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Kamel Daoud, non tu n’es pas un traître mais un amnésique !

Kamel Daoud

Je réagis au titre de l’article de Kamel Daoud sur Le Point « Suis-je un traître ? Peut-être. Et alors ?».  Comme à celui de Kacem Madani qui le commente dans  ce journal.

Oui, Kacem Madani a tout à fait raison de rappeler que les véritables traîtres sont ceux qui ont commis les pires infamies envers leur pays, depuis la corruption et l’écroulement des pensées jusqu’aux assassinats et la terreur. 

C’est tout à fait exact, excellemment bien documenté et très bien développé. Mais j’ai une petite réserve à formuler ou plutôt un correctif, d’ailleurs je suis sûr que le point ambigu sur lequel je veux intervenir n’est ni voulu ni perceptible par les lecteurs.

En rappelant la traîtrise véritable de gens infects qui ont vendu l’Algérie, je lis en creux que cela met Kamel Daoud dans la position du militant de la démocratie et de l’humanisme. Ce qui me dérange est que si Kamel n’est absolument pas un traître il n’est pas pour autant dédouané des erreurs qu’il se garde bien de rappeler. Je n’ai pas de talent particulier mais j’ai une bonne mémoire.

Je lui dirais directement s’il arrivait qu’il me lise :

« Non, Kamel tu n’es pas un traître. Tu as tous les droits de critiquer la politique de ton pays et l’inconscience de tes compatriotes qui vont jusqu’à la compromission.

Tu as non seulement le droit de critiquer ton pays mais y compris à l’étranger. De critiquer car c’est l’honneur d’un intellectuel, depuis l’étranger car l’exil forcé n’est pas de ton fait.

Personne ne peut enlever la liberté à un être humain de s’insurger contre ce qu’on a fait de son pays natal. Ne pas le suivre dans son abomination n’est pas être un traître, c’est le symptôme d’un grand amour déçu et d’une rage envers ses démolisseurs.

Tu as tous les droits car personne ne peut juger de la qualité de bon citoyen et de traître à la nation. J’ai bien compris la signification profonde de ton article. Pour tout cela, je ne peux te blâmer et même je veux te féliciter. Au fond, qu’as-tu dis d’autre que ce que je dis depuis plus de trente ans avec de très nombreux autres ? Je ne dénigre pas seulement, je démolis tous ces barbares à longueur d’année. 

Je m’insurge à haute voix égosillée contre la lâcheté et la bêtise innommable de la majorité des citoyens à aduler ceux qui leur enlèvent tous les droits. Il ne faut pas être seulement inconscient pour ne pas s’en rendre compte mais endoctriné à très haute dose.

Comment pourrais-je te blâmer d’avoir un regard et une parole aussi forte ? Pourtant, Kamel Daoud, j’ai écrit des mots très sévères à ton adresse, dans ce journal comme dans un réseau social. J’ai été virulent, je maintiens et je signe.

Mes lourdes accusations ne concernent pas ta liberté de pensée, je serais totalement en contradiction avec la mienne. Pas plus que je ne conteste ton talent. Je n’ai jamais lu un de tes livres et même dans le cas contraire, je ne le remettrais jamais en doute.

Ce que je te reproche peut se résumer en quelques points. Ils ont déjà été formulés dans ce journal, tu peux les lire. Je les reformule car l’article de Kacem Madani m’en donne encore l’occasion. Tout d’abord tu as couvert certaines paroles derrière des mots d’opposition qui ne t’ont jamais valu une réelle censure ou une incarcération. Pour la plupart des accusations, tu disais ce que beaucoup d’opposants disaient mais eux avaient payé le prix fort.

C’est dire si ton militantisme ne dépassait jamais la ligne rouge. J’ai relu beaucoup de tes chroniques dans Le Quotidien d’Oran, aucune n’avait franchi cette frontière interdite comme l’ont fait beaucoup dont des militants parmi lesquels j’étais.

Je rédige beaucoup de chroniques dans ce journal, je ne dépasse jamais la ligne rouge. Mais moi, c’est en connaissance de cause, je n’ai qu’un objectif, celui de parler avec ma ville de jeunesse. Je n’en fais pas un acte de militantisme et les articles ne concernent jamais la politique algérienne. Mais moi je ne me présente pas comme le pourfendeur de la dictature militaire et islamique. Je le fais de l’étranger.

Je n’ai aucun moyen comme toi de publier en toute impunité et je ne pourrais le faire sans participer réellement aux côtés des vrais militants. Je l’ai déjà fait alors que tu étais au chaud dans tes chroniques, loin de tout risque militant, je l’ai payé cher et je n’ai plus l’âge de jouer le Zoro Daoud à l’étranger.

Lorsque nous avions besoin de toi comme de beaucoup d’intellectuels, jamais je ne t’ai entendu plaider notre défense avec des mots aussi clairement énoncés que ceux de tes écrits en France. Jamais, ou alors avec des termes qui ne franchissaient jamais cette ligne rouge pour toi. Des phrases de grandes envolées sur la démocratie et son bâillonnement sans jamais citer un seul membre du pouvoir et encore moins le moindre des généraux.

Au contraire, tu sembles l’oublier, tu as tenu des propos très choquants en révélation de ton passé. Tu as dit « Je n’ai jamais été islamiste mais j’avais une certaine curiosité intellectuelle envers le soufisme » (en des mots similaires).

Alors que nous, nous n’avons jamais été attirés en quoi que ce soit envers l’abject et le liberticide. Nous avons passé notre vie à recevoir des coups ou à dissimuler souvent notre athéisme. Toute notre vie nous en avons souffert. Toi, tu as le culot de venir nous donner des leçons sur le courage d’affronter la barbarie et les idéologies contraires aux droits de l’Homme.

Pour toi, c’était une recherche intellectuelle, pour nous, c’était donc simplement une basse vision au premier degré, celle du vulgaire militant sans instruction. Toi, tu as passé ton adolescence dans la connaissance intellectuelle de l’Islam et nous, incultes que nous sommes, le combattions dans notre vie piteuse de gens d’en bas. 

Mais ce n’est pas tout. Lorsque l’opposition algérienne trimait et se battait comme elle le pouvait, avec les risques et les échecs, je ne t’avais jamais entendu demander un rendez-vous de presse dans nos locaux ou même nous soutenir avec une puissance que tu ne réserves que lorsque tu es menacé par ceux dont tu n’avais jamais osé prononcer de véritables accusations et condamnations au-delà des affaires de football (j’ai lu avec surprise que c’était ton dada permanent), ou des décisions de ceci ou de cela. 

Tant que tu ne touchais pas à l’interdit et au tabou, comme je l’avais fait, ta liberté était admise. L’entourer de belles envolées intellectuelles avec une citation mythologique ou littéraire toutes les deux lignes ne pouvait que produire admiration, jamais une sérieuse menace.

Puis, tu as fait une campagne en faveur de la participation aux élections de Tebboune encore plus bruyamment que ses propres soutiens de la secte. C’est un comble de venir nous dire aujourd’hui que tu milites contre un régime dictatorial qui musèle les libertés.

Lorsque tu étais chroniqueur en Algérie, j’aurais bien voulu que tu dises « Je suis un opposant et un traître  à mon pays, et alors ? ». Cela aurait été le courage des grands. D’autres, avec autant de talent, ont écrit des livres, des articles et des blogs et n’avaient pas eu la même immunité que toi.

Non, Kamel, tu n’es pas un traître mais mon compatriote d’Oran, libre de tes opinions. Je le répète, elles sont les miennes.

Sauf que je ne dessine pas mon passé avec des fleurs de la déesse Vénus. Je ne me compromettrai également jamais à flirter avec les idées et les hommes de l’extrême droite. C’est une énorme différence entre nous, je ne peux égaler ton talent.

Non, Kamel, jamais je ne t’accuserai d’être un traître à ton pays natal. Kacem Madani a raison d’affirmer qu’ils sont ailleurs.

Mais, Kamel, n’en fais pas trop, tu t’engages dangereusement vers des sentiers sulfureux. Et nous, si nous n’avons pas tes capacités intellectuelles, nous avons une grosse mémoire. Chacun ses dons.

Sid Lakhdar Boumediene

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