«J’aurais souhaité croire en Dieu… » me dit le jeune homme qui s’apprêtait à partir. Pourquoi Dieu ne fait-il rien pour nous ? Pourquoi reste-t-il silencieux ?
Je savais qu’il n’était pas toléré de blasphémer dans ce territoire. Dieu est une institution à laquelle on adresse des vœux et des attentes. Mon ami, qui était sur le point de quitter le pays, avait pour projet de ne plus y revenir. Alors, il s’est permis cette transgression. Il savait qu’ailleurs, il serait loin… Bien loin de l’intolérance des hommes. Et du jugement divin !
J’étais curieux et un peu envieux de son audace, je voulais creuser et comprendre sa pensée. Telle une fleur qui s’ouvre à la rosée du matin, il me dit :
« Chaque matin qui commence me semble riche en possibilités. En opportunités. À l’affût d’occasions, je scrute l’horizon des opportunités tel un trader. Faire quelque chose, expérimenter ce qui n’a pas encore été fait.
J’aurais aimé voir mon pays changer de mains et de destin. J’aurais aimé, comme tous les peuples, participer à la fête nationale qui m’est interdite dans mon pays, pour lequel un million et demi d’hommes et de femmes, les meilleurs d’entre nous, ont donné leur vie.
J’aurais aimé voir mes semblables être fiers de leur pays, qui leur offrirait un avenir radieux et possible.
J’aurais aimé voir ces anciens qui sont aux commandes lâcher prise et passer le flambeau aux nouvelles générations.
J’aurais aimé voir de vrais patriotes occuper les postes clés de mon pays.
J’aurais aimé voir une opposition variée qui surveille les faits et gestes des responsables. J’aurais aimé dormir paisiblement, sans la peur au ventre d’une descente de la police politique qui me réveillerait et m’éloignerait des miens.
J’aurais aimé voir émerger une génération de démocrates incorruptibles. Convaincus de leurs idéaux, ils ne pourraient se taire en échange de villas dans les quartiers chics d’Alger ou de lignes de crédit pour acheter des appartements dans les capitales occidentales.
J’aurais tellement aimé rencontrer ces hommes qui n’avaient rien à défendre, ni biens, ni image, ni position. Leur seul bien au-dessus de tout : l’Algérie. Ils ont tout sacrifié pour que naisse une Algérie affranchie du joug colonial. J’aurais tellement aimé les côtoyer, ne serait-ce qu’un instant. Respirer l’honneur qu’ils dégageaient. Sentir l’aura qui les entourait.
J’aurais aimé voir grandir l’idéal qu’ils portaient jusqu’à submerger le monde entier. J’aurais aimé voir nos croyants prendre soin des plus faibles, des orphelins et des veuves, sans se soucier du nombre de bonnes actions à inscrire dans le registre divin.
J’aurais aimé voir celui qui prie le faire pour son Dieu, pas pour ceux qui le regardent.
J’aurais aimé voir les personnes dévouées s’occuper de leur foi et de leur relation avec leur créateur, sans se plaindre de celles de leur voisin.
J’aurais aimé voir les femmes âgées de mon pays vieillir paisiblement, sans s’immiscer dans les affaires de voisinage, sans médire et maudire les jeunes filles qui osent sortir en jupe ou en vêtements moulants. J’aurais aimé voir les cheveux des femmes onduler librement dans l’air.
J’aurais aimé voir toutes ces femmes emprisonnées dans des vêtements qui les dissimulent se libérer, prendre le risque de s’embellir sans craindre la colère des hommes. Et celle de leur Dieu
J’aurais aimé croire en un Dieu qui permettrait tout cela dans cette partie du monde appelée l’Algérie.
J’aurais aimé croire en un Dieu qui interviendrait en faveur de tous mes vœux.
J’aurais aimé croire en Lui… Vraiment.
En fin de journée, moment difficile. Bilan maigre. Encore une journée qui s’ajoute aux oubliettes.
Dieu n’a rien exaucé… »
Je voulais en savoir plus, mais il était déjà loin. Une embarcation de fortune l’attendait pour l’Europe, m’a-t-il dit.
Les vents sont favorables ce soir… L’horizon s’assombrit. Je devais rentrer seul.
Saïd Oukaci, doctorant en sémiotique