette cuisinée dans les nouveaux laboratoires de la police politique, après l’avoir rattachée au ministère de la Défense nationale.
Objectif : isoler la Kabylie politiquement, en vue d’étouffer la révolution en marche. Première étape : l’isolement géographique. Des unités de gendarmerie avaient été dressées, tôt le matin, sur le tronçon reliant Tizi-Ouzou à Alger. Les chanceux qui ont pu échapper au contrôle dès la sortie de la ville de Tizi-Ouzou, ont été surpris par la fermeture de l’accès à l’entrée de la commune de Dar El Beida.
Des gendarmes, matraques et boucliers à la main, se sont dressés pour empêcher quiconque tenterait de rejoindre Alger-centre.
Des camions à eau ont été placés sur la chaussée au cas où des récalcitrants tenteraient de forcer le cordon. Scène inhabituelle depuis le début de la contestation.
Sur une vidéo amateur qui a circulé sur les réseaux sociaux, un député du FFS a demandé de laisser passer les citoyens. Il est vite recadré par un gradé. Fini le copinage avec les forces de l’ordre qui semblent avoir reçu des instructions fermes des nouveaux maîtres du moment.
Deuxième étape : discréditer les figures emblématiques du combat identitaire et démocratique de la région : Mokrane Aït Larbi et Said Sadi seront pris à partie par des « individus louches », envoyés par les conspirateurs de l’ombre.
Six semaines durant, les deux hommes ont marché sans qu’ils soient hués par les manifestants. Le timing choisi corrobore la théorie du complot.
Les vidéos montrant les deux hommes dans des postures désobligeantes ont vite fait le tour des réseaux sociaux avec des commentaires indécents. Les encagoulés du web qui se cachent derrière des claviers dans les laboratoires des services ont fait le service après-vente.
Le premier commentaire insultant est repris par une centaine de faux profils créés pour l’occasion.
La Kabylie a des traditions de luttes démocratiques, transmises de génération en génération, contrairement aux autres régions du pays. C’est ce qui fait peur aux nouveaux putschistes, trop pressés à enterrer la révolution pour prendre les rênes du pays dans un scénario semblable à celui de l’été 1962 où l’armée de l’extérieur s’est emparée du pouvoir par la force.
Le commandement militaire incarné par Ahmed Gaïd Salah, après avoir neutralisé le chef de l’État et sa fratrie, veut se positionner comme le messie tant attendu.
Les réactions timides devant cette manœuvre diabolique du reste des Algériens peut accélérer ce processus d’isolement.
Les chaînes de télévision comme Echourouk et Ennahar, organes de propagande du régime, peuvent nourrir cette stratégie. Une stratégie qui ne nous est pas étrangère puisque le chef de l’État destitué en a fait son cheval de bataille.
En 1999, lors de sa campagne présidentielle dans la ville des Genêts, Abdelaziz Bouteflika a insulté les Kabyles en les traitant de « nains ». Il savait qu’en crachant sur la Kabylie, il aurait le soutien des autres régions.
Le régionalisme a toujours été un des fondements du régime algérien. Comme on ne change pas une stratégie qui gagne, les conseillers de Gaïd Salah semblent reproduire le même schéma.
À ce stade de provocation avérée, nous devons rester vigilants car si celle-ci ne porte pas ses fruits, les nouveaux maîtres du moment peuvent passer à la vitesse supérieure.
La tentation du pouvoir est comme l’amour ; elle est aveugle, c’est la raison pour laquelle nous devons garder les yeux ouverts. C’est avec lucidité et clairvoyance que nous devons agir pour déjouer les manœuvres d’un régime politique en décomposition.
Salim Chaït