Mardi 8 juillet, le Mémorial des Déportations de Marseille a accueilli une création audiovisuelle inédite : « Prémices ». Pensée par le réalisateur et enseignant Edouard Mills-Affif, cette œuvre immersive propose une traversée visuelle et sonore du Marseille populaire et cosmopolite, de l’entre-deux-guerres aux années 1990.
Trois regards d’artistes se croisent pour faire résonner la mémoire d’une ville aux multiples strates : Jacques Windenberger, Pierre Ciot et Kamar Idir.
Photographe de l’ordinaire militant, Windenberger a documenté la vie des quartiers nord, les luttes sociales, les visages oubliés de l’après-guerre. Pierre Ciot, reporter de l’urbain, a suivi la transformation brutale du paysage marseillais, entre béton, ruines et réinventions. Mais c’est peut-être le regard de Kamar Idir, artiste d’origine algérienne, qui offre la tonalité la plus sensible, la plus souterraine de Prémices.
Né de l’exil, formé aux Beaux-Arts d’Alger, Kamar Idir a fui les années noires pour trouver refuge à Marseille, où il n’a cessé depuis de traquer les présences effacées. Fondateur du collectif Artriballes, animateur à Radio Galère, il photographie comme on écoute. Il collecte les silences, les murmures, les traces. Dans Prémices, il donne corps aux quartiers disparus, aux solidarités invisibles, à cette ville que les archives ne racontent jamais.
Un geste artistique, une parole mémorielle
Prémices prend place dans le cadre de l’exposition Marseille 1900-1943. La mauvaise réputation, qui revient sur les pages sombres de l’histoire marseillaise : les rafles de l’Opéra et du Vieux-Port en janvier 1943, menées par les nazis avec l’aide active du régime de Vichy, suivies de la destruction méthodique des vieux quartiers. Des événements qualifiés aujourd’hui de crimes contre l’Humanité, et qui ont marqué durablement le visage et la mémoire de la ville.
La création audiovisuelle d’Edouard Mills-Affif – composée de deux diaporamas et d’un essai filmique projetés sur les murs du bunker du Mémorial – tisse un récit sensible. Films muets, documents audiovisuels, photographies anciennes et contemporaines s’y rencontrent pour raconter autrement Marseille : par ses absents, ses rebords, ses fractures.
Kamar Idir n’y est pas simplement un contributeur. Il est un révélateur. Par son approche poétique, politique et profondément humaine, il questionne la ville depuis ses failles. Il interroge ce qui demeure : les voix non entendues, les visages sans noms, les mémoires tues. Ses images ne cherchent pas le spectaculaire, elles font émerger l’essentiel : ce qui résiste, ce qui vit encore, ce qui mérite d’être transmis.
Une mémoire collective, habitée et partagée
À trois, Windenberger, Ciot et Idir composent une polyphonie. À travers leurs prismes, Prémices devient bien plus qu’une œuvre artistique : c’est une archive vivante, un geste de réparation, un hommage rendu aux disparus comme aux survivants. Dans une époque où la mémoire est menacée par le brouhaha de l’oubli, cette création propose une pause, un regard, une écoute.
Et Kamar Idir, lui, rappelle à sa manière douce et tenace qu’il n’y a pas de grande histoire sans les petites.
Que la photographie est aussi un acte de justice. Et que Marseille, pour qui sait la regarder, continue de murmurer ses vérités.
Djamal Guettala