Pour mieux saisir les passions que la conquête d’Alger par les Français avait suscitées à Londres, il nous est nécessaire de poser le cadre sociohistorique de l’époque.
La conquête d’Alger en 1830 s’inscrit dans une dynamique d’expansion coloniale des puissances européennes, notamment la France et la Grande-Bretagne. Cela faisait suite à la perte de territoires français du premier Empire colonial comme Saint-Domingue en 1804; actuellement Haïti.
Sur le plan intérieur en France, la conquête d’Alger visait à redorer le prestige de la monarchie et de Charles X, très impopulaire. C’était une stratégie de politique intérieure. La société algérienne était composée de différents groupes (citadins, tribus, confréries) avec une forte autonomie locale. Le dey d’Alger représentait la tutelle ottomane. La conquête française a bouleversé les équilibres traditionnels.
En Grande-Bretagne, la classe politique était traversée par des clivages idéologiques, les Tories étant plus méfiants de l’expansion française que les Whigs. Ces débats parlementaires révèlent une conscience dans la société britannique du XIXe siècle du danger français sur son commerce. Sur le plan économique, la présence française en Algérie inquiétait les marchands britanniques quant à la liberté de circulation en Méditerranée et à l’accès aux matières premières. Donc, ce texte s’inscrit dans le cadre des rivalités coloniales, des évolutions politiques en France et en Grande-Bretagne, et des bouleversements apportés à la société algérienne traditionnelle au début de la colonisation.
Des débats au Parlement britannique concernant la conquête française de l’Algérie ont été passionnants et passionnés. Quelques points clés: La Chambre des Lords a déposé les premières motions contre le maintien de la présence française en Algérie entre 1832-1838, notamment par Lord Aberdeen. Il ne s’agit pas d’énumérer dans cette modeste contribution ces séances parlementaires, combien nombreuses sont-elles. Mais, il convient d’éclaircir les lecteurs sur ce point d’histoire, qui reste encore peu étudié, et de l’importance de ce travail politico-parlementaire qui met en avance l’importance de l’espace méditerranéen et des régences barbaresques dans l’échiquier politique international.
C’est à partir de la Chambre des Lords que les premières motions contre le maintien de la présence française en Algérie furent déposées par les représentants Tories en particulier Aberdeen entre 1832 et 1838. Il est clair que ce dernier, étant ministre du Foreign Office, durant la conquête a vivement refusé l’entreprise de Charles X qui visait dans un premier lieu, rappelons-le, a punir le dey Hussein pour son coup d’éventail à l’égard du consul de France Pierre Deval en avril 1827.
Les promesses du roi bourbons et son ministre des Affaires étrangères, puis président du Conseil, Jules de Polignac étaient nombreuses. Il s’agit de garanties officielles fournies par ces derniers pour l’ensemble des puissances européennes et des états chrétiens de quitter Alger après que l’honneur de la France soit rétabli par un châtiment sévère contre le dernier dey d’Alger.
Certains dirigeants et politiciens européens, nous contentons de citer le Tsar russe Nicolas Premier et le ministre d’Autriche Metternich, pour ne citer que ces deux figures historiques, se sont cependant étonnés de l’envoie de plus 37 000 soldats équipés de canons et d’armes modernes, pour châtier un dey en perte de puissance en Méditerranée suite à la destruction de la flotte maritime que possédait la régence d’Alger à la bataille de Navarrine en 1827 qui s’est soldée par l’indépendance de la Grèce de l’empire Ottoman et le début du déclin de vaste empire qualifié par le Tsar russe de « colosse au pieds d’argile ».
Nous allons donc essayer d’éclaircir le lecteur sur cette démarche politico-diplomatique entreprises par les leadeurs tories pour insister sur la nécessité de retirer le plus rapidement possible les troupes de l’armée d’Afrique d’Alger et ainsi empêcher la globalisation de la conquête sur tout le territoire de la régence ; voir même des autres régences barbaresques ; à savoir Tunis et Tripoli. Ce travail parlementaire était soutenu par les organes de presse britanniques, plus particulièrement The Times et quelques revues affiliées au parti des Conservateurs comme The Westminster Review, qui n’ont cessé durant des années de couvrir le travail parlementaire en faveur de l’évacuation d’Alger au sein de la Chambre de Communes et la Chambre des Lords.
Les artisans de cette revendication parlementaire ne sont que les déçues de la dernière élection législative du 30 novembre 1830. Quelques mois après la chute d’Alger et même la chute de Charles X et l’arrivée de Louis Philippe au pouvoir en France après les Trois Glorieuse de juillet de la même année. Ce contexte politique instable au sein des deux puissances européennes a marqué le lancement de nouvelles idéologies et philosophies coloniales. En effet, l’arrivée des Whigs au 10 gouvernement a changé aussi la politique coloniale et commerciale britannique.
Mais, il a aussi changé le regard du gouvernement du Lord Charles Grey (1764-1845) et de son ministre des Affaires étrangères Lord Palmerston (1784-1865). Après un travail acharné pour exiger des explications au gouvernement français sur le maintien des troupes françaises en terre d’Alger par les Tories, le nouveau locataire de Saint-James a même soutenu la démarche française en arguant que la présence de l’armée d’Afrique allait assurer la navigation des bateaux européens en Méditerranée et aussi finir avec la captivité des chrétiens par les corsaires de la régence d’Alger.
Ainsi Aberdeen (1784-1860) étant le leader de la Chambre des Lords après sa perte des élections entame un travail gigantesque pour exiger le départ de l’armée d’Afrique et l’application des assurances faites aux puissances européennes par le roi Charles X et son ministre Polignac. Néanmoins, l’analyse des séances parlementaires britanniques de 1831 jusqu’en 1833 regorge de témoignages pour l’évacuation d’Alger. Le travail s’est accentué après la décision de globaliser la colonisation française sur toute l’Algérie en 1834. Nous contentons de citer quelques séances parlementaires qui soutiennent nos propos et qui prouvent que l’affaire d’Alger a eu dès les débuts de la colonisation un écho international et était un point à ne pas négliger dans les débats parlementaires et journalistiques. Cela renforce l’idée de la rivalité coloniale dans la quête pour l’acquisition de nouveaux territoires entre les deux empires coloniaux.
A travers les différentes motions posées par Aberdeen et l’opposition, il y avait une volonté quasi-explicite : faire échouer toute tentative de constitution d’une colonie durable à Alger. Malgré la nomination du vieux Talleyrand (1754-1838), expert en politique internationale, en poste d’ambassadeur à Londres et malgré ces multiples démarches pour convaincre la classe politique, et l’opposition en particulier, de la nécessité de maintenir la colonie d’Alger, les Tories n’ont pas avalé la pilule et ont intensifié leurs interventions aux deux Chambres du parlement.
Les orateurs de l’opposition ont accusé, et durant une décennie, les gouvernements Grey et Melbourne de donner l’occasion à la France de s’installer définitivement en Afrique du Nord et de laisser l’établissement d’un deuxième empire colonial français. Les plus connues sont à titre d’indication l’intervention de Wellington en 1832 et la motion d’Aberdeen du 3 mai 1833. Les deux responsables tories ont mis à l’ordre du jour des débats parlementaires l’affaire d’Alger et la question des promesses faites par Charles X quant à l’évacuation d’Alger.
L’intensité des débats sur la question d’Alger permettra de rouvrir à nouveau les négociations sur l’évacuation d’Alger. Les collections d’archives des deux chambres du parlement britannique permettent ainsi de saisir les motivations de ce regain d’intérêt concernant l’invasion française. Désormais, considérée comme dangereuse au regard de l’équilibre des puissances en Europe et en Méditerranée ; on mesure mieux, outre-Manche, les véritables mobiles français et les menaces de la constitution d’une nouvelle colonie après la perte de Saint-Domingue en 1804 et la reconnaissance de Charles X de l’indépendance d’Haïti le 17 avril 1825. Cette reconnaissance est largement critiquée par Victor Hugo dans son premier roman Bug- Jargal, paru peu après en 1826.
Dr. Mohand Ouali, historien angliciste