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Je n’oublie pas l’anniversaire de Bouteflika !

TRIBUNE

Je n’oublie pas l’anniversaire de Bouteflika !

Vous fêtez aujourd’hui, en ce 2 mars, vos 82 ans. Malgré votre âge avancé et votre statut de chef de l’État algérien, vous comprendrez que je ne vous affuble pas du titre de « Monsieur le Président de la République », car à mes yeux, dépourvu de toute légitimité démocratique, ayant accédé au pouvoir grâce à la prédation et à la fraude, sans vous soucier de la volonté populaire, tout en violant, à maintes reprises, la loi fondamentale du pays, vous n’êtes pas digne de ce statut qui confère à son détenteur le droit et le privilège de représenter la nation et chaque citoyen.

D’ailleurs, de ce point de vue, je n’ai jamais considéré que pourriez être mon représentant. Ni mon président. J’ai quitté l’Algérie, quelques mois après votre arrivée au pouvoir, contraint par une police aux ordres, les habituelles magouilles de la sécurité militaire, celle-là même qui vous a fait roi et une justice instrumentalisée, en expliquant à mon entourage que le pays allait être méthodiquement détruit par vos soins. Certains pensaient alors que j’exagérais. Idem lorsque je vous ai consacré en 2011 le pamphlet que vous méritiez « Bouteflika ses parrains et ses larbins ». 

Avec un recul d’une vingtaine d’années, vos défenseurs, vos soutiens intéressés, ceux que vous avez réussi à feinter et le peuple algérien peuvent tous apprécier aujourd’hui la situation dans laquelle vous avez mis le pays et votre propre fonction présidentielle, devenue, la risée de toutes les capitales.

Vous inspirez désormais davantage les humoristes que les éditorialistes que vous arriviez jadis à séduire par votre bagout trompeur et votre verbiage menteur.

Si vous n’êtes pas un président, vous n’êtes pas non plus, à mes yeux, à la tête d’une République. Car les Algériens n’ont jamais eu l’occasion d’élire leur dirigeant. Comme tous vos prédécesseurs, vous êtes arrivés par cooptation, décision prise dans des salons et des cabinets, entre galonnés et autres faiseurs de rois qui vous ont offert le pays sur un plateau en argent. Ils pensaient que vous alliez sauver, non pas l’Algérie, mais ce régime. Eux aussi, vos parrains d’hier peuvent apprécier la nature de leur choix. Vous êtes arrivés à un moment où ce système était en danger et vous allez, espérons-le, repartir, vous et ce même système.

Donc vous comprendrez que je me suffirai de Monsieur Bouteflika, même si j’use du « Monsieur » par égard au lecteur, par respect à la langue française et pour ne pas me laisser emporter par cette colère saine, juste, justifiée qui vit au plus profond de mon être depuis toujours et qui s’est démultipliée durant les vingt dernières années. Non pas que je puisse avoir un quelconque problème personnel avec vous. Je n’ai heureusement rien à devoir à aucun dirigeant algérien, ni à vous même ni à un autre, car je ne suis ni le larbin ni l’obligé d’aucun général et d’aucun ministre.

Mon souci, ou plus précisément tous mes problèmes émanent de mes engagements. Un mot qui vous est totalement étranger, car des valeurs vous n’en avez jamais eu. Votre seul « engagement », vous le savez, vous l’expert en chausse-trappe qui, depuis sa jeunesse, passe par des manigances et des manœuvres dans l’unique but d’atteindre et de garder le pouvoir. Pour le pouvoir. Donc toutes les critiques, que je n’ai eu de cesse de formuler, durant toutes ces années, émanent, non pas d’un règlement de comptes dont votre régime est coutumier ni d’un quelconque « complot ourdi à partir de l’étranger », sémantique dont votre système est friand, mais d’une réaction naturelle qui amène un observateur à se révolter devant vos agissements.

Appréciez une chose extraordinaire chez les Algériens. Tout de même, je le dis, d’autant plus aisément, que je ne suis habituellement ni tendre ni complaisant à l’égard de ce peuple que d’aucuns dans votre entourage et avec votre accord, veulent entraîner depuis longtemps vers l’abrutissement. Appréciez le civisme et le pacifisme dont a fait preuve ce peuple alors que, je le dis honnêtement, franchement et brutalement, il est légitime, au regard de ce qu’il subit, s’il devait laisser libre-cours à sa colère et à sa passion, de sortir dans la rue, de tout casser, de tout détruire, de venir à Zéralda, de vous faire sortir de là, de vous faire subir, à vous et à votre fratrie et à vos larbins, ce qu’a subi Kadhafi ou Ceaușescu.

Pour l’instant, le peuple offre des roses à la police, composée des enfants de ce pays que vous ne cessez d’humilier, et derrière laquelle se cache votre régime et malgré les provocations et les outrances de votre ambitieux Premier ministre, dont nulle d’ailleurs, n’ignore les basses manœuvres, ce même peuple reste lucide, évitant, avec beaucoup de maturité politique, tous les pièges que vous lui tendez.

Le peuple est pacifique. Il chante non seulement votre départ et réclame désormais la fin du régime que vous incarnez. Il le fait dans les rues de toutes les villes et de tous les villages. Il ne vous promet pas le sort de Kadhafi, pour l’instant, il vous propose, celui de Ben Ali. Finir votre vie aux frais du contribuable algérien à Abou Dhabi serait quand même l’aboutissement d’un deal qui n’aurait rien d’humiliant pour vous. N’est-ce pas ? Partez ! Vous qui avez fait partir tant d’Algériens. Partez ! partez et ne revenez plus jamais. Ni vous ni vos frères. Personne ne pleurera votre absence, car vous avez toujours été déconnecté de ce peuple et de ses aspirations profondes.

Car qui êtes-vous en vérité ? Un petit usurpateur – et cela n’a rien à voir avec votre taille – qui depuis soixante-trois ans s’est agrippé au train de l’histoire en se retrouvant dans le bon wagon, celui de Houari Boumediène, dans le confort de la fameuse « Wilaya V », ensuite dans la cour de ce dictateur sanguinaire, qui a fait de vous son dévoué et qui vous a probablement permis, grâce à ces accidents que provoque parfois l’histoire, d’exister en tant que responsable politique. Usurpateur aussi parce qu’il fallait vraiment un alignement des planètes et la main de fer de votre protecteur dictateur Boumediène pour vous donner la possibilité de diriger la diplomatie algérienne, de prendre part à toutes les magouilles et à toutes les manœuvres, y compris celles qui vous ont emmené, d’une manière ou d’une autre, nous le savons désormais, à participer de près ou de loin, à l’élimination physique de Medeghri, pourtant un temps votre ami, à l’assassinat de Mohamed Khider et celui de Krim Belkacem, mais également, toujours ce fameux poste de ministre des affaires étrangères qui vous a autorisé, certes de construire votre légende, à détourner, au passage, plusieurs millions de dollars pour assouvir votre légendaire goût immodéré pour le luxe et la luxure. Mais je ne vais pas m’étaler sur ces aspects de votre psychologie que j’avais déjà évoqués dans un précédent ouvrage (Bouteflika ses parrains et ses larbins) et qui ont été, très récemment, corroborés par des informations déclassifiées des services de renseignement français, largement commentées dans la presse. C’est dire que l’homme, donneur de leçons que vous fûtes et que vous êtes toujours même si votre voix s’est éteinte, surfant sur cette fameuse rhétorique nationaliste, poussant le citoyen à adopter un discours haineux, tantôt anti-marocains, tantôt anti-français, vous le pseudo nationaliste, patriote du vendredi, pseudo combattant pour l’indépendance, si je devais utiliser vos codes langagiers, je dirais, tout ça, tous ces discours enflammés, tout ce populisme nationaliste pour finir soumis, sur un lit d’un hôpital militaire parisien, celui du Val-de-Grace, pour une coloscopie ! En termes de fierté, les Algériens ont vu mieux.  

Normal, en vingt ans vous avez été incapable de construire un hôpital capable de vous soigner, vous et les membres de la gérontocratie algérienne. En lieu et place d’un vrai hôpital ou d’un vrai système de santé qui aurait bénéficié aussi au peuple, vous avez préféré une « grande mosquée ». Si la révolution joyeuse, comme on l’appelle désormais, aboutit à l’édification d’une démocratie, vous n’aurez même pas l’occasion de l’inaugurer.

Ce que je souhaiterais commenter à l’occasion de votre anniversaire, c’est votre bilan. Votre bilan en tant qu’autocrate. Votre bilan certes est aussi celui du système que vous incarnez. Regardez bien le peuple algérien : depuis l’indépendance, vous et vos semblables, vous l’avez méthodiquement divisé convoquant surenchères régionalistes, questions identitaires et utilisant la logique de la marginalisation et du mépris. Vous avez manipulé l’islam, tout en vivant, lorsque vous fûtes trentenaire, en jouisseur ; vous avez manipulé l’arabité et le socialisme tout en vivant comme un milliardaire californien.

Ce peuple qui tente de se reconstruire aujourd’hui et de faire société à travers une unité refaçonnée, vous l’avez humilié l’amenant tantôt à s’exiler tantôt à rejoindre les rangs des organisations terroristes pour assouvir la haine que vous avez semée en lui. Et justement ! L’islamisme. Ce totalitarisme que vous utilisez, que vous manipulez à souhait pour justifier et monnayer ensuite le soutien des puissances occidentales. L’usurpateur que vous êtes fait croire qu’il serait un rempart contre l’islamisme. Vous qui rasiez les murs durant la décennie sanglante, incapable de condamner un seul acte terroriste, quand le peuple se faisait massacrer par les hordes du GIA et de l’AIS que vous avez amnistiées.

Cette doctrine islamiste dans laquelle vous vous reconnaissez, vous l’être ambivalent, qui, à Paris, viviez comme un dandy fantasque et libertaire et à Abou Dhabi comme un bigot archaïque et ascète. Vous le caméléon, en constante transformation, dans l’unique objectif de leurrer ceux qui l’entourent. Vous avez passé votre vie à mentir, à trahir et à tromper. Raison pour laquelle vous vous retrouvez aujourd’hui, au-delà de votre fratrie, dépourvu de tout réel ami et de tout sincère allié désintéressé. Ce peuple donc – et notamment sa jeunesse – que vous avez voulu donner en offrande à la Méditerranée préfère en effet mourir que vous subir. À votre place, franchement, je ne me serais pas accroché au pouvoir, j’aurais même réclamé l’euthanasie pour essuyer l’affront que vous subissez et que vous allez encore subir. Je suis excessif ? Vraiment ? Des richesses dilapidées, des institutions détruites, une corruption installée dans le pays comme culture de substitution, un système éducatif sinistré, des hôpitaux que vous évitez radicalement de fréquenter, tout comme tous les membres de votre régime, des Algériens aux quatre coins du monde, exilés, déracinés, parfois empêchés d’obtenir un passeport pour leurs enfants pour avoir commis le blasphème de vous critiquer. Une économie exsangue, des villes sales où des habitations insalubres côtoient les bidonvilles où même les immeubles haussmanniens, héritage de l’époque coloniale, n’ont jamais connu d’entretien ou de ravalement tombent en ruines à l’image de tout un pays, pendant que vous et votre clientèle érigez villas et palais comme s’il vous fallait narguer cette population, souvent démunie et désœuvrée, afin de rajouter de l’Indécence au mépris. Oui Monsieur Bouteflika, jusqu’à la dernière seconde de votre vie et même au-delà je ne cesserai de vous exprimer mon mépris.

Votre bilan, les Algériens le connaissent très largement, hormis ceux que votre régime arrive à acheter encore avec un « casse-croûte » composé de pain rassis. Non, ils le subissent. Votre bilan est visible sur les visages de ces jeunes chômeurs édentés par la misère qui ne rêvent que d’un ailleurs idéalisé, il est visible aussi dans les villes et les villages. Votre bilan ? Certains prétendent que vous auriez rétabli la paix. Quelle paix ? Celle qui permet à un terroriste de se pavaner librement dans les rues en vous apportant son soutien pour que vous puissiez, de manière indécente, poursuivre votre présidence voulue à vie, pendant qu’un démocrate est obligé de raser les murs, en Algérie, ou ailleurs, aux quatre coins du monde. La seule œuvre à mettre à votre actif, c’est celle qui a inversé justement toutes les valeurs : le tueur fanatique devient un brave citoyen et le citoyen paisible est transformé, dans votre logiciel, en un être humilié, le vil corrompu se mue ainsi en juge et le policier honnête en prisonnier de droit commun. Dans un pays où vous êtes, vous président, tous les miracles peuvent se produire. Vous avez réussi à démanteler les institutions, à fracturer la société, à abimer davantage le pays, mais, malgré tout, vous et vos soutiens, estimez que cela n’est pas suffisant et que votre œuvre doit se poursuivre.

Au moment où la vie est en train de vous humilier, en faisant de l’homme flamboyant que vous fûtes, un potentat avachi, sans colonne vertébrale, obligé d’être harnaché, je me permets de vous dire que l’Algérie peut accepter d’être dirigée par un infirme, mais jamais par un homme incapable de tenir sa tête haute. Mourir au pouvoir, telle est votre obsession. À votre place, je n’aurais qu’un objectif mourir tout court.

En espérant que ce sera la dernière fois qu’on sera amené à nous rappeler de votre anniversaire, car ce que nous aimerions fêter c’est la date de naissance de la démocratie algérienne.  

Auteur
Mohamed Sifaoui

 




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