Mercredi 15 avril 2020
La « chose » et nous, le masque et la muselière…
«Ayez le culte de l’esprit critique. » Louis Pasteur, discours d’inauguration de l’Institut Pasteur, 14 novembre 1888
On n’y peut rien. Hélas ! Le sujet s’impose de lui-même: le coronavirus. En matière d’actualité, on n’a pas l’embarras du choix. Quand, même on tente la fuir, la « chose » nous rattrape. Jusqu’à la hantise. Quand, même on ne veut pas en parler, on en parle. On fait le tour de la question et, par la même occasion, celui de la planète qui ne tourne pas rond et qui tourne en rond… On a beau s’efforcer de l’oublier, elle nous y force.
Le seul fait de voir une bouteille d’eau javel, familière et banale, pourtant, on l’imagine. On l’entrevoit. Elle s’invite. C’est le sujet planétaire. A-t-on seulement le choix? Il faut dire qu’on a que le choix de… l’embarras.
Et, en matière d’embarras, il faut dire aussi que nous nageons dans l’abondance de l’insensé. Des réactions et des comportements qui défient toute logique et dépassent l’entendement. Et, un malheur n’arrivant jamais seul, voilà que, jusqu’à ce jour, au plus fort de la propagation du fléau viral, il y en a parmi nous qui doutent encore de la réalité de la pandémie planétaire du coronavirus et qui n’épargne plus aucune région de la planète. Aucune région du pays.
Jusqu’à maintenant, nombreux sont ceux qui s’enferment dans leur déni des réalités, et que l’on pourrait qualifier de « coronasceptiques ». Ces derniers adoptent, quasiment, les mêmes attitudes et le même raisonnement que celles des « lunosceptiques », ces adeptes des théories du complot qui remettent en cause les premiers pas de l’Homme sur la Lune ; ou encore, celles des « climatosceptiques », qui ne croient pas vraiment au réchauffement climatique ou à l’incidence de l’activité humaine sur celui-ci.
Ces « coronasceptiques », se comptent parmi les personnes, nombreuses, désinvoltes et négligentes, dont les attitudes favorisent la transmission et la propagation du virus, mais aussi parmi les fondamentalistes religieux qui croient et qui veulent faire croire que le coronavirus est un châtiment divin contre les païens, contre les humains aux comportements déviants et immoraux. On a même vu, dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, des gens battre le pavé dans une région du pays pour crier « Makanch corona ! » (Il n’y a pas de corona). Le coronavirus, selon eux, serait une hérésie. Et pourtant, il « tourne ». Et pourtant, il tue !
Et si, d’autres, encore, veulent se laisser persuader -allez savoir- que ces centaines de personnes contaminées par le Covid-19 dans notre pays et, parmi lesquelles, 313 ont malheureusement succombé ne font que tourner dans un scénario catastrophe, du genre « Le fléau » ? « Le Fléau »: (The Stand, titre original), ce roman d’horreur de Stephen King publié en 1978 … Dans ce récit, il s’agit d’un virus qui s’échappe d’une base de recherches de l’armée américaine. Un soldat parvient à quitter la base avant sa contamination…La pandémie de grippe créée en laboratoire se répand à travers les États-Unis et détruit la plus grande partie de la population. Les survivants vont alors se scinder en deux camps aux buts diamétralement opposés, reproduisant ainsi la lutte éternelle du Bien contre le Mal.
Une fiction qui trouve ses adeptes dans la réalité : virus échappé d’un laboratoire, bioterrorisme… Une autre théorie qui consiste à dire qu’il s’agit d’un « plan » destiné à « réduire » la population de la planète, parce que… trop surpeuplée. Sur les réseaux sociaux, les rumeurs enflent et prolifèrent. Mais, les études et les analyses des chercheurs effectuées sur le génome du coronavirus responsable de la pandémie de Covid-19 disent que ce dernier est bien d’origine naturelle.
L’on constate, impuissants, que la pensée et le discours rationnels ne sont pas les bienvenus par une conjoncture où on en a le plus besoin et qui évoluent sur un terrain impraticable et hostile. Si le coronavirus nous fait porter des masques, des directeurs de conscience, « les néo-prophètes », veulent nous faire porter des muselières. On l’a vérifié avec les réactions épidermiques et d’une rare violence qu’a suscitées la récente réflexion de Noureddine Boukrouh intitulée « Coronavirus et les civilisations »
Parce qu’il a osé et a eu le courage de lancer le débat sur des questions d’ordre pratique et sanitaire que peut soulever la pratique du jeûne qui intervient, cette année, en pleine épidémie du coronavirus, Boukrouh, qui aborde le sujet de manière rationnelle et lucide, se voit déjà cloué au pilori et, bientôt, envoyé au bûcher. Oublions et laissons tranquille Boukrouh. Il n’a rien fait de mal. Il n’a fait qu’exprimer son avis. Doit-on se résigner et s’en remettre à on ne sait quelle loi et attendre que la « prophétie » se produise ? Et, à plus forte raison, quand la situation touche, plus que jamais, à la santé humaine. A-t-on le temps de discuter du sexe des anges ? Doit-on se fixer des lignes rouges ?
La problématique n’est pas l’auteur de cette tribune et tous ceux qui appellent à la raison. Les problèmes, certes, ils fâchent, bousculent les tenants d’une idéologie sclérosée et qui refusent de se remettre en cause, ce sont les questions lancinantes qu’ils soulèvent. Le véritable ennemi, c’est le coronavirus qui déclare une guerre sans merci à toute l’humanité. Sans distinction de race, de religion, de langue, de nationalité… C’est ce foutu fléau qu’il faut envoyer au bûcher. Y a t-il chose plus sacrée que la vie humaine? N’est-elle pas cette ligne rouge ?
L’hécatombe frappe à nos portes. Le drame est, lorsque nous aurons, enfin, peut-être, décidé de nous confiner, de nous conformer aux recommandations des scientifiques, de prendre la « chose » au sérieux, nous ne pourrons plus rentrer chez nous, nous n’en aurons plus le temps, nous n’aurons plus ce « luxe »… Nous ne serons, ni dehors, ni chez nous, parce que tout est contaminé. Sommes-nous, à ce point, suicidaires ?