Le problème entre Israéliens et Palestiniens continue de faire rage et de scinder le monde en deux parties inconciliables. Tout le monde est quasiment sommé de choisir son camp s’il veut éviter d’être taxé de traître par les uns ou les autres. Lors d’une discussion entre amis, j’ai eu l’occasion d’échanger avec des observateurs de la scène politique qui étayent des points de vue nouveaux et non conventionnels.
Je vous reproduis quelques éléments du débat mené à bâtons rompus. Entre amis, on discute avec raison, sans se crépir les chignons et sans passion démesurée comme ça semble être le cas dans la plupart des média.
Depuis des décennies, le problème entre Israéliens et Palestiniens n’avance pas, sinon dans le mauvais sens, c’est à dire à reculons. Quel est l’état des lieux, au milieu de cette guerre qui n’en est qu’à ses débuts ?
Sur ce conflit, j’ai une vue assez simple. Deux modèles ont été testés par le passé, sans grands résultats pour la paix escomptée :
- Une solution à deux États qui n’a jamais fonctionné et ne fonctionnera probablement jamais car même si tout le monde en parle comme un objectif humaniste, juste et négocié par les institutions internationales, les deux parties n’en veulent pas vraiment, sinon ils l’auraient appliquée il y a longtemps. Il y a eu de nombreuses périodes historiques pendant lesquelles la solution à deux États aurait été possible. Aujourd’hui, elle semble utopique au vue de la réalité sur le terrain. Pour rappel, la Cisjordanie est un gruyère dont 60% du territoire est contrôlé par l’armée israélienne – comment imaginer un État avec plus d’une centaine d’enclaves d’un autre État ?
- Le statu quo. Cela fait près de 20 ans que c’est l’objectif clair de certains politiciens israéliens, notamment Netanyahou. Ce modèle – les tragédies de ces derniers jours (attaques terroristes du Hamas, réponse cinglante de l’armée israélienne) l’ont démontré – ne fonctionne pas non plus sur le long terme. Il s’est partiellement soldé par quelques résultats pendant 20 ans, pour Israël, pas pour la Palestine. Aujourd’hui, on voit bien que le statu quo a ses limites. En ce sens qu’il ne représente pas une solution pérenne (autodétermination pour les Palestiniens, sécurité pour les Israéliens) pour aucune des parties.
Quelles sont donc les alternatives une fois qu’on a réalisé que les modèles déployés jusqu’ici n’ont pas abouti ?
Le gouvernement israélien pourrait probablement essayer d’autres choix, les uns plus musclés que les autres. Il y a certainement de la demande pour essayer de nouvelles approches. Netanyahou pourrait, en toute vraisemblance, « profiter » du chaos actuel pour mettre en place des desseins qui paraissaient, jusqu’à il n’y pas si longtemps, complètement inimaginables. Dans la série des possibles solutions réalistes, on peut imaginer ces deux alternatives :
Une première solution « soft » : annexer la Cisjordanie et donner la nationalité israélienne à tous les Palestiniens qui y vivent, mais en imposant une forme de limite démographique. Le but étant qu’il n’y ait jamais de risque de majorité Arabe pour maintenir le caractère juif du pays. Il disposerait d’un série de moyens pour ce faire. Par exemple, une politique du nombre consistant à limiter les couples israéliens d’origine palestinienne à un seul enfant, comme c’était le cas en Chine jusqu’à il n’y a pas si longtemps. Cet objectif pourrait également être réalisé par des moyens techniques financiers via des pénalités pour des familles nombreuses. Mais comment oser procéder ainsi dans un pays démocratique où les droits des Israéliens d’origine palestinienne sont censés être les mêmes que pour les Israéliens juifs ? Deux possibilités : un État d’apartheid (et donc pas complètement démocratique) dans lequel une partie de la population pourrait avoir des droits amoindris (pendant une période donnée ; disons une génération ou deux) ou bien quelque chose de plus indirect, en limitant l’accès à l’éducation dans certaines régions (Cisjordanie). Les moyens techniques existent et il est assez certain que Netanyahou trouverait ces moyens pour aboutir à ses fins. On parle de 2.7 millions de Palestiniens qui seraient absorbés par Israël en plus des 700,000 Israéliens qui vivent dans les différentes enclaves et qui deviendraient des habitants du grand Israël incluant la Cisjordanie.
Guerre Israël-Hamas : sommet sur la question palestinienne au Caire
Quid de Gaza ?
Dans cette solution, les Israéliens pourraient contraindre les Égyptiens à accaparer Gaza en demandant au Président Sissi d’effectuer le sale boulot en éliminant le Hamas. Contre quelques milliards de dollars de soutien financier déboursés par les Etats-Unis, Israël et les monarchies du Golfe, Sissi imposerait un genre d’administration stricte et militaire. Les 2 millions d’habitants de Gaza obéiraient plus à un Sissi qu’à un Netanyahou. Mais cela nécessiterait plusieurs milliards par an, probablement 10 milliards pendant au moins une génération pour « allécher » l’Égypte.
Évidemment, cette solution se ferait sans droit de retour des plus de 5 millions de Palestiniens réfugiés dans les différents pays limitrophes.
Cette solution paraît déjà délirante, quel en serait le résultat ?
Oui c’est vrai, c’est une solution délirante mais qui parait réalisable dans le contexte actuel. Avec évidemment beaucoup de souffrances mais probablement moins que ce qu’il nous est donné de voir en ce moment même. Il faut être pragmatique, les divers gouvernements israéliens, mais surtout Netanyahou, ont tout fait pour éliminer l’idée d’un État Palestinien (les colonies et l’infrastructure en Cisjordanie y sont pour beaucoup). Surtout, étant donné ce qui vient de se passer à Gaza. Je doute fortement que les Israéliens acceptent que l’armée israélienne quitte la Cisjordanie avec le spectre qu’une mouvance islamiste violente prenne le dessus (Hamas ou autre).
Il faut noter que l’intégration des Arabes dans la société israélienne se passe plutôt bien. Évidemment c’est loin d’être parfait, mais – selon des échos qui nous parviennent çà et là – on peut admettre que les Arabes israéliens vivent bien mieux que leurs frères basés en Cisjordanie, Gaza et les camps de réfugiés au Liban, en Syrie, en Irak et en Jordanie. L’attaque du Hamas a renforcé le sentiment d’appartenance de ces Arabes à la société israélienne. On voit de plus en plus d’Arabes israéliens dire qu’ils sont d’abord Israéliens, puis Palestiniens. L’ordre compte beaucoup. La même chose pourrait avoir lieu pour les 2.7 m de Palestiniens basés en Cisjordanie et Jérusalem Est. Cela prendrait du temps évidemment, mais au fur et à mesure d’une intégration commerciale et sociétale, on peut imaginer un État Israélien dans 30 ans avec une majorité juive et une large minorité arabe, tous Israéliens, vivant dans une société moderne et puissante économiquement. Quant aux habitants de la Cisjordanie, ce sera probablement plus difficile sous administration Égyptienne que leurs frères de Cisjordanie sous administration israélienne, mais possiblement mieux que sous le Hamas. Une fois le Hamas nettoyé par Sissi, on pourrait imaginer une société se modernisant, profitant de sa proximité avec Israël et surtout de l’élimination de cette prison à ciel ouvert avec l’ouverture vers l’Égypte, pour se développer et prospérer économiquement.
Et la deuxième solution ?
La deuxième solution est « hard » : Israël décide de frapper fort, notamment sur Gaza, fait un genre d’extermination (Hamas en priorité mais sans se soucier outre mesure de l’impact sur la population et des massacres de masse que cela engendrerait inévitablement), affaiblit les Palestiniens physiquement et moralement. Sous prétexte d’éliminer le Hamas, ils peuvent en arriver à exterminer beaucoup de monde de manière cruelle, en se disant que même l’Allemagne a réussi à se tirer d’affaire après toutes les folies de la seconde guerre mondiale. Idem pour les Américains : après avoir largué du nucléaire sur Hiroshima et Nagasaki, guerroyé au Vietnam, occupé l’Irak, l’Afghanistan etc… ils ont réussi à s’en sortir et les quelques millions de morts ne leur pèsent pas sur la conscience outre mesure, alors pourquoi pas Israël, dans la logique de Netanyahu. L’impact immédiat serait énorme au niveau de la communauté internationale mais l’histoire et le temps feront l’affaire et tout finira par être presque oublié pour être considérée comme un simple jalon de l’Histoire tumultueuse des hommes.
On parle d’extermination de populations, c’est terrible !
Oui, c’est bien ce dont on parle et certains en Israël sont excédés et veulent trouver une solution extrême pour venir à bout de cette instabilité permanente. Évidemment, en majorité, les deux peuples ne sont pas en faveur de ces solutions excessives, mais je pense que le choc généré par les attaques du Hamas est tellement profond (pire attaque contre les juifs depuis la second guerre mondiale, il faut le rappeler) que certains guerroyeurs pourraient se dire qu’il n’y a malheureusement pas d’autre choix. Pour preuve, le carnage des Palestiniens ne s’est pas fait attendre et ça continue au moment où nous en discutons. J’ai espoir que cette deuxième solution ne soit utilisée que comme menace ou uniquement pour faire avaler la pilule de la première solution.
Dans la première solution, que deviendraient les 2 millions de Palestiniens de Gaza ?
Pour que cette solution puisse être implémentée, les États Unis devront demander à l’Égypte de récupérer et d’annexer le territoire et d’en faire une administration militaire. Sissi pourra s’occuper du Hamas contre quelques milliards d’aide militaire et financière qui s’étalerait sur une très longue période.
Palestine – Israël : attaque des uns, défense des autres, une sentence occidentale
C’est un secret de polichinelle que d’affirmer que le gouvernement et le peuple israéliens aspirent à garder le caractère juif de cette région du monde. Et l’unique solution pour ce faire est de limiter la population arabe. À la limite ceux de Cisjordanie, mais pas ceux de Gaza, avec le Hamas parmi eux. C’est probablement de cette façon que Netanyahou réfléchit.
Rien ne semble clair pour l’instant dans cette guerre, l’Égypte pourrait-elle vraiment accepter un tel accord ?
L’Égypte a déjà administré Gaza par le passé, elle peut le faire de nouveau. D’ailleurs, un des espoirs de l’évacuation du nord de Gaza était justement que l’Égypte ouvre la frontière au sud pour permettre aux Palestiniens de s’y réfugier, sans jamais pouvoir revenir. L’Égypte connaît bien la tactique et ne va pas tomber dans le piège avant que le carnet de chèque ne soit mis à disposition.
Pauvres humains ! tout se monnaie
L’Égypte ne veut pas le faire gratuitement. Le PIB de l’Égypte est de 400 milliards de dollars, pour plus de 100 millions d’habitants soit un PIB/habitant de près de 4,000 dollars. Un calcul simpliste consistant à dire que les habitants de Gaza ne sont pas productifs (ce qui est une exagération), il faudrait, au moins, 8 milliards (soit 2 millions d’habitants multiplié par les 4,000 dollars de PIB/habitant) pour que l’impact de cette annexation soit neutre pour l’Égypte. Il faut rajouter un peu plus pour motiver le gouvernement Égyptien. Je pense que contre 10 à 15 milliards d’aide par an sur 30 ans (de la part des États-Unis, Israël, l’Arabie Saoudite etc…), en plus d’un accord de sécurité, l’Égypte accepterait sans broncher d’effectuer le sale boulot à Gaza.
Mon Dieu, ça donne froid dans le dos pour les humanistes que nous sommes !
Le monde dans lequel nous vivons est trop violent et individualiste ! Malheureusement, il n’y a guère de place pour l’humanisme pur. Il faut une dose de réalisme. La situation sur place est tragique, aussi bien pour les Israéliens qui viennent de subir la pire attaque contre le peuple juif depuis la proclamation de l’État d’Israël (c’est un choc pour la population, il ne faut pas le négliger), que pour les Palestiniens qui souffrent depuis des décennies avec une politique publique de la part du gouvernement d’Israël qui ne leur est pas favorable. Rajouté à cela la réaction démesurée de l’armée israélienne à la suite de l’attaque du Hamas, Netanyahou ne se gênera point pour mener à terme son projet du Grand Israël. La situation est triste mais il ne faut pas tomber dans les pièges de la propagande des deux côtés. Il faut une solution pérenne. Les solutions proposées et implémentées jusqu’ici ont montré leur inefficacité. Avec son attaque, le Hamas vient de donner au gouvernement israélien une opportunité unique pour appliquer un plan dur.
Netanyahou voudra probablement rentrer dans l’histoire. Il n’est pas impossible que ses motivations soient d’ordre individuel. Il voudrait laisser une trace dans l’histoire d’Israël. Le nouvel Abraham, en somme.
Au finish, c’est comme avec toutes les autres espèces animales : le plus fort l’emporte sur le plus faible. Malgré ses millénaires de soi-disant civilisation, l’homo-sapiens n’a pas perdu son instinct naturel de guerroyeur aguerri, prêt à bouffer son frère pour survivre. L’hout yakel el-hout, comme on dit chez nous.
Synthèse réalisée par Kacem Madani