Jean-Michel Lecocq, écrivain prolifique né à Bogny-sur-Meuse, dans les Ardennes, a suivi des études littéraires et juridiques avant d’entamer une carrière dans l’Éducation nationale, qu’il conclut en tant qu’inspecteur d’académie. Depuis sa retraite dans le Var, il se consacre pleinement à l’écriture, publiant des romans policiers et historiques qui rencontrent un large public.
Son parcours littéraire débute avec un recueil de poèmes en 1972. À partir de 2009, il enrichit son œuvre avec plusieurs romans, dont Le secret des Toscans (Éditions Parole) et Le Christ jaune (Éditions Ex Æquo), qui témoignent de son attachement aux régions qu’il connaît bien, comme les Ardennes et la Provence. Parmi ses romans les plus marquants, 24 (Éditions Ex Æquo), un thriller historique plongeant le lecteur dans le Paris de 1572, est présélectionné pour le prix Cognac du roman policier francophone en 2012. En 2014, Rejoins la meute ! (Éditions Ex Æquo) est sélectionné pour représenter les Cévennes au prix France Bleu-Page des Libraires.
En 2024, il publie La Fille aux semelles de vent (Éditions des Libertés), un roman inspiré par la figure d’Arthur Rimbaud et mis en avant lors d’une tournée littéraire dans les Ardennes. Son dernier roman, L’amnésique de Pont-Aven (Éditions Ex Æquo), constitue la neuvième aventure du commissaire Théo Payardelle. Ce polar entraîne le lecteur dans une enquête mystérieuse mêlant art et intrigue : le commissaire accompagne sa compagne, une galeriste, venue expertiser une toile de Gauguin à Pont-Aven.
Le lendemain, elle est retrouvée inanimée, tandis que Payardelle est victime d’un accident de voiture qui le laisse amnésique. Ce roman explore avec subtilité les liens entre mémoire et identité, interrogeant la fragilité du souvenir et la construction du passé à travers l’enquête du commissaire.
Lecocq est reconnu pour sa capacité à allier intrigue policière et profondeur historique, offrant à ses lecteurs une immersion dans des lieux chargés d’histoire et des récits minutieusement construits. Son style fluide et précis séduit un large public, faisant de lui une figure majeure du roman policier contemporain. À travers ses écrits, il contribue à la mise en lumière d’un patrimoine culturel et régional, tout en renouvelant le genre du polar avec des intrigues intelligemment tissées. Son dernier ouvrage, en particulier, illustre son savoir-faire dans l’art de mêler suspense et contexte artistique, inscrivant son œuvre dans une continuité qui ne cesse d’enrichir la littérature policière française.
Dans cet entretien, Jean-Michel Lecocq nous dévoile son parcours d’écrivain, marqué par une passion pour l’histoire et le roman policier. Auteur prolifique, il a su captiver ses lecteurs en mêlant enquêtes captivantes et profondeur historique, faisant de ses récits de véritables voyages à travers le temps et les lieux.
Son dernier ouvrage, L’amnésique de Pont-Aven, illustre parfaitement cette approche, offrant une intrigue où l’art et le mystère se conjuguent dans une atmosphère intrigante.
Le Matin d’Algérie : Votre carrière littéraire a débuté avec un recueil de poèmes en 1972, mais c’est à partir de 2009 que vous vous êtes imposé comme romancier. Qu’est-ce qui a déclenché cette transition vers le roman, et en particulier le roman policier ?
Jean-Michel Lecocq : 2009 a précédé l’année de mon départ en retraite. Cette liberté retrouvée allait m’octroyer une disponibilité suffisante pour me consacrer pleinement à ma passion, l’écriture romanesque. Ecrire des romans policiers correspondait chez moi à un goût prononcé pour le mystère. Sans doute ai-je dû également subir l’influence de mon père qui était un grand amateur de littérature policière. Je portais en moi des idées d’intrigues dues sans doute à une imagination débordante et que j’ai mises en mots en enchaînant les romans, à raison d’une publication par an.
Le Matin d’Algérie : Vos romans sont souvent ancrés dans des régions que vous connaissez bien, comme les Ardennes ou la Provence. En quoi ces lieux influencent-ils vos intrigues et votre écriture ?
Jean-Michel Lecocq : Plusieurs de mes romans se situent dans ma région natale et d’autres sur ma terre d’adoption, la Provence. Certes, mais quelques-uns d’entre eux s’inscrivent sous d’autres cieux, dans des régions ou des pays où j’ai séjourné et qui ont su me séduire.
En fait, j’éprouve le besoin d’inscrire les intrigues de mes romans dans des endroits que j’aime et qui ont su stimuler mon imagination. Il y a une autre raison à cela : on ne peut choisir comme décor à ses intrigues que des lieux que l’on connaît bien et qui vous parlent. C’est une question de respect du lecteur et une question d’authenticité des descriptions. C’est sans doute pour cela que l’on me définit comme un romancier naturaliste qui a le souci de se documenter avant de coucher ses intrigues sur le papier.
Le Matin d’Algérie : Vous avez créé des personnages récurrents, comme le commissaire Théo Payardelle et le commandant Tragos. Comment ces personnages ont-ils évolué au fil de vos romans, et que représentent-ils pour vous ?
Jean-Michel Lecocq : À quelques exceptions près, je compare volontiers mon œuvre littéraire à une toile d’araignée qui se complexifie à mesure que j’avance dans mon travail d’écriture, une toile dont la texture constitue un univers qui se nourrit, à l’occasion de chaque roman, de personnages nouveaux, de lieux mais aussi de récits entre lesquels se créent des liens. Une toile dont les fils sont autant de passerelles. Mon œuvre romanesque n’est pas une juxtaposition d’univers clos, étrangers les uns aux autres, mais qui, au contraire, peuvent à certains moments, communiquer entre eux.
Les meilleurs exemples sont sans doute ceux de « Disparitions » et du « Roman oublié », dans lesquels mes deux personnages récurrents, Payardelle et Tragos, finissent par se croiser et par coopérer dans la résolution de deux enquêtes qui se rejoignent et n’en font plus qu’une seule. Si l’on peut considérer qu’une œuvre romanesque est une accumulation de titres, on peut aussi considérer qu’elle est un univers en expansion qui s’enrichit, au fil des titres, de personnages qui, par moments, s’entrecroisent et de situations qui s’enrichissent mutuellement.
Quant à savoir ce que mes personnages centraux représentent à mes yeux, je serais tenté de répondre qu’ils sont, chacun à sa façon, un part de moi-même vue sous des angles différents. Chacun d’eux, Payardelle comme Tragos, véhicule un peu de ma personnalité, de ma mémoire, un peu de mon ADN et, qui sait, un peu de ce que je ne suis pas mais que j’aurais aimé être.
Le Matin d’Algérie : Dans, La Fille aux semelles de vent, vous vous inspirez de la figure d’Arthur Rimbaud. Qu’est-ce qui vous a conduit à explorer cet univers, et comment avez-vous travaillé pour intégrer son esprit et son parcours à votre récit ?
Jean-Michel Lecocq : Je suis d’origine ardennaise comme Arthur Rimbaud et j’ai suivi mes études secondaires dans les murs où il a accompli les siennes. Cela vous marque un homme. Les Ardennais sont très attachés à ce poète et je ne fais pas exception à la règle. J’ai lu sa poésie et toute la littérature qui lui est consacrée. En tant que romancier, il était tentant pour moi d’en faire le personnage d’un de mes romans, en l’occurrence « Le squelette de Rimbaud ».
Dans un passé récent, j’ai découvert le personnage d’Alfred Bardey qui fut l’employeur de Rimbaud dans la Corne d’Afrique et ses mémoires intitulées « Barr Adjam » sans lesquelles personne n’aurait rien su des dix dernières années de la vie de celui qui avait fui la France, son passé et surtout la poésie.
À Harar, Rimbaud a vécu avec une jeune Abyssinienne qu’il a quittée d’une façon pour le moins inélégante. J’en ai conçu de la compassion pour cette jeune femme et j’ai décidé de leur inventer une fille qui, en atteignant l’âge de dix-huit ans, décide de s’embarquer pour la France afin de découvrir le pays natal de son père et sa famille paternelle. C’est le point de départ de « La fille aux semelles de vent ». C’est aussi une belle occasion de dépeindre la famille Rimbaud, un cercle familial fermé, pratiquant l’exclusion. Par ailleurs, dans un autre ordre d’idées, ce roman a été un facteur déterminant dans la réhabilitation de la sépulture d’Alfred Bardey dans le Doubs et dans sa sortie de l’oubli.
Le Matin d’Algérie : Votre dernier roman, L’amnésique de Pont-Aven, mêle art, mystère et mémoire. Pouvez-vous nous parler de l’inspiration derrière cette intrigue et des thèmes que vous avez souhaité explorer ?
Jean-Michel Lecocq : Il est clair que l’art et les artistes tiennent une place importante dans mon imaginaire et sont une puissante source d’inspiration. Sans doute, est-ce là la conséquence de ma formation littéraire et, plus largement, en sciences humaines. Gauguin, Rimbaud, Gaboriau et bien d’autres constituent le matériau privilégié de ma création romanesque. Ils étaient déjà plusieurs grands peintres à apparaître dans un de mes premiers romans, « Le Christ jaune ».
Leur succédera bientôt un personnage historique, Lapérouse, car le roman historique m’a toujours attiré comme ce fut le cas de « 24 » ou, plus récemment, de « La fille aux semelles de vent ». S’agissant de Gauguin qui se situe en arrière-plan de « L’amnésique de Pont-Aven », il est à lui seul, comme bon nombre d’artistes de son temps, un personnage romanesque. Dans cette intrigue bretonne, j’ai aussi cherché à réinvestir les acquis de ma formation universitaire sur le thème de la mémoire, de sa construction mais aussi de sa reconstruction.
On retrouve dans mes romans ce qui justifie le titre de la collection des éditions Lajouanie : « Romans policiers mais pas que… ». Derrière l’enquête policière au sens strict du terme, on trouve un arrière-plan qui évoque, selon les titres, un problème de société, un thème artistique, un volet historique ou encore un sujet scientifique.
Le Matin d’Algérie : Vous êtes reconnu pour votre capacité à mêler intrigue policière et contexte historique. Comment parvenez-vous à équilibrer ces deux dimensions dans vos récits ?
Jean-Michel Lecocq : C’est sans doute la question à laquelle il est le plus difficile d’apporter une réponse. Je serais tenté de répondre spontanément que c’est dans un sujet historique qui retient toute mon attention que je puise l’idée d’une intrigue policière. Encore faut-il que le fait historique en question en vaille la peine.
Détourner une réalité historique nimbée de mystère, même si ce mystère ne relève pas du domaine policier, est toujours tentant. C’est ce que je me prépare à faire avec mon prochain roman historique autour de la disparition de Lapérouse à propos de laquelle sont propagées, depuis plus de deux siècles, toutes sortes d’explications parfois fantaisistes. Je vais leur substituer la mienne.
Le Matin d’Algérie : Après quinze ouvrages publiés, quel regard portez-vous sur votre parcours littéraire, et quels projets ou envies d’écriture nourrissez-vous pour l’avenir ?
Jean-Michel Lecocq : Mes projets à venir sont de deux ordres. Je vais tout d’abord poursuivre la série des enquêtes du commissaire Payardelle et, parallèlement, republier celles du commandant Tragos dont j’ai récupéré les droits et dont j’ai écrit un nouvel opus. Ensuite, je vais continuer à explorer la voie, ouverte avec « La fille aux semelles de vent », vers la littérature générale.
Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?
Jean-Michel Lecocq : Cet été, je vais publier aux éditions Campanile une fantaisie romanesque qu’on peut qualifier pour partie de roman de terroir sous le titre « Le fabuleux destin de Victor Derda » et qui sortira officiellement le 10 juillet de cette année. Une autre enquête de Théo Payardelle paraîtra en octobre prochain et, pour 2026, j’envisage la réédition, dans une maison d’édition provençale, d’un premier tome des enquêtes du commandant Tragos. Enfin, un roman historique est en cours d’élaboration. Je suis plongé dans la phase de recherche documentaire.
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?
Jean-Michel Lecocq : S’il fallait ajouter un dernier mot, ce serait pour dire que la plupart des grands écrivains ont été ceux ne se sont pas laissé enfermer dans un seul genre littéraire. Georges Simenon, Frédéric Dard ou encore Pierre Magnan et bien d’autres, tenus pour des grands noms de la littérature policière, ont excellé en s’essayant à un autre genre. C’est du moins l’avis des spécialistes. Sans avoir la prétention de chercher à me comparer à ces géants, je partage avec eux la même envie de quitter les sentiers battus du polar pour explorer ceux de la littérature générale et, qui sait, peut-être d’autres genres. Ainsi, j’ai, sous le coude, un recueil de vingt nouvelles qu’il va bien me falloir publier un jour.
Entretien réalisé par Brahim Saci