Dimanche 7 février 2021
La confiance rompue entre le pouvoir et le peuple
Il fut un temps où des ministres serpentaient les rues d’Alger sans garde rapprochée et s’attablaient à une terrasse de café en toute quiétude. Il fut un temps où le petit peuple se baignait en famille au club des pins, à Moretti en famille.
Le bonheur était à portée de main. La confiance régnait, le dinar algérien venait de naître, beau, innocent sain, fragile, longtemps attendu, il avait du respect pour ses parents, il leur baisait la main, il était aux petits soins, heureux de voir le jour au milieu des siens et au service des siens, fière de rivaliser avec son frère ennemi, le franc français … A l’époque, l’argent n’était pas roi. L’or noir se vendait à deux dollars, le dinar algérien s’échangeait contre deux francs français. C’est l’indépendance. Le monde nous souriait, les anges nous saluaient. La vie était belle, l’air était pur, l’eau était limpide, les arbres poussèrent de nouveau, le rêve était permis, il n’avait pas besoin d’autorisation.
Un demi-siècle après, le prix du brut grimpe à cent dollars, le dinar algérien a disparu de la circulation, la mauvaise monnaie chasse la bonne, le patriote se terre, le larron s’invite, les gens à principe coulent, les opportunistes flottent, le pouvoir se barricade, le peuple se meurt, le monde s’affole, le virus s’installe, les hôpitaux ferment, les médecins fuient, la mer les engloutit, le monde s’isole, la vie cesse, le cataclysme est imminent. Scénario catastrophe d’un film d’épouvante ou réalité amère d’une société en voie de perdre son âme.
La coexistence de la misère et de l’abondance devient chaque jour plus intolérante et l’on assiste à des pressions de plus en plus fortes à des revendications visant à une redistribution plus égalitaire des revenus. Des populations se sentant abandonnées à elles-mêmes, n’ont plus aucun intérêt à l’Etat. Le pouvoir ne leur apparaît plus légitime, il ne satisfait pas à leurs besoins.
La promesse d’un développement égalitaire pour tous n’a pas été tenue parce que les ressources du pays ont été dilapidées dans des projets grandioses sans impact sur la création d’emplois productifs durables et sur le développement de l’économie. Nous avons le cerveau incrusté dans notre estomac et le cœur enfoui dans notre poche trouée.
Devenus riches grâce aux « affaires ! », nous bâtissons des « bidons-villas » à plusieurs étages dans les quartiers populaires que nous transformerons plus tard en bazars ou en entrepôts. Et cela ne s’arrêtera pas là. Sur conseils de nos proches, nous construisons des demeures royales, avec « jardins importés d’Andalousie » et de nombreux domestiques venus d’Afrique noire, dans des endroits réservés spéciaux très sécurisés avec des clôtures en béton, des caméras cachées de surveillance et des agents de sécurité tout autour.
Nous avons peur de notre ombre. Qui oserait serpenter les rues d’Alger sans garde rapprochée ? Pourtant, nous poursuivons notre route vers plus de biens. Et avec tout cela, nous ne sommes jamais contents, nous voulons toujours plus. Nous achetons des résidences dans des quartiers huppés des grandes capitales étrangères que nous occuperons que rarement et généralement pour un court séjour.
Une fois que nous atteignons l’âge de la vieillesse, c’est au tour de nos enfants devenus adultes de nous envoyer à leur tour dans des maisons de retraite au moment où nous avons besoin d’aide pour aller aux toilettes. Des maisons de retraite ou hospices pour les initiés d’inspiration de la charité chrétienne, qui n’ont ni leurs moyens, ni leur organisation, ni leur personnel qualifié pour finir par devenir au début par un univers carcéral, ensuite un asile psychiatrie et enfin un mouroir.
Nos grands-parents ont participé à la libération de la France de l’occupation nazie ; nos parents l’ont aidée dans sa reconstruction ; nos enfants naturalisés sont installés durablement sur le sol français. Une fois décédés, de retour sur notre sol natal dans des cercueils plombés pour être enterrés selon le rite musulman dans un cimetière populaire par des gens que nous n’avons jamais côtoyés durant notre vie entière.
Nous vivons à l’occidentale et nous sommes inhumés à l’orientale. Une fois mis sous terre, nos enfants s’entretueront pour le partage de l’héritage tout en nous méprisant. Seule la mort arrête cette course infernale vers plus de richesse, plus de gloire, plus de plaisir. Nous cherchons en vain notre bonheur dans la possession des biens matériels.
En vérité, ce n’est pas nous qui possédons les biens, ce sont les biens qui nous possèdent. Plus nous avons de biens, plus nous en voulons, moins nous avons de temps pour nous-mêmes. Le bonheur n’est pas dans la possession des biens mais dans la possession de soi.
Jeunes, nous usons prématurément notre santé pour gagner plus d’argent, vieux nous dépensons cet argent pour retaper cette santé vacillante. Nous pouvons acheter des lunettes mais nous ne pouvons pas acheter la vue, nous pouvons nous offrir un lit luxueux mais nous ne pouvons pas acheter le sommeil, nous pouvons acheter du sexe mais nous ne pouvons pas acheter l’amour.
La richesse distribuée ne craint pas de se montrer au grand jour tandis que les inégalités sociales s’accroissent. La corruption et la mauvaise gestion des ressources conduisent la majorité de la population à un appauvrissement certain. La richesse facile semble être le chemin assuré vers l’échec des politiques menées à l’abri des baïonnettes. Un argent qui tue, qui achète, qui corrompt, qui pourrit qui détruit y compris les consciences. Si l’on avait rêvé un jour de prendre à l’occident la science et la technique en gardant son âme, il semble que l’on est en train de perdre son âme sans réussir à maîtriser cette science et cette technique.
Le prix élevé du pétrole a structurellement pour effet pervers de perpétuer à l’infini le système mis en place.. Dès qu’il y a une baisse de prix, le régime se met à vaciller et les hommes à paniquer. Un système gouverné par des élites occupées à leur plan de carrière artificiellement prospère et « tant va la cruche qu’à la fin elle se casse ». Un système opaque, injuste et improductif qui n’a de compte à rendre à personne, même pas à lui-même. Il est comme sur bicyclette, s’il arrête de pédaler, il tombe. Un système conçu à l’ombre de la guerre de libération et mis en pratique par les hommes sortis de l’ombre pour faire de l’ombre au développement et à la démocratie. Un système qui a l’art et la manière de faire marcher les chiens debout et les hommes à quatre pattes. Evidemment, quand les chiens s’attablent autour d’un méchoui, les hommes n’ont même pas droit aux os (les os servant à aiguiser les dents).
Un chien reste un chien même avec une queue en or. Mais au fait, ce méchoui : est-ce de l’agneau ou … du marcassin ? Qu’importe, dirons certains, l’essentiel est « faites-nous vivre aujourd’hui et jetez-nous dans l’enfer demain » et la réponse ne s’est pas fait attendre, c’est d’injecter massivement et à forte dose de l’argent facile à travers des réseaux occultes et mouvants gangrénant l’ensemble du corps social même dans ses compartiments les plus reculés. Peut-il en être autrement ? Evidemment non, personne n’a intérêt à mordre la main qui le nourrit même si elle est pourrie ? C’est pourquoi, la main qui « donne !!! » est toujours supérieure à celle qui reçoit, c’est donc elle qui dirige.
Grâce au pétrole, l’argent facile coule à flots, les hommes ne sont pour rien dans cette abondance, à la fois illusoire et éphémère. De nos jours, le diable est devenu plus percutant que par le passé, il ne tente plus les hommes par la pauvreté mais par la richesse. C’est la course à la richesse matérielle jusqu’à ce que l’on « visite la tombe ».
Ailleurs, la richesse est créée. En Algérie, elle est imprimée. Sur le plan international, en quelques décennies, l’économie mondiale est passée de l’étalon-or à l’étalon-dollar, de la monnaie fiduciaire à la monnaie virtuelle, de l’hégémonie à la manipulation. La richesse du pays n’est plus qu’une question de chiffres.
Qui contrôle la production des hydrocarbures en Algérie ?
Evidemment dirons les économistes : la demande mondiale et non les besoins du pays. C’est cela, l’économie de marché : un marché de dupes. Sécurité de garder le pouvoir contre le monopole des américains sur le pétrole. Faut-il se rabaisser pour ramasser l’argent ou élever son âme pour atteindre l’éternité ?
Sur le plan politique, les pétromonarchies arabes sont les meilleurs protecteurs et les plus fidèles alliés des intérêts occidentaux en perte de vitesse face à la montée en puissance des pays émergents (Chine, Indes, Brésil, Afrique du sud). La corruption des mœurs. C’est-à-dire le pouvoir qu’une élite dirigeante s’acquiert sur un peuple au moyen de sa corruption morale ne peut être que d’inspiration satanique Ce troisième millénaire sera-t-il marqué par la domination de la spiritualité sur la temporalité ? Un monde de fraternité et de solidarité ou un monde de destruction massive ?
L’humanité entre dans une phase la plus inattendue de son histoire où l’homme méprise le bien et encourage le mal. Que de questions mais peu de réponse pour une société sans élite ou une élite sans dignité vieillissante vivant sur son passé glorieux et ignorant les enjeux du futur, en mal de reconnaissance sociale, imprégnée d’une culture apparente et de bas étage, nourrie au biberon « pétrolier » et non au sein maternel, qu’elle soit d’inspiration occidentale ou orientale, qu’elle soit au pouvoir ou dans l’opposition, les deux sont déconnectées des besoins réels de leur société, agissent le plus souvent comme sous-traitants des pouvoirs en place en s’inspirant des théories venues d’ailleurs notamment de l’occident qui veut que le monde arabe soit à son image et en même temps qui lui soit profitable.
La religion nous centre sur nos devoirs, la démocratie sur nos droits. Sans le pétrole et le gaz, l’Algérie sera-t-elle une tombe à ciel ouvert sous un soleil de plomb ? Pauvre pays, survivra-t-il à un éventuel sevrage pétrolier ou gazier ? La recherche et l’exploitation du gaz de schiste va-t-elle forcer le destin ? Un destin qui échappe à la volonté des hommes.
La richesse matérielle extérieure nous aveugle, la richesse spirituelle intérieure nous échappe. Nous avons des yeux mais nous ne voyons pas ; nous avons des oreilles mais nous n’entendons pas ; nous avons un cerveau mais nous nous n’en servons pas, nous avons un cœur mais nous ne ressentons plus rien ; nous disposons d’une carte mais nous ne la consultons pas, nous avons un guide mais nous ne le suivons pas. Nous fuyons la vérité et nous nous précipitons vers le mensonge.
En Algérie, tout le monde à tendance à mentir ; on se demande où est la vérité. « Si la vérité était une femme, les Algériens la préfèreraient habillée que nue. Habillée, elle les rassure, elle ne peut être que leur mère, leur sœur ou leur fille ; nue, elle leur fait peur, elle révèle leur impuissance, elle ne peut être que leur épouse ». I
l y a un âge dans la vie d’un homme où l’on est pratiquement plus près du grand trou que du petit trou. Il est temps de nous ressaisir avant que nous « visitions les tombes ».