L’Algérie devait devenir française par « l’épée, la charrue ou l’esprit ». La France a échoué par « l’épée » ; elle a admirablement réussi par « l’esprit ». Le nationalisme s’est révélé qu’un acte illusoire de souveraineté.
L’indépendance politique n’avait pas suffi à elle seule à briser les liens de dépendance tissés à travers 132 ans de colonisation. Le transfert du pouvoir perpétuait indirectement le système de dépendance économique et culturelle vis-à-vis de la métropole. Il s’agissait pour la France d’imposer à l’Algérie indépendante un ordre politique et juridique qui garantisse la prééminence de ses intérêts stratégiques. On peut dire qu’elle a réussi admirablement son pari.
En imposant des institutions dont la logique de fonctionnement était radicalement opposée à celle de la société algérienne, et en refoulant l’islam dans le domaine privé pour en faire une valeur refuge des déshérités, le colonisateur préparait en fait la société postcoloniale à l’échec de la modernisation.
L’Algérie est belle et naïve ; la France intelligente et fourbe. L’une est jeune et fougueuse, l’autre vieille et sournoise. L’une est européenne, une blonde aux yeux bleus, dévastée mais toujours pleine de charmes ; l’autre est africaine, une brune aux yeux noirs, vierge et chaude.
L’Algérie est cloitrée dans sa chambre, la France est libre dans ses mouvements. L’une est démocrate, elle choisit l’homme avec qui elle désire partager le lit, l’autre est soumise à l’autorité du père qui lui désigne son mari. Dans le premier cas, c’est un choix individuel qui s’impose à la société ; dans l’autre cas c’est le résultat d’une alliance entre deux familles.
Apparemment, deux pays que tout sépare : la race, la religion, la culture. Dans les faits, tous les rapproche : le pétrole, la voiture, le blé. La France est ménopausée, elle a plus d’orgasmes, l’Algérie est féconde, elle fait plus d’enfants.
Entre l’Algérie et la France, il y a une mer (e) qui les sépare. Une mer qui au fil des ans s’est transformée en un cimetière à ciel ouvert. L’Algérie est un bateau qui chavire.
Elle navigue au gré des vents sans boussole et sans gilets de sauvetage sur une mer agitée à bord d’une embarcation de fortune dans laquelle se trouve de nombreux jeunes à la force de l’âge, serrés comme des sardines, à destination de l’Europe, ce miroir aux alouettes, pour finir soit dans le ventre des poissons soit avec un peu de chance chez mère Theresa implorant la charité chrétienne pour le gîte et la nourriture en attendant leur exploitation sélective par le capital usurier sur une terre qui n’est pas la leur et où ils ne sont pas les bienvenus, fuyant un beau pays arrosé du sang des martyrs béni de dieu, riche à millions et vaste comme quatre fois la France, qui sacrifie l’avenir de ses enfants et de ses petits-enfants pour un verre de whisky, une coupe de champagne, ou un thé à la menthe.
L’Algérie et la France vivent le passé au présent, elles en sont malades, d’une maladie qui semble incurable. Ni l’Algérie, ni la France ne veulent regarder ce passé ensemble. Il s’agit de sortir de la prison du passé et d’engager les relations sur la route de l’avenir.
Un avenir hors de tous réseaux occultes dont les jeunes font les frais. Les algériens au milieu de la méditerranée, les français dans les rangs du terrorisme international produit des oligarchies financières qui avancent masquées dans un monde sans état d’âme où l’argent sale coule à flots’. En fait, il s’agissait pour la France d’imposer à l’Algérie indépendante un ordre politique et juridique qui garantisse la prééminence de ses intérêts stratégiques. C’est pourquoi, le rapport entre contestation et répression, domination et émancipation est récurrent en Algérie.
Dans la tourmente qui enfante de nouvelles sociétés ou qui les étouffe dans l’œuf, les situations semblables créent des jugements semblables. L’Algérie est à la France ce que le cheval est pour son cavalier, le cheval se cabre mais ne désarçonne pas son cavalier. Dans les bouleversements qu’a connus la société algérienne colonisée puis décolonisée, on insiste toujours sur les conséquences de la colonisation rarement sur la phase de décolonisation. Entre l’Algérie à la France et l’Algérie de la France, s’intercale la France de l’Algérie. L’Algérie des émigrés, des harkis, des dignitaires, des indignés, des fugitifs, des lobbies…
L’Algérie et la France se regardent sans se voir, se parlent sans s’écouter, se lamentent sans pleurer, se jouent la comédie pour récolter quelque voix. Si la recherche de l’indépendance fût un principe légitime, les pouvoirs mis en place n’ont pas toujours respecté les aspirations populaires qu’elles impliquaient. Ce n’est pas un hasard si tous les dignitaires du régime partent se soigner et envoient leur progéniture poursuivre leurs études en France. Et que des milliers de jeunes algériens, nés après l’indépendance, ne rêvent que de quitter le pays et rejoindre « la mère patrie la France » au péril de leur vie dans des embarcations de fortune en brûlant au passage leurs papiers d’identité pour lesquels leurs parents se sont sacrifiés. A quoi est due cette haine du pays, cette attirance vers l’ennemi d’hier et d’aujourd’hui ? Tire-t-elle ses racines de la guerre de libération nationale ou des conditions d’accession à l’indépendance ? Tenter une réponse à cette question est une opération bien périlleuse. L’histoire officielle nous apprend que le pouvoir colonial avait atrophié l’initiative privée, empêché le développement autonome, marginalisé les autochtones.
Le pouvoir algérien n’a-t-il pas poursuivi la même politique ? Il va être amené à reproduire les méthodes d’oppression du colonisateur et poursuivre la trajectoire économique et sociale tracée (Plan de Constantine avec pour objectif la concentration des populations sur la bande côtière pour mieux les contrôler).
Ce schéma d’aménagement du territoire d’inspiration coloniale mis en œuvre au lendemain de l’indépendance a eu pour conséquences la concentration des populations dans les villes conduisant au bétonnage des terres agricoles fertiles du pays sur le littoral et la pollution des côtes de la méditerranée. A contrario, les hauts plateaux seront abandonnés dans un état de sous-développement plus adaptés à recevoir des industries de transformation avec une répartition spatiale équilibrée de la population par la création de villes nouvelles.
Cette gestion autocratique, anarchique et irresponsable de la société et des ressources du pays n’est nous semble-t-il pas étrangère à l’influence et l’attraction de la France sur/par les « élites cooptées » du pays, aujourd’hui vieillissantes pour la plupart, maintenue en activité malgré leur âge avancée et finissent presque tous dans un lit parisien.
Elle s’insère parfaitement dans la stratégie de décolonisation du général De Gaulle, engagée dès 1958 à son retour au pouvoir et parachevée en 1962 par la signature des accords d’Evian dont la partie la plus secrète a été semble-t-il largement exécutée.
Elle a permis à la France d’accéder à la pleine reconnaissance internationale en tant que grande nation (indépendance énergétique), à l’unité nationale retrouvée (menace guerre civile évitée par le Général de Gaulle) et au rang de puissance nucléaire (premiers essais concluants au Sahara) et a miné l’Algérie post coloniale par la dépendance économique (viticulture, hydrocarbures, importations), par la division culturelle (langue, religion, ethnie). En imposant un schéma institutionnel dont la logique de fonctionnement était radicalement opposée à celle de la société indigène, et un modèle économique, étranger aux réalités locales, le colonisateur préparait en fait la société postcoloniale à l’échec de la modernisation politique et du développement économique. Cent trente ans d’occupation coloniale ont produit un « peuple vaillant » affrontant, les mains nues avec la foi en un dieu unique, les forces de l’OTAN. Un peuple fier qui ne quémandait pas sa nourriture au colon qui l’exploitait. « Il faut faire suer le burnous », rappelez-vous.
Il mangeait son propre pain à la sueur de son front. Un pain fait maison à partir des produits du terroir. Il buvait du lait de chèvre et se soignait avec des herbes. Il ne connaissait ni diabète, ni tension artérielle, ni maladies cardiaques.
Soixante ans de pseudo-souveraineté l’ont réduit en un « peuple nourrisson », ne parlant aucune langue, qui court derrière le sachet de lait importé. Le pétrole est pour le peuple algérien ce que le lait est pour le nourrisson.
Le lait maternel couvre les besoins du nourrisson de la naissance à l’âge de six mois. Le geste d’allaiter renforce le lien entre la maman et le bébé.
Le pétrole est plus vital que le lait maternel, il satisfait l’ensemble des besoins de l’algérien du berceau jusqu’à la tombe, du biberon jusqu’au linceul, du pain quotidien jusqu’aux voitures de luxe. Les revenus pétroliers et gaziers donnent l’illusion aux algériens d’une mère nourricière éternelle les condamnant à la dépendance et à l’infantilisme. Comment faire pour sortir de ce triangle dramatique du bourreau, de la victime, du sauveur ?
Il suffirait, nous disent les psychanalystes, si on devait les croire, de cesser de jouer au « miroir ». Si votre interlocuteur joue le rôle de la victime, faîtes la victime ; s’il joue le rôle de bourreau, faîtes le bourreau ; s’il joue celui de sauveur, faîtes le sauveur. Car il est ce que vous êtes c’est-à-dire son « miroir ». Faut-il briser le miroir ?