Un niveau de CE1 en arabe suffit pour se rendre compte de la rythmique endiablée du texte coranique. Les récitateurs professionnels du Coran, avec le grain envoûtant de leurs voix, enivrent leurs auditeurs qui doivent s’imaginer la scène où Dieu dicte ses versets au Prophète, ou les lui insuffle, inspire, wifise si vous voulez, avant que le Prophète les répète à voix haute devant ses disciples Mecquois.
Chaque mot coranique, chaque verset prononcé (chanté!) par le récitateur est pour le croyant qui l’écoute comme un écho de cette voix divine. Si à Dieu le soufi s’efforce de s’unir en esprit, le psalmodieur tente d’en imiter la voix, si tant est qu’il puisse en imaginer le timbre : Soprano ? Ténor ? Baryton ? Sûrement un type de voix inédit. On comprend la ferveur du psalmodieur à s’en pénétrer quand dans sa récitation il rallonge les syllabes, insiste sur les rimes en nasillant à souhait.
Qu’en est-il d’un récitateur lambda, comme vous et moi, avec nos voix à faire tomber des trombes d’eau ?
Cette introduction pompeusement savante me sert de transition pour parler de ma propre psalmodie.
Mon père m’a inscrit à l’insu de mon plein gré à l’école coranique alors que j’étais haut comme trois pommes. Une fois quelques sourates apprises (les mômes apprennent vite), nous devions, mes camarades et moi, les psalmodier en chœur chaque soir, de la dernière apprise à la toute première, indispensable exercice pour apprendre le Coran par coeur, sinon on bégaierait une sourate en la disant lors d’une prière, à moins d’innover dans le karaoké qui afficherait la sourate sur un écran pendant la prière, un subterfuge qui serait sûrement haram, ouallah. Le Cheikh nous laissait seuls, sa maison était mitoyenne de la mosquée.
Il prêtait tout de même une oreille à nos psalmodies. Et plus on s’approchait de la dernière sourate à réciter, plus on s’enthousiasmait dans la récitation, car on était pressés de rentrer à la maison, surtout qu’on terminait souvent tard dans la nuit. Un jour, une nuit plutôt, contents d’arriver à la sourate « Le Soleil » (la 91, الشمس), pas très éloignée de la toute dernière à réciter (La Fatiha), on s’était mis en espiègles petits garnements à appuyer exagérément sur les rimes de fin de verset, surtout que les versets de cette sourate se terminent tous par la même rime (ha ها, avec un h sonore).
Nos voix s’éraillaient de peser lourdement et longuement sur le « ha », ça nous donna soif, et nous avions vidé tout l’air de nos petits poumons quand nous étions arrivés au verset 13 qui dit « la chamelle de Dieu, laissez-la boire » (ناقة الله وسقيها).
Il faut dire que le Cheikh était âgé mais pas sourd. Furax, il débarqua dans la mosquée sans son turban. Il nous aligna en file indienne. On passait un à un devant lui en présentant nos mains avec les doigts rassemblés en pyramide pour recevoir des coups de bâton sur les ongles, et comme rab une gifle mémorable qui envoyait noms petits corps de chitanes par terre.
Le lendemain soir, nous tremblions de peur de devoir psalmodier encore cette fameuse sourate avec ses rimes en « ha » à nous attirer des tuiles. Pour ne pas récidiver, nous l’avions récitée en élaguant du « ha » la sonorité de son « h » que nous avions prononcé avec une voix éteinte, à peine audible, une entorse une fois de plus à la récitation coranique, ce qui, bien entendu, n’avait pas échappé à notre Cheikh. Je vous laisse deviner la suite : rebelote, bâton, soufflets, et larmes étouffées.
Moralité : les voies (voix) du Seigneur sont impénétrables. Laissons boire la chamelle jusqu’à s’enivrer ! Ha ! Ha ! …. ها !!
A. Wamara