« Dieu est le seul être qui, pour régner, n’ait même pas besoin d’exister ». Charles Baudelaire
L’Algérie vit un cauchemar avec les généraux mais d’un cauchemar on finit toujours par se réveiller. Avec « L’Éternel » l’humanité a été condamnée à la perpétuité.
Lorsqu’on aborde la question de Dieu en droit, j’hésite entre le rire, la consternation ou la colère. Alors je reste calme et me contente d’analyser la situation juridiquement. Essayons d’aborder ce droit confronté à l’irréel à partir de la constitution algérienne.
Art. 42. — La liberté de conscience et la liberté d’opinion sont inviolables.
La liberté d’exercice du culte est garantie dans le respect de la loi.
Si je me convertis au judaïsme, au catholicisme, au bouddhisme ou au chamanisme transcendantal, ma liberté de citoyen serait donc entière et je pourrais l’exprimer et agir en conséquence. Le droit de conscience est donc assuré en Algérie par la constitution.
Mais à la lecture de cet article je me rends compte soudain que je n’ai pas correctement lu un autre, au début de la constitution.
Art. 2. — L’Islam est la religion de l’Etat.
Je peux donc croire en ce que je veux ou être athée, l’État n’est pas du tout de cet avis car il se proclame musulman.
Mais que veux dire en droit un État qui a une religion ? Peut-on lui dire « Bonjour monsieur l’État, vous êtes allé faire votre prière ce matin en bon musulman ? ». Assurément non et pourtant l’État est une personne morale qui a une réalité en droit.
La Constitution algérienne : langues pendues, bouches cousues
La personne en droit est une entité juridique qui se définit par sa capacité à jouir de droits et à assumer des responsabilités. Ce qui n’est pas le cas des animaux ou des objets. On dit alors qu’elle possède une « personnalité juridique ». L’État est une personne morale de droit public.
La personnalité juridique a des attributs que sont le nom, le domicile et le patrimoine. C’est le cas de l’État mais personne n’a jamais parlé de la religion comme attribut de la personnalité juridique ni même de ses goûts musicaux.
Le gros souci est que la nationalité d’une personne physique, donc du citoyen, se définit par un rattachement juridique à un État. Autrement dit, la nationalité est rattachée à des droits et des obligations en vigueur dans cet État.
Je suis donc libre de ma conscience religieuse mais rattaché à un pays qui en a choisi une exclusivement. Au fond, on pourrait avec humour dire que lui aussi est garanti de la liberté de conscience par l’article 42. Pourquoi serait-il discriminé s’il veut être musulman ?
Tout simplement parce que l’État est celui qui crée les constitutions, les lois et les règlements. Et ces textes créent les droits et les obligations auxquels est rattachée la nationalité.
En résumé, je suis libre de ma conscience en tant qu’individu mais soumis à la religion de l’État par ma nationalité. Ne cherchez pas, seuls les militaires et les musulmans ont un dictionnaire pour comprendre cette incongruité. Il parait qu’il est tombé du ciel.
L’État peut donc m’imposer légalement les pires barbaries comme le code de la famille et l’esclavage des femmes et il peut, sous peine de menaces (dans le cas le plus optimiste) m’imposer les codes et les rites de sa religion.
En fin de compte nous, n’aurions pas un peuple souverain dans une république mais un souverain dans le ciel. Il est le commandeur de la constitution et des lois qu’il décide, rédige et vote. Il est donc le parlement, le gouvernement et la justice s’il me venait à avoir l’imprudence de le contredire.
Ce n’est donc pas le peuple qui est souverain mais un être que je n’ai jamais vu, dont je ne connais ni le nom, ni le visage ni le lieu de résidence. A-t-il déposé sa candidature et présenté son programme ?
Le droit connait le vote par procuration, je ne crois jamais avoir entendu qu’il permettait une candidature et l’exercice d’un mandat par procuration accordée aux dirigeants de l’État.
La Constitution algérienne en bon esprit : le contrôleur contrôlé
Depuis un demi-siècle je suis épuisé et consterné d’entendre de la bouche de mes contradicteurs, censés avoir une instruction, m’opposer une référence à propos de la laïcité, dans une ignorance totale.
Ils retournent toujours la loi de 1905, créatrice de la notion de laïcité, dans un sens qui les arrange. Ils ne retiennent que le célèbre article 1 « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ».
Nous avons donc l’article 42 de la constitution, me disent-ils, qui garantit la liberté de conscience. C’est pour eux un moyen de dire que nous avons avec cet article l’essentiel de la loi de 1905. Oui mais voilà, ils occultent ou ignorent (je pencherais pour ce second cas) l’article 2.
« La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte …/… ». Ce qui est loin de la nature de la constitution algérienne qui n’est pas laïque, c’est le moins qu’on puisse dire.
La religion n’a aucune place dans une constitution républicaine où c’est le peuple, avec un corps et un cerveau bien réels, qui détient la souveraineté populaire.
La laïcité est la protection des religions, elle n’est pas son ennemi, car elle les exclut de l’espace public où celle du plus fort écraserait inévitablement les autres, toujours avec brutalité.
La laïcité protège également le droit absolu à l’appel d’une part d’irrationnel dans l’existence humaine. C’est le propre de l’être humain d’y recourir parfois et c’est souvent une arme de recul de la réflexion.
Mais l’irrationnel n’a aucune existence en droit, surtout lorsque la violence et les barbaries sont ses bases doctrinaires. Avec les guerres et les épidémies, les religions ont été la cause de centaines de millions de personnes à travers l’histoire.
Alors, qu’elles restent dans ce qu’elles ont toujours prétendu se trouver avec un mensonge grossier, c’est-à-dire dans les consciences privées des êtres humains. Et qu’elles s’enferment à double tour.
Sid Lakhdar Boumediene