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La charte politique de Mouwatana et Dieu : trois points, deux de trop !

Tribune

La charte politique de Mouwatana et Dieu : trois points, deux de trop !

Depuis que j’ai quitté le mouvement que j’avais rejoint aux côtés d’Aït-Ahmed, je vois surgir, avec intérêt, des mouvements proclamant un chemin vers la démocratie.

Je ne connais pas celui de Mouwatana, pas plus que d’autres,. Mon âge, mon dépit, ma position solitaire et mon éloignement géographique y sont pour beaucoup. Mais comme j’avais assumé un rôle qui devait mener vers la rédaction d’une Constituante, ma curiosité intellectuelle m’amène irrésistiblement vers les écrits tendant à bâtir les fondements constitutionnels de notre rêve collectif.

Notre échec devant la caste militaire et, surtout, face à une grosse partie de la population plus attirée par les milliards que par le discours sur la démocratie, ne me permet ni de donner des leçons ni d’envisager un quelconque rapprochement avec quelque structure que ce soit. On ne m’y attend d’ailleurs pas.

Je m’en tiendrai donc modestement à une réflexion suite à la lecture de leur charte. Elle portera sur le point crucial que les démocrates n’ont jamais voulu aborder de face, soit la question divine dans le champ politique et social public.

Je l’avais écrit pour un autre mouvement politique qui avait émergé auparavant en lui faisant remarquer que, sur ce point fondamental de l’avenir de l’Algérie, ils semblaient se diriger vers la même erreur que celle du mouvement auquel j’appartenais. En fait, c’était dans son projet mais celui-ci reculait sur ce point au fur et à mesure que nous avancions dans le temps.

Nous dirions qu’il y avait, non pas un refus mais une frilosité à aborder la question du « Grand invisible » et les dégâts considérables que cela a entraîné dans ce pays qui a atteint un blocage intellectuel immense, voire qui a fréquenté les limites extrêmes de la barbarie.

Cette Constituante, nous n’avions pas eu le temps de la proposer pour les raisons que tout le monde connaît. Mais, en charge de la Constituante, j’avais eu la ferme résolution de proposer le tabou des tabous, la laïcité.

La quasi-totalité de mes camarades, pourtant démocrates, m’avaient dissuadé de prendre cette piste qu’ils souhaitaient tous mais « Les algériens n’y sont pas prêts » disaient-ils. J’ai quitté ce parti pour des raisons qui ne sont absolument pas en rapport avec ses idées mais il est deux points sur lesquels je l’aurais de toute façon quitté avec certitude si cela avait du arriver, la non prise en compte de la laïcité, la participation à l’assemblée nationale et un accord avec les généraux. Tout cela est d’ailleurs arrivé après mon départ, comme celui de beaucoup d’autres.

Près de vingt ans se sont écoulés, je lis dans la charte du mouvement Mouwatana la même frilosité, une tergiversation de termes et de tournures que je connais bien car ils sont reconnaissables entre tous.

Voilà les trois points en question :

  1. La liberté de conscience.

  2. L’égalité de tous les Algériens devant la loi, sans aucune distinction de sexe ou de religion.

  1. La non-utilisation de la religion à des fins politiques.

Tout cela est parfait et nous le signerions sans aucune hésitation. Mais mon parcours précédent m’a instruit sur la signification d’une telle profusion d’articles de principes concernant le Grand invisible. Car il ne s’agit que de cela et rien que de cela, le Grand et puissant invisible, dans le ciel, maître absolu de tout, de nos âmes jusqu’à nos constitutions. La croyance aux autres mystiques, philosophiques et surnaturelles n’étant pas en cause dans le drame des civilisations si ce n’est qu’elle retarde l’évolution des connaissances et des sciences.

Pourquoi trois articles ? Mon hypothèse est assez provocante car je crois que c’est, encore et toujours, pour éviter le mot tabou, celui qu’on n’ose exprimer pour éviter le rejet violent par une population qui y voit encore la signature du diable, un autre Grand invisible, du côté sombre celui-là.

Le point 8, la liberté de conscience est une expression très connue et ancienne des constitutions. Mais sans le verrouillage de la laïcité, une liberté de conscience n’établit pas la stricte séparation du domaine public et celui du privé. Cela voudrait dire que la religion dominante n’est pas exclue du domaine public alors qu’elle doit y être interdite, une fois pour toute. C’est une naïveté inconsciente ainsi qu’une ignorance de l’histoire de penser qu’elle tiendra une position neutre dans la sphère publique, par elle même.

Que la constitution déclare expressément une religion ou non comme l’un des fondements de ses valeurs importe peu. La religion majoritaire trouvera toujours puissance et espace à se comporter en dictature de l’esprit. Il ne suffit donc pas d’exprimer le point de la liberté de conscience mais d’exclure la religion là où elle n’a rien à faire car elle a assez fait de dégâts dans l’humanité, en Algérie particulièrement.

La pensée philosophique et métaphasique qui consiste à proclamer un pouvoir occulte comme au-dessus de toutes les valeurs républicaines est absolument incompatible avec la démocratie. Continuer à ignorer ce point en Algérie, c’est l’accompagner dans sa descente dans les abîmes de l’humanité.

Le point 9 est tout aussi problématique et découle du raisonnement précédent. L’égalité des citoyens  en considération de la religion ? Si un seul membre de Mouwatana peut me donner un seul exemple dans l’histoire de cohabitation pacifique des religions (dans leur expression constitutionnelle publique) qui ne s’est pas terminé par le désastre, le sang et la désolation ?

Le point 10 est non seulement une répétition des deux autres points car il leur est consubstantiel mais nous nous trouvons là devant une magistrale définition de la laïcité. Alors, pourquoi éviter le mot laïcité, une notion bien plus solide dans sa définition historique et juridique.

Le nombre de points concernant la religion est bien la preuve qu’on veut en dire beaucoup, beaucoup trop. On se rassure sur la véritable pensée démocratique en le répétant de nombreuses fois. Mais, hélas, cela se voit comme une rougeur au milieu de la figure lorsque la pudeur ou la crainte fait dire un mensonge ou une trop longue explication pour dissimuler la gêne. On veut éviter le mot tabou, c’est aussi clair que cela.

La charte de Mouwatana est incontestablement, dans son esprit général, le rêve de tous les démocrates et nous leur souhaitons un parcours des plus réussis. Mais, j’ai crainte que sur ce point crucial de blocage de la société, ils n’aient pris un chemin détourné, tortueux et sans risque d’affronter, une fois pour toute, la religion dans l’espace public et ses désastres.

En dehors de ce point litigieux, tout à fait intellectuel et non belliqueux, ils ont mon respect et mon soutien. Le seul vœu que je puisse formuler est qu’ils réussissent. Ils en ont les compétences et la sincérité.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar

 




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