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Koukou éditions : quand la « police politique » dicte la culture

Censure de livres en Algérie

La police politique dicte les livres à exposer au Sila.

La maison d’éditions que dirige Arezki Aït Larbi est interdite pour la 3e année de participation au Salon international du livre (Sila). Dans un communiqué, l’éditeur algérien accuse la police politique d’être derrière cette énième interdiction.

« Il est grand temps de mettre un terme aux manœuvres clandestines de groupuscules extrémistes qui ont pris les institutions en otage », conseille Arezki Aït Larbi.  

Une entreprise d’acharnement est menée depuis quelques années pour étouffer Koukou éditions. Cet éditeur est systématique exclu de toute les rencontres littéraires nationale ou régionale. «Pour la 3e année consécutive, KOUKOU Editions est exclue du Salon International du Livre d’Alger sans motif légal», écrit Arezki Aït Larbi dans son communiqué rendu public ce lundi. Evidemment, les autorités se sont affranchies, ici comme dans toutes leurs menées, de tout respect de la légalité et du droit.

En vrai, la cabale contre Koukou éditions est l’illustration parfaite de ce que devient un État quand ses institutions cessent d’être autonomes et de jouer leur rôle : un système de cour, de clientèles où la politique politique tire les ficelles et instrumentalise les ministères, le tout entériné par des juges dociles et exécuté par des censeurs zélés.

Cette entreprise de démantèlement de Koukou éditions révèle une stratégie. Sous couvert de patriotisme et de « préservation de l’unité nationale », un réseau d’idéologues sectaires a transformé la censure en instrument politique. Ceux qui pensent, écrivent ou questionnent l’histoire dérangent ; ceux qui flattent les réflexes identitaires ou religieux sont tolérés, voire encouragés. La « sécurité » sert ici de prétexte à la répression de la liberté d’édition.

Suite à une plainte déposée pour « atteinte aux libertés, abus et usurpation de fonctions, le président de la Commission de censure, M. Tidjani Tama, a révélé devant le magistrat instructeur le 1er juillet dernier que «les mesures punitives prises contre Koukou Editions ont été ordonnées par la ministre de la Culture, Mme Soraya Mouloudji, suite à un « rapport secret des services de sécurité », qui accusent « les publications de cette maison d’édition d’être destructrices » et de « porter atteinte à l’image de l’Algérie » !», rapporte le communiqué de Koukou éditions. Rien que cela !

« Cette unique pièce à conviction qui a déclenché la forfaiture, le juge, qui devait instruire à charge et à décharge, n’a pas jugé utile d’en vérifier l’existence pour la verser au dossier, encore moins d’entendre la ministre, pourtant gravement mise en cause par son subordonné», s’indigne l’éditeur. Les charges visant cet éditeur ne s’arrêtent pas là.

En confirmant le non-lieu, la Cour d’Alger n’a pas seulement clos une procédure : elle a condamné la justice à l’impuissance. Ce « verdict », loin de dissiper l’attaque en règle contre cette maison d’édition, confirme que la censure d’État se porte bien, drapée dans un langage juridique qui masque mal la soumission politique.

En effet, « après 18 mois d’une procédure singulière », rappelle la même source, « par cette décision, l’appareil judiciaire refuse le renvoi de l’affaire devant le tribunal correctionnel pour un procès public, même si l’instruction a révélé des pratiques occultes, en violation des lois de la République», lit-on dans le communiqué.

Pour autant, l’éditeur refuse de se résigner : « Malgré les pressions récurrentes des miliciens de la pensée et des patriotes à gages qui ont imposé une idéologie répressive, régressive et sectaire à l’ombre des institutions Koukou Editions refuse d’infléchir sa ligne éditoriale ». L’auteur pointe un «revisionnisme décomplexé qui tente de réécrire l’histoire à l’aune de l’actualité, de répression politique qui a paralysé le présent, et de lourdes hypothèques sur l’avenir, elle s’engage à rester un espace de liberté pour les auteurs autonomes, notamment les universitaires éthiques qui n’ont pas renoncé à leur devoir de critique sociale».

À la veille du 1er novembre, l’ironie est amère : le message fondateur d’émancipation et de dignité est étouffé par les pratiques arbitraires d’un appareil d’État qui ne tolère plus la critique. Arezki Aït Larbi estime que restaurer la hiérarchie des normes, c’est d’abord rappeler une évidence : aucun « rapport secret » ne saurait supplanter la Constitution. Aucune ministre, aucun service de sécurité, ne peut légitimement décider quels livres méritent d’être lus ou interdits. Cela dans un régime qui respecte les institutions et la liberté d’édition et de création. Ce qui est loin d’être le cas de « la nouvelle Algérie » de Tebboune, un pays où les éloges, la suffisance et l’esbroufe étouffent cyniquement les libertés.

«Dans cette séquence décisive pour l’avenir, les discours triomphalistes ampoulés ne peuvent plus occulter les intolérables pratiques de l’ombre qui ont fait trop de mal au pays», cingle Arezki Aït Larbi en conclusion de son communiqué. 

Hamid Arab

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