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Kameledine Fekhar, l’Antigone algérienne

HOMMAGE

Kameledine Fekhar, l’Antigone algérienne

Il est des hommes pour qui entre vivre et mourir il n’y a aucune frontière lorsqu’il est question de défendre la liberté et la dignité humaine. Lorsque la vie ne suffit pas pour les défendre, ils engagent la mort. C’est dans de cette lignée que tu fais partie désormais Kameleddine Fekhar.  

La vie de Kamel Eddine est celle d’une Antigone bravant et défiant tous les interdits et menaces d’un pouvoir totalitaire. C’est l’histoire d’un homme seul qui s’est dressé pacifiquement et obstinément contre la volonté d’un pouvoir génocidaire qui veut décimer sa communauté, les Mzab et faire disparaître son patrimoine en organisant un chaos général : « Ce qui se passe ces derniers temps à Ghardaia est quelque chose de dangereux.

Ce sont des choses que l’on n’imagine pas voir dans notre pays. Ce à quoi l’on assiste est l’alliance, la solidarité et la planification du système algérien à travers ses services de sécurité avec les gangs (issabat) criminels et intégristes pour agresser les Mzabs et confisquer leurs biens », déclare-t-il dans sa vidéo partagée par Laïc Algeria.        

«Ma mort est programmée » ce sont tes ultimes sons audibles à ton avocat Dr Fekhar. C’était ton ultime conviction Kamel et tu avais vu juste ! On ne badine pas dans les caves de la mort du pouvoir algérien. Ce sont des lieux de productions de la mort, de la folie, de la renonciation, de la soumission, de la chosification, et toi tu ne veux rien de cela,  rien ne te plaît dans ce menu macabre. Tu as opté pour ta solution, la solution finale, celle de la grève de la faim, celle du sevrage du ventre en refusant de t’alimenter pour réclamer ta liberté.

Si tu as opté pour cette ultime solution, c’est parce qu’il y a certainement une raison profonde. Tu as dû tout essayer toi l’infatigable militant, tu as épuisé toutes les voies raisonnables et amiables de recours pour être libéré, mais en vain, ceux qui t’ont jeté dans ce cachot ne l’ont pas fait pour te remettre en liberté à nouveau ; mais pour t’abîmer définitivement. Ces charognards ne veulent rien entendre de toi à part le bruit assourdissant de ta mort, ils n’attendaient que cet ultime son macabre pour se ruer sur ta dépouille et se frotter les mains en se disant : « Enfin tu es crevé ! » Ton geste héroïque Kamel traduit ton attachement inébranlable et transcendant à la liberté et à la dignité humaine.

En refusant de cesser ta grève de la faim en dépit de la dégradation abyssale de ta santé, des prières insistantes de ta famille, de tes enfants, de tes amis, de ton avocat, tu marchais courageusement, dignement et stoïquement vers la mort qui t’apparaît comme unique refuge face à la déchéance humaine que tu refusais. C’est l’unique façon que tu voyais pour rentrer en contact avec toi –même et accéder à la liberté et la dignité humaine dont tu es déchu dans ces geôles de la mort et de la négation de la personne humaine dans cette république algérienne des généraux.

Ta mort est douloureuse et déroutante pour nous. On se sent quelque part coupable Dr Fekhar de t’avoir abandonné et de n’avoir rien fait pour te sauver de cette mort programmée. Ta mort sonne dans nos oreilles comme un cri de désespoir d’un homme coincé dans l’étau d’un régime criminel et son peuple regarde faire. Elle nous interpelle et traduit notre faillite, car si nous nous étions mobilisés on aurait créé les conditions de ta libération en rendant obsolète cette mort programmée.

Ton arrestation arbitraire obéit à une seule logique : te faire taire définitivement. Tu es devenu l’Antigone pour ce pouvoir, il ne peut plus s’accommoder de ta vie,  ta mort devient une affaire de temps et inéluctable. Elle était déjà dans les cartons de dossiers de personnes à mettre hors d’état de nuire pour reprendre la menace officielle du chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah.

Tes révélations sur les massacres à huis clos de la population Mzab en dénonçant un nettoyage ethnique et une destruction délibérée du patrimoine culturel amazigh planifiés au plus haut de l’Etat t’ont déjà coûté deux ans de prison. Il ne fallait surtout pas ouvrir la boîte aux pandores, c’est là que se cache la criminalité du pouvoir algérien.

Des événements tu savais tout et tu avais tout vu de tes propres yeux. Tu disais dans ton appel lancé à la communauté internationale et à l’opinion publique algérienne pour réagir qu’il n’y avait pas de haine entre les Mzab et les arabes, mais cette confrontation haineuse a été l’enfant de la discorde du pouvoir pour détruire la population Mzab, anéantir son patrimoine culturel et se faire confisquer de ses biens.

Tu disais aussi que tu n’avais plus de confiance en tel régime et tu avais raison Kameleddine, comment peut-on faire confiance à un pouvoir pareil qui t’as laissé mourir dans ses caves à la mort de nous organiser des élections propres et de dialoguer avec lui ?

En allant jusqu’au bout de ta détermination et de ton obstination à être libre sinon rien, non seulement tu as réaffirmé la consubstantialité de la liberté avec ton existence, mais tu t’es réinventé comme sujet libre en abolissant avec ta mort les conditions humiliantes et déshumanisantes de ton incarcération.

Lorsque l’injustice humaine nous obture l’horizon de l’espoir, la mort prend le relais de la vie et devient une délivrance, une libération spirituelle.

Ainsi, ta mort Kamel à l’Antigone suite à une longue grève de la faim n’est ni un suicide, ni un découragement face au combat inlassable que tu menais pour le respect des droits de l’homme, ni une abdication, ni une  renonciation à tes idéaux démocratiques et à la vie que tu sembles mener tranquillement avec tes enfants et ta femme, mais un arrachement aux geôles du pouvoir où tu subissais la déchéance de l’humain en toi.

Lorsque tout ce qui fait de nous un être digne de vivre, tout ce qui fait de nous un humain est déchu, la mort apparaît  comme une voie de détresse pour limiter la souffrance et arrêter sa vie au bon endroit.

Auteur
Omar Tarmelit

 




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