Vendredi 19 novembre 2021
Kabyles et Bretons : mêmes combats, mêmes destins ?
« Leur part d’honneur leur est dérobée et le sera toujours tant qu’ils n’écriront pas les bulletins eux-mêmes », Pierre-Jakez Hélias, « Le cheval d’orgueil ». Citation tirée de « Les sept piliers de la sagesse », de T.E. Lawrence, plus connu sous l’appellation Lawrence d’Arabie.
Quand on lit le cheval d’orgueil, on a du mal à ne pas remplacer, dans certains passages du livre, le terme « breton » par « kabyle », tant la passion de l’auteur envers sa langue maternelle vous est communiquée tout au long de l’ouvrage pour réveiller la vôtre.
Le cheval d’orgueil est un flot d’émotions qui vous tient en haleine et vous prend de sympathie envers ce peuple tant déprécié par un Français qui en a enterré la langue, les us et les coutumes ancestrales. Pour preuve, ces règles qui remontent à la moitié du 20ème siècle et qui se pratiquaient encore, selon certains témoignages, dans les années 1960. Des règles qui interdisaient en pays Bigoudens de « cracher par terre et de parler breton » dans les cours de récréation.
Cela n’est pas sans rappeler un certain « interdit aux indigènes et aux chiens », placardé à l’entrée de certaine plages d’Alger et ses environs pendant la période coloniale.
Le cheval d’orgueil est un livre que devraient lire tous les berbérophones qui ont appris le berbère « sur les genoux de leur mère », pour reprendre une expression de Pierre-Jakez Hélias concernant le breton. Pour éviter que demain toutes ces composantes d’un patrimoine séculaire d’une richesse insoupçonnée (par les non-berbérophones) ne tombent dans l’oubli et ne se transforment en évènements folkloriques. Le folklore n’a-t-il, d’ailleurs, pas déjà commencé avec le populaire « azul fellawen » que tout le monde énonce à tout va, non sans condescendance, pour essayer de s’attirer la sympathie du terroir à l’approche de rendez-vous électoraux, comme celui qui a ponctué les élections présidentielles avortées de 2019 ?
Quelques morceaux choisis du livre :
– « L’écart des deux civilisations est tel que le lexique et la grammaire de l’une et de l’autre ne se recouvrent que très imparfaitement (*).
– Je ne m’interroge pas sur le destin du breton. Ce n’est pas mon affaire mais bien celle des générations qui viennent. Je ne me résous pas au déluge pour autant. Je refuse aussi de m’en laver les mains.
– …l’analyse et la persécution linguistique et l’aliénation culturelle qui vont de pair, toutes deux étant de type colonisateur (**).
– Il faudra sérieusement écumer le pot-au-feu si l’on veut qu’il nourrisse fortement les générations à venir.
– Une langue est en bien mauvaise posture quand elle a besoin d’être protégée (***).
– Il n’y aura pas de jacquerie pour exiger l’enseignement du breton ! » (****)
Il suffit de remplacer le terme breton par kabyle, chaoui, mozabite, etc., et la boucle est bouclée, en termes de comparaisons et de destin modelé par des « civilisations » venues d’ailleurs !
Le rapprochement folklorique avec les bretons n’a-t-il d’ailleurs pas déjà commencé à Paris par l’organisation de rencontres pendant lesquelles les kabyles font danser bigoudens et bigoudènes sous des airs entrainants débités par nos « Ideballen » du terroir ?
C’est beau, très beau même, ce rapprochement mais n’est-il pas temps de dépasser tout cela par l’organisation de journées culturelles pendant lesquelles les langues bretonne et kabyle rayonneraient de toutes leurs splendeurs ?
Ce n’est certainement pas feu Pierre-Jakez Hélias qui n’aurait pas souscrit à telle illusion !
Et comme le rêve nourrit l’espoir et que l’espoir fait vivre, il n’est pas interdit de rêver !
K. M.
(*) L’on peut, sans se tromper, énoncer les mêmes postulats concernant les langues berbères et la langue arabe ou les langues latines, comme le français. Dans la plupart des cas, elles ne se recouvrent pas du tout !
(**) Cela nous parle bien cette affaire de colonisation n’est-ce pas ?
(***) Que fait le pouvoir d’Alger sinon faire semblant de protéger le Tamazight sur papier et sur papier seulement ?
(****) Il ne devrait pas non plus y avoir de jacquerie, ni de jacasseries, pour exiger l’enseignement de Tamazight !