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Je m’interdis de dire du bien de mon pays natal !

On me le reproche depuis ma jeunesse. Tu n’es jamais positif, tu ne rends jamais assez d’honneur à ton pays, tu es un hizb frança, un traître à ta patrie et d’autres remarques que la décence ne permet pas de reproduire.

Alors, lorsque je sors de mon silence à cette question car elle si éternelle que je suis épuisé de la reformuler, voilà l’image que j’expose depuis tant d’années.
Suivez-moi dans cette route qui explique tout, écoutez et ne lâchez pas ma main.

Nous commençons notre périple dans un lieu qu’on appelle pudiquement un centre de détention et que je qualifie de basse-fosse de la barbarie.
Vous voyez ce pauvre malheureux, on va lui parler.
_ « Bonjour, que faisiez-vous dans la vie ?
_ J’étais journaliste et je rapportais les nouvelles.
_ Tu as du en rapporter une qui est fausse ou dangereuse pour avoir droit à un séjour dans ce bel hôtel ?
_ J’ai effectivement été coupable d’un crime et je l’avoue. J’ai honteusement raconté l’actualité se déroulant devant mes yeux. »
Viens, nous allons visiter une autre chambre :
_ « Bonjour, et vous pourquoi êtes-vous là ?
_ J’ai écrit un livre et je ne me suis pas rendu compte que c’était insulter la nation et sa dignité. J’ai un grand remords, je demande pardon ».
Puis nous arrivons au troisième :
_ Bonjour, le geôlier m’a dit que vous êtes un opposant politique. Vous êtes coupable d’un attentat, de la préparation d’un coup d’état ou d’une intelligence avec l’ennemi ?
_ Non, pire encore, je me suis opposé à la politique de notre grande et vaillante nation. J’ai maintenant la conscience de ma très haute trahison. »
Et nous avons continué notre périple très loin et longtemps. Je leur ai dit, vous me voyez sérieusement dire au premier que la constitution instaure la liberté d’expression.

Au second que l’Algérie encourage la littérature par tant de salons et autres événements à sa grandeur. Quant au dernier, m’entendez-vous lui dire qu’il est scandaleux de trahir son pays alors que nous pouvons le critiquer librement sur le territoire national. Et ainsi de suite. Toute ma vie j’ai vu et entendu les horreurs les plus barbares concernant mon pays. Mes amis se disant démocrates me disent toujours, « Boumédinne, tu confonds le régime politique et la majorité des algériens. »
Ah bon ? On les a obligés, les armes à la main, d’aller voter pour le plébisciter. A-t-on réalisé qu’une fraude aussi massive sur les résultats demandait la présence de Kim Il Jun au pouvoir qui lui, imprime de son bureau les bulletins de vote avec la petite croix au bon endroit.

Avez-vous vu l’armée menacer la population pour aller manifester massivement leur soutien au pouvoir en hurlant au passage du président. Les a-t-on menacés s’ils ne le faisaient pas ?

Comment voulez-vous dans ces conditions qu’à chaque fois que je prends mon clavier d’ordinateur ce soit pour raconter qu’il y a des oiseaux qui chantent, des fleuves qui coulent, des usines qui poussent comme des champignons et que le pétrole se vend mieux que les betteraves ?

Me voyez-vous dire à un mourant qu’il fait beau dehors ? Et dire aux centaines de prisonniers politiques que notre pays est baigné de soleil et qu’ils ont tort de rester enfermés dans des cellules sombres ? Me voyez-vous raconter la beauté des écrits de nos auteurs libres à ceux qui croupissent en prison ou réduits au silence ?

Me voyez-vous dire à la mère isolée et sans revenu que l’Etat fait des efforts de politique sociale et de logement immenses et que les voitures de luxe qui sillonnent dans la ville sont celles des travailleurs sociaux et des institutions caritatives ?

Voilà pourquoi je m’interdis de commenter positivement l’Algérie à chaque actualité portant sur sa grandeur et dignité. J’insulterais la vérité.

Vous me demandez s’il m’arrive parfois de dire du bien de mon pays. Oui, tout le temps mais de celui qui est le mien pas l’horreur qu’on me dit être le mien. Suivez-moi cette fois-ci dans mon récit du magnifique pays dont je vous parle.
Il est beau, vous allez le croire lorsque je ne tarirai pas de vous le raconter.

Boumediene Sid Lakhdar

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