En ces temps où le simple fait d’entendre un mot d’arabe ou d’apercevoir une abaya pousse à composer le 17 ou à réclamer l’envoi du RAID, je ne saurais trop recommander la lecture de ce livre formidable. Natividad Planas y montre, à partir de l’histoire (volontairement) oubliée d’un petit royaume du Djurdjura (en Algérie) qu’aux XVIe et XVIIe siècles, a l’époque donc où nous sommes censés être devenus Modernes, il n’existait aucune ligne de faille infranchissable entre islam et chrétienté en Méditerranée.
Un État musulman pouvait jouer tantôt la carte des Ottomans, tantôt celle des Espagnols, et l’ensemble des acteurs accepter, sans aucun sentiment de renoncement, la variabilité des positionnements diplomatiques et la labilité des identités confessionnelles.
La règle du jeu, c’était d’être non pas ceci ou cela, mais ceci et cela tout à la fois – donc non seulement d’accepter la différence (religieuse, culturelle), mais d’en jouer avec profit.
C’est passionnant, c’est nécessaire – et c’est, comme dit l’une de mes sources dieppoises du XVIe siècle, « ouvrage fait à l’aiguille ». Lisez, vous ne verrez plus tout à fait comme avant.
Romain Bertrand/Facebook
En 4e de couverture de l’ouvrage, on lit
« Au XVIe siècle et au début du XVIIe, dans la province ottomane d’Alger, les bel Cadi gouvernent un territoire situé dans le massif du Djurdjura, appelé royaume de Koukou. En fréquents conflits avec les autorités du pays, ils s’allient aux Habsbourg d’Espagne pour fragiliser la présence ottomane au Maghreb, entretenant de véritables relations diplomatiques avec la monarchie hispanique pendant quasiment un siècle.
Les liens entre Koukou et l’Europe ont été oubliés, ou plutôt enfouis, par l’historiographie coloniale française, pour imposer de l’intérieur de l’Algérie l’image d’une région déconnectée du monde.
Revenant aux sources de cette histoire, Natividad Planas mène une enquête inédite où l’on croise une foule dense constituée de rois, reines, pachas, ambassadeurs, « courriers », vice-rois, marins, religieux, renégats, esclaves, gens de Koukou, de Majorque et de Castille. Elle restitue ainsi le dynamisme des sociétés rurales du Maghreb, activement investies dans les enjeux politiques de leur temps et la profondeur des relations transméditerranéennes.
Notre connaissance des relations entre Europe et Islam à l’époque moderne s’en trouve bouleversée, par-delà les lieux communs sur les affrontements militaires et les conflits religieux. »
Natividad Planas est maîtresse de conférences à l’université Clermont Auvergne et spécialiste de l’Espagne à l’époque moderne. Les sociétés de frontière, les médiations, la diplomatie transconfessionnelle ainsi que les migrations de part et d’autre de la Méditerranée sont au cœur de ses recherches.