Mercredi 16 juin 2021
Karim Tabbou : « Le pouvoir a mené un processus contre-révolutionnaire »
Dans une déclaration rendue publique ce mercredi, Karim Tabbou, coordinateur de l’UDS (Union démocratique et sociale, parti non agréé), dresse un sévère réquisitoire contre le régime qu’il accuse d’avoir concocté les résultats. La France officielle soutient le régime, ajoute Karim Tabbou.
« Malgré toutes les restrictions injustes et injustifiées qui me sont imposées, j’ai décidé de m’adresser aux Algériens pour les remercier de leur soutien. Je suis profondément touché de la sympathie dont ils ont fait preuve envers moi, mes parents et mes enfants, durant ces arrestations.
Je reviendrai ultérieurement pour vous faire part des conditions de ma dernière arrestation suivie d’une mise en garde à vue au centre « Antar » pendant plus de 30 heures. Les motifs ne me sont pas communiqués à ce jour ni par les services de la sécurité intérieure et ni par les instances judiciaires habilitées.
Je voudrais profiter de cette opportunité pour adresser mes vives révérences à l’ensemble des Algériens qui ont défié la peur et rejeté le scrutin du 12 juin. Ce scrutin fut un échec patent et un véritable affront pour les tenants du pouvoir.
Finalement, mis à part une minorité constituée d’engeance de politicards aux calculs bas, la majorité des Algériens a fait preuve de maturité politique en infligeant une bonne leçon aux vrais décideurs du pays.
« L’aigle prend de l’altitude quand le ciel est plein de corbeaux » dit l’adage. Malgré toutes les offres alléchantes du pouvoir et les facilités accordées pour la constitution des listes, supposées engranger le maximum de votations, le peuple, comme attendu, a décidé autrement. Il a dit clairement Non au pouvoir et Non à ces opportunistes, acolytes et serviteurs.
Le Hirak l’a scandé plusieurs fois « Makache intikhabat maa el 3issabat », le peuple a tranché la question depuis plus de deux années, il l’a bien affirmé que seul un changement radical est à même de rétablir la confiance des citoyens dans les institutions.
La généralisation de toutes les pratiques frauduleuses, de la manipulation du suffrage universel, de la corruption et la persistance de la désignation par le haut de fausses représentations politiques et sociales, ne feront qu’aggraver la crise et la compliquer.
Les jeux sont clairs, mis à part quelques personnes obnubilées par leurs propres caprices et aveuglées par l’appât, les citoyens ont bien compris qu’il s’agit d’une fausse élection mais d’une vraie mascarade. L’intention été de faire semblant de tout bouger pour que tout reste en place !
Du déjà vu au temps colonial disent les anciens, du déjà vécu pour nous qui avons assisté à toutes les ruses du pouvoir depuis 88 et ça sera une trahison de plus pour la jeunesse.
Au-delà des résultats concoctés au sommet et proclamés par l’instance électorale, les faits sont là : Tous les complices de l’ère Bouteflika sont de retour ! C’est la consécration pleine et entière de la CONTRE KHOTA promise par les locataires d’El Mouradia.
Finalement depuis le 22 février 2019, le pouvoir, tout en proclamant accompagner le Hirak, a mené un processus contre-révolutionnaire qui a abouti à la mise en place d’institutions illégitimes. Dans son obsession de maintien au pouvoir, les tenants du statu quo mortel ont concocté des institutions fantoches, vides et discréditées autant devant l’opinion nationale qu’internationale.
Aujourd’hui, Ils tentent violemment de taire la voix du peuple pour lui substituer celle des médiocres, des dociles et des charlatans.
Lorsqu’un responsable d’un parti politique connu pour son hostilité maladive envers la Kabylie, au vu et au su de toutes les instances judiciaires, tient des discours ethnicistes et d’insultes à l’égard de cette région, allant même jusqu’à faire l’apologie de la haine, cela atteste de la complicité au plus haut sommet de l’Etat.
Même s’il est vrai, selon des sources fiables, que cette personne souffre de graves troubles dû à son « état de manque » et que son cas relèverait du pathologique, donc nécessitant des palliatifs médicaux, son éviction de la scène relève de l’hygiène politique tout court.
F. Guizot considérait que : «Les injures suivent la loi de la pesanteur. Elles n’ont de poids que si elles tombent de haut ».
Dans un pays où des hauts responsables en fonction ne trouvant aucune gêne à mettre leurs propres enfants dans des listes électorales, pendant que l’Etat leur assure le financement de leur campagne, l’administration tente de remplir les salles, la haute instance des élections leur assure les sièges, la direction de la sureté nationale se charge de l’escorte et le conseil constitutionnel leur valide les mandats ! ceci relève du tyrannique, du despotisme et de l’autocratie.
Les velléités autoritaristes du régime sont bien réelles, c’est pourquoi il est important de rester pacifique et unis pour maintenir la mobilisation populaire. Persévérer dans ce combat démocratique malgré les conditions aussi difficiles est hautement révolutionnaire.
Pendant 121 vendredis, les Algériens ont fortement scandé à Alger, Tizi Ouzou, Oran, Constantine, Ouargla, Annaba, Tlemcen, Bouira, Jijel, Bejaia et dans d’autres villes du pays des slogans de liberté, de démocratie, d’indépendance et de citoyenneté.
Les Algériens se trouvant à l’étranger, à Washington, Montréal, Paris, Bruxelles, Londres, Genève, Berlin et dans d’autres villes occidentales ont porté haut et fort les espoirs de tout un peuple. Ils ont été de véritables ambassadeurs de la parole juste et vraie.
Les Algériens ont bien conscience que la lutte pour une autodétermination réelle nécessite une opiniâtreté, une constance et une compréhension des enjeux politiques. Ils savent que lutter pour la démocratie, c’est œuvrer à la consécration de l’indépendance.
Plus que jamais, l’avènement d’un Etat de Droit est profondément lié à la libération du pays de tous les chantages, des tutelles et des monopoles.
Personnellement je le dis et je l’assume, la France officielle est et reste l’un des obstacles à la mise en place d’un processus démocratique en Algérie.
Le soutien de la France officielle au régime algérien prouve bien que les valeurs humaines, de modernité et de démocratie que l’on proclame dans les cérémonies et les discours, ne sont que de simples professions de foi au-dessous des accointances politiques.
Si le pouvoir Algérien continu de prétendre qu’il est le seul garant de la stabilité dans toute la région, la réalité est qu’il constitue lui-même une source d’instabilité politique.
Une stabilité durable au sens moderne du terme, ne peut pas être réduite à une question strictement sécuritaire, elle est liée à la démocratie et la bonne gouvernance.
La stabilité est tributaire de trois piliers importants : La légitimité, la démocratie et la justice. Dans le monde actuel, il n’y a point de place à l’improvisation et au bricolage. Le tout se construit sur l’humain, la recherche et la prospective.
Croire qu’une armée même hyper-équipée peut à elle seule assurer la sécurité dans de vastes zones de turbulences, c’est prendre le risque de se tremper d’analyse, de vision et de solution.
Les défis sont majeurs, les enjeux sont multiples et nos ressources sont limitées. C’est pourquoi nous devons engager des réflexions et nous devons agir pour dépasser les pièges de l’approximation et les faux débats.
Aujourd’hui, il est vivement recommandé à toutes les forces du changement de surpasser les faux clivages pour aller au plus vite vers la construction d’un projet d’avenir, capable de remobiliser la société dans son entièreté.
Bien sûr, nous devons rester intransigeants sur les principes démocratiques notamment en matière de l’exercice intégral des libertés individuelles et collectives, du respect du suffrage universel, de l’alternance pacifique au pouvoir, de tous les pluralismes et la primauté du Droit. Ce combat nous devons le partager, nous le mèneront dans un cadre pluraliste, unitaire et pacifique.
Face à la question urgente des détenus d’opinion, nous devons agir immédiatement, ensemble et d’une manière structurée. La mise en place d’un cadre de travail consacré exclusivement à la protection des libertés et la défense des droits de l’Homme est une nécessité absolue.
La priorité étant de trouver des idées justes et opérationnelles, des hommes et des femmes engagés et décidés de mener ce combat pour un changement radical et pacifique.
L’important aujourd’hui n’étant pas de se contenter de professer des valeurs ou des principes, nous travaillons activement pour rapprocher les points de vue et créer ainsi toutes les synergies politiques possibles pour mener ensemble des actions concrètes.
Mouloud Mammeri disait dans l’une de ses citations « …N’abandonne pas même si tout semble aller lentement, car un autre souffle peut apporter la réussite. Le succès n’est que l’envers de l’échec, et tu ne peux jamais savoir à quelle distance se trouve le but, qui peut être proche alors qu’il te semble lointain. Aussi, continue la lutte au plus fort du combat car c’est quand tout te semble perdu que tu ne dois pas abandonner … »
Alger, le 16 Juin 2021