Les débats enregistrés lors des préparatifs de l’armée d’Afrique montrent que ce projet ne faisait pas l’unanimité au sein même de la classe politique française.
Ses promoteurs devaient affronter les continuateurs de l’œuvre « des Lumières » et leurs arguments sur l’inutilité des colonies. Mais la faiblesse militaire de l’Empire ottoman vaincu en Grèce a persuadé les dirigeants français sur l’opportunité d’une aventure sur la rive sud de la Méditerranée. À Londres, on souhaitait ardemment préserver l’intégrité territoriale ottomane au nom du maintien stratégique des routes vers l’Inde et ce, du Maroc jusqu’en Égypte.
La Méditerranée prenait donc une nouvelle dimension dans l’équilibre des forces après l’indépendance de la Grèce en 1827. Le désintérêt britannique au cours des French Wars de la Méditerranée avait dans le même temps encouragé les appétits russes et français. La Méditerranée orientale (Égypte, Levant et Syrie) était devenue une zone de tension internationale, depuis l’expédition d’Égypte en 1798 qui aboutira à la crise d’Orient en 1840.
Dans les deux cas de figure, la Grande-Bretagne aura été obligée de rassembler ses forces et d’orienter sa diplomatie contre les tentatives françaises d’occuper cette partie de la Méditerranée. Une attention particulière y sera désormais consacrée par le Foreign Office. Cet intérêt soudain ne cache pas l’urgence de sécuriser les routes vers l’Inde et d’imposer coûte que coûte la supériorité de la Royal Navy dans le giron des dépendances ottomanes.
Une fois le blocus de la ville d’Alger annoncé officiellement par les autorités françaises, cette dernière allait prendre une part considérable dans les débats parlementaires français. Elle sera également accompagnée d’une intense production littéraire et philosophique. L’argument officiel avait l’allure d’un argument de principe : on ne saurait transiger avec l’honneur national et la dignité française. L’insulte du dey Hussein ne pouvait rester sans une réponse ferme de la France.
À l‘opposé, les libéraux, pragmatiques, attaquèrent la démarche des Bourbons arguant que le blocus, injuste et onéreux, pénalisait plus les Français que la régence. Quoique les débats fussent intenses aussi à la Chambre des députés que celle des Pairs, le début du blocus n’avait pourtant pas connu un grand intérêt.
Les années 1828 et 1829 auront au contraire été le signe d’un certain désintérêt au sein du parlement français. Ce n’est qu’à partir de 1829 que les représentants français commenceront sérieusement à s’intéresser à l’idée de la conquête, notamment lors des discussions de la Chambre des députés sur la question du budget supplémentaire autorisant d’autres tranches financières au projet très controversé du blocus.
La ville de Marseille était parmi les rares lieux enthousiasmés par l’exploit français contre le dey. Par souci de courtoisie, les autres cercles des villes françaises félicitèrent le roi de la chute du dey sans prouver aucun intérêt particulier. L’engouement des Marseillais est retracé par Pierre Guiral dans « Les impérialismes dans la première moitié du XIX siècle » publié dans La Revue des Relations internationales de l’automne 1976. Alger alors représentait un intérêt quasi nul dans les milieux d’affaires français.
Dès les premiers jours du blocus économique, les négociants marseillais avaient souhaité qu’Alger bénéficie d’un statut autonome dans la mesure où elle présentait un intérêt commercial vital pour le commerce du pays avec les Etats barbaresques voisins. Parmi les groupes les plus influents dans cet échange prospère, ce « lobby » marseillais allait alors présenter aux décideurs à Paris deux solutions sans équivoque : soit lever blocus qui leur avait causé d’énormes pertes financières, soit prendre Alger pour mieux faciliter les échanges en Afrique du Nord et pénétrer davantage vers le Sud du continent.
Les intérêts commerciaux du lobby marseillais étaient en jeu puisqu’en chute libre durant le blocus du port d’Alger. Ces derniers avaient déjà perdu huit millions de francs rien que pour l’année 1828. Par conséquent, ils s’efforcèrent de trouver une solution diplomatique qui arrangerait leurs affaires commerciales. Dans un article rédigé par Sismondi dans la Revue encyclopédique, reprit au passage par Henri Alleg dans son ouvrage La guerre d’Algérie paru en 1981, il démontre les motivations commerciales de la conquête et affirmait que les Marseillais seraient contre une installation négociée après les hostilités de 1827.
Pour eux, le désir de vengeance n’était pas plus important que la sauvegarde des relations commerciales. C’est pourquoi les Phocéens avaient privilégié la piste de la conquête afin de renforcer leurs positions commerciales dans la zone. La presse marseillaise s’en est même félicitée, comme le signale Le Sémaphore, reprit par Charles André-Julien dans son article « Marseille et la question d’Alger à la veillé de la conquête », publié dans un numéro de la Revue africaine.
Le député marseillais Thomas n’aura de cesse de fustiger le gouvernement Polignac ainsi que ses prédécesseurs après le blocus d’Alger. Outre les répercussions économiques néfastes sur le commerce de la ville, les souffrances des militaires capturés par les miliciens et la population d’Alger ne seront habilement exploitées par le journal de cette dernière, Le Sémaphore. On y décrit la souffrance des fils de la nation et les récits des captifs eux-mêmes sont rapportés quotidiennement. Ce véritable organe de propagande misait ainsi sur le sensationnalisme et l’emphase pour justifier le passage à l’étape de la conquête militaire, garante du triomphe du négoce marseillais.
Suite à l’échec des pourparlers avec le vice-roi d’Égypte concernant l’intervention de Méhemet Ali pour soumettre Alger, Le Sémaphore allait incarner les prémices de cette nouvelle rivalité franco-britannique en interpellant les décideurs à Paris de la nécessité de prendre en premier lieu Alger. Le journal s’appuyait sur les réactions britanniques, notamment la correspondance diplomatique entre Polignac, Aberdeen et Wellington.
Dans son numéro du 6 mai 1830, Le Sémaphore s’intéresse à titre d’exemple aux mouvements britanniques pour contrecarrer les préparatifs de l’expédition française : il livre cette information sur un bateau à vapeur, Georges the Fourth, provenant de Malte et se dirigeant vers Alger. Ce dernier serait prêt à intervenir, selon la source du Sémaphore à Alger dès le lendemain avec deux frégates et quatre bricks. Dans une autre édition, celle du 14 mai de la même année, le journal rapporta ce chiffre à six vaisseaux de guerre stationnant à Alger. Pour le faire taire, le consul britannique à Marseille, Alexandre Turbull, sera contraint de protester avec véhémence pour mettre fin aux déclarations diffamatoires du journal.
Dans ce climat délétère entre gouvernement et députés de la gauche, le député Thomas continuait d’adresser ses plus vives remarques au gouvernement Martignac (1778-1832), décrivant à quel point le blocus paralysait le commerce marseillais. Pourtant et contrairement à ses collègues du parlement, Thomas ne proposera pas l’expédition militaire. L’idée était l’œuvre du député de Roux qui avait proposé lors d’une séance du parlement en 1829 consacrée à la question d’Alger, un projet de « pénétration pacifique ».
Selon Thomas, l’implication du gouvernement dans l’Affaire d’Alger était claire. Les rumeurs plus qu’insistantes courraient dans les villes portuaires françaises qui échangeaient avec des commerçants et marins venus d’Alger, contestant même jusqu’à la version du geste du dey Hussein à l’encontre de Deval. On avançait que la véritable cause serait liée à une correspondance envoyée en France et à laquelle les chargés des Affaires étrangères n’auraient pas eu l’audace de répondre.
Thomas continua d’insister lors des débats de juillet 1829, sur l’inefficacité du blocus qui minait le trésor public : sept millions de francs sont débloqués chaque année pour maintenir un blocus qui ruine des commerçants marseillais. Ces derniers ont vu leur chiffre d’affaire passer de huit millions par an à deux millions après le blocus.
Il ajoute que le blocus n’a en aucune manière arrêté les pirates ou les marins d’Alger d’imposer leur loi en Méditerranée. Plus grave, selon le même interlocuteur, les corsaires d’Alger ont pu à maintes reprises regagner les côtes méditerranéennes françaises. Dans ses deux discours, le député, soutenu par Le Sémaphore, insiste sur les mauvaises méthodes employées par les responsables politiques à Paris qui sont en train de sacrifier les intérêts des commerçants marseillais.
Le député Thomas conclu son bilan en pointant la succession d’erreurs qui a commencé par l’imprudence du gouvernement Villèle. C’est bien ce dernier qui avait pour argent comptant les prétendus outrages dénoncés par Deval à l’encontre du roi de France et de son représentant à Alger ; motivant par la suite la décision d’un blocus diplomatique, économique et politique sur la régence d’Alger, qui n’arrangeait guère les affaires du lobby commercial marseillais dont la prospérité économique était assurée grâce aux échanges avec Alger et par la possession des concessions de Bône et de la Calle.
Les gouvernements Martignac et Polignac avaient fait le choix d’assurer la continuité d’une politique pourtant si coûteuse financièrement, et qui avait fait tant de remous sur la scène parlementaire depuis 1827. Les Marseillais avaient toutefois cru que la France soumettrait le dey sans aucune guerre. De plus, ils s’inquiétaient d’une probable expédition française vers l’Orient. De ce fait, le commerce avec l’Egypte, Tunis, Tripoli et même le Maroc se verrait paralysé en cas de conflit avec la Grande-Bretagne.
Le ministre du Commerce rassure la Chambre de Commerce de Marseille sur les intentions du gouvernement en Orient. Il assure que son pays entretenait de bonnes relations avec l’Égypte, Tunis et le Maroc, sans oublier de souligner que les relations avec Tripoli s’étaient stabilisées. La seule régence barbaresque qui, affirme-t-il, posait problème était bel et bien Alger.
Les Marseillais accueilleront la nouvelle de la prise d’Alger avec joie en cette matinée du 9 juillet 1830. Cela signifiait que leur commerce allait reprendre avec les régences barbaresques d’Afrique du Nord. Entretemps, le Sémaphore s’était aligné sur un courant de pensée qui défendait la prise d’Alger et la colonisation de toute la régence.
Le journaliste du Courrier français Pradt relève dans un article publié le 23 juillet 1830 la proposition du Sémaphore avant de souligner sa crainte quant à une probable guerre maritime avec les britanniques : « Tout ceci se réduit donc à ces simples mots : aura-t-on ou n’aura-t-on pas une guerre contre l’Angleterre ? Voilà toute la question dégagée des accessoires qui l’offusquent et dont la sérieuse méditation importe bien plus aux vrais intérêts de la France que les considérations excitatrices qui ont été présentées jusqu’à ce jour ». La question d’une intervention britannique était devenue la préoccupation principale de la classe politique française qui savait, de surcroît, qu’une nouvelle guerre serait désastreuse.
Conscients qu’un conflit maritime leur serait fatal, les responsables des Affaires étrangères françaises vont déployer toute leur énergie afin d’éviter une confrontation militaire. La diplomatie française allait rester attentive aux demandes de Londres concernant les garanties sur l’avenir de l’expédition.
Alors que le cabinet de Polignac tentera systématiquement d’esquiver les exigences du gouvernement Wellington concernant la présentation des assurances officielles, la ténacité d’Aberdeen allait susciter un vif échange diplomatique aboutissant à quelques concessions orales de la part des responsables français. C’est ce qui explique que lors de ses deux déclarations de guerre contre Alger, le roi Charles X devait insister sur l’aspect européen et chrétien de l’expédition afin d’éviter les entraves des puissances européennes.
Dr. Mohand Ouali, historien angliciste