La Cour internationale de justice (CIJ) va examiner à partir de ce jeudi 11 janvier une requête de l’Afrique du Sud, qui accuse Israël de commettre des « actes génocidaires » sur les Palestiniens de la bande de Gaza. Israël rejette ces accusations.
C’est la première procédure devant la justice internationale concernant la guerre en cours. D’autres pourraient suivre. Trois questions à Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés.
RFI : L’Afrique du Sud a déposé une requête contre Israël auprès de la Cour internationale de justice pour « génocide ». La Cour examinera cette plainte entre jeudi et vendredi, entendant les arguments des deux parties. Comment accueillez-vous cette procédure ?
Francesca Albanese : En général, l’accueil de la communauté des droits humains a été très favorable. On attendait depuis longtemps un État ayant des principes et qui prenne l’initiative d’invoquer l’application de la Convention de prévention du génocide. Pas uniquement dans le but de porter en justice les responsables du crime de génocide une fois qu’il est avéré, mais surtout de prendre des mesures de prévention quand il y a un risque de génocide. C’est ce que l’Afrique du Sud a fait.
La campagne militaire israélienne contre la bande de Gaza a tué entre 23 000 et peut-être 30 000 personnes à Gaza – et notamment près de 10 000 enfants. Ce sont des chiffres épouvantables. Il y a aussi la destruction d’infrastructures civiles et des hôpitaux : on est en présence de conditions qui rendent la vie impossible pour une grande partie de la population. Enfin, il y a également le risque d’épidémie : la communauté scientifique alerte sur la possibilité que 500 000 personnes puissent mourir à Gaza en raison des maladies. C’est pour ça qu’on parle d’un risque concret de génocide à Gaza.
En plus de l’accusation de « génocide » portée devant la Cour internationale de justice, il y a aussi des accusations de crimes de guerre. Peut-il y avoir des procédures judiciaires pour ces faits-là ?
Nous devons avoir des procédures judiciaires, c’est absolument prioritaire, que ce soit à l’égard du Hamas, de ses responsables comme de ceux qui ont exécuté les attaques du 7 octobre – car il faut rappeler que les civils ne doivent jamais être la cible d’actions militaires, et c’est pour ça que je dis sans aucune hésitation que le Hamas a commis des crimes de guerre –, ou que ce soit à l’égard d’Israël ; Israël a commis des crimes de guerre après le 7 octobre et commettait des crimes de guerre avant le 7 octobre.
Mais il y a aussi la possibilité de crimes contre l’humanité. Parce qu’affamer une population par un siège, un blocus total imposé à une population bombardée, cela peut être un crime contre l’humanité. Regardez aussi le déplacement forcé et la menace de déportation d’une grande partie de la population de Gaza. Nous avons besoin d’une enquête indépendante et efficace.
Autres images qui ont choqué, celles d’arrestations d’hommes dans la bande de Gaza qui se sont retrouvés dénudés, les yeux bandés, les mains ligotées. Est-ce que vous avez des nouvelles du sort de ces personnes, de leurs conditions de détention ?
Absolument pas. Et ça, c’est un des problèmes les plus graves. Il est impossible d’avoir accès et de s’assurer des conditions de détention des milliers de Palestiniens arrêtés depuis le 7 octobre, à Gaza et en Cisjordanie. Il y a plus de 4 000 Palestiniens que l’armée israélienne a emprisonnés dans les derniers trois mois. Ce sont des chiffres énormes, qui s’ajoutent aux chiffres énormes de détenus arbitraires palestiniens par l’armée israélienne.
Nous sommes dans une condition d’urgence sans précédent. Cela a été dénoncé par les Nations unies, par les ONG internationales, palestiniennes et israéliennes qui sont sur place. L’énormité de ce qui se passe est telle qu’elle justifie une intervention internationale organique et efficace. Malheureusement, je ne vois pas les conditions pour déployer tout ça.
RFI
Allez directement à la 55e seconde pour écouter Me Gilles Devers (avocat spécialiste du droit international) sur la plainte déposée à la Cour internationale de justice