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La culture entre élite et underground: le poids écrasant des chaînons manquants

Grand Angle

La culture entre élite et underground: le poids écrasant des chaînons manquants

Kateb Yacine.

La massification de l’accès à l’information ne signifie pas, ipso facto, sa démocratisation. Ce serait une illusion de croire que lorsqu’on déniche une « info » sur les réseaux sociaux et qu’on égrène de pseudo commentaires- tenant parfois du fiel goulûment déversé-, l’on peut s’en faire aisément une opinion et la défendre sans coup férir. Il y a loin de la coupe aux lèvres, sachant qu’une grande partie de ces nouveaux « acteurs » de l’information n’ont pas les bases et le background nécessaires pour réaliser une telle ambition. Le mal risque d’être fait; et il se fait malheureusement de plus en plus.

L' »info », son interprétation univoque-limitée par le champ de vision de la personne qui la porte-, et son « recyclage » dans les réseaux sociaux, dans les journaux et sur la place publique, créent une espèce de monde mi-réel mi-virtuel, où s’embrouillent les éléments primaires de la communication, aboutissant à un capharnaüm bien orchestré. Un grand nombre de personnes finissent par se défier complètement de tout ce qui est véhiculé comme info ou commentaire. Le projet de neutralisation de la société n’est pas donc très loin.

En ce moment de gros brouillages et de déficit de visibilité, où tous les acteurs- y compris le plus anonyme facebooker- tentent d’enfourcher le moindre « événement » pour lui conférer consistance et prolongement, il ne serait pas inutile de revenir sur ce qui fait la substantifique moelle de la crise, réelle celle-là, qui prend en otage la société et son élite. C’est que la problématique culturelle, qui sous-tend la question soulevée par l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication (Ntic), est, en Algérie, loin d’être disséquée, diagnostiquée et mise sur la table de façon franche et résolue. À ce sujet, nous proposons ici une analyse que nous avions publiée dans La Dépêche de Kabylie au début de ce qui est appelé le « Printemps arabe ».

La crise sociale et économique- faisant baigner dans une atonie, voire une paralysie politique sans pareil, le pays – est sans doute dans une phase d’agrégation qui fait courir des menaces sérieuses sur l’Etat et la société. Tout en offrant une lecture où les éléments matériels et institutionnels sont déchiffrables, cette crise cache des aspects peu ou mal analysés qui sont aussi fondamentaux, sinon peut-être plus déterminants ; ce sont les aspects liés à la culture et l’éducation. Ces volets ont, certes, été abordés par des intellectuels de la trempe de Mouloud Mammeri et Mostefa Lacheraf. Cependant, ils ont du mal à figurer dans le tableau général de la symptomatologie du mal algérien qui a réduit sa jeunesse à des loques humaines à la recherche d’autres rivages, supposés « rédempteurs ».

Ainsi, pour n’avoir pas su ou voulu canaliser la fougue de la jeunesse algérienne qui constitue l’écrasante majorité de la population du pays, les responsables politiques font courir à la société de lourds dangers de marginalisation, d’exclusion et de débordements pervers et violents dont on commence à entrevoir les amères prémices. La mission de l’élite du pays à l’endroit de cette jeunesse demeure, elle, sans contours précis ; pour tout dire, elle manque manifestement de pertinence.

Les fondements culturels qui allient éducation au sein de la cellule familiale, formation scolaire et universitaire qualifiante et accès raisonné aux données de la culture universelle, sont les grands absents. Les moyens matériels seuls ne peuvent rien apporter à l’équilibre général de la personnalité et à la formation d’un background solide, sans les repères et les valeurs qui fondent les qualités de l’homme dans son environnement familial, domestique et professionnel.

Même lorsque les difficultés de la vie des citoyens et les écueils dressés au travers de la relance économique prennent les dimensions de phénomènes bureaucratiques et de désordre administratif, une exploration plus sérieuse du phénomène nous ramènera incontestablement à une affaire de mentalité, d’état d’esprit et, enfin, de culture. Ne voit-t-on pas clairement la similitude, voire la « complémentarité », qui existe entre, d’une part, un système bancaire public obsolète qui n’arrive pas à encadrer les investissements et à prendre les risques sur la base du concept de projet (il préfère la solution facile mais largement dépassée de gage et d’hypothèque) et, d’autre part, le comportement des citoyens qui se conduisent en acteurs économiques informels qui thésaurisent au lieu d’investir, évitent l’épargne car ne faisant pas confiance aux banques et excluent l’utilisation du chèque car ils agissent en dehors de l’économie structurée. Les tares et paradoxes issues de l’économie rentière, un certain moment dite « socialiste », se sont insidieusement transformés en un sous-développement culturel dont il est difficile de sortir.

En se débattant depuis des années dans de crises multiples et complexes, la société algérienne n’a pas manqué de donner lieu à des approches et des analyses qui sont aussi puissamment argumentées les unes que les autres. Depuis la chance ratée de la prise en charge de l’Indépendance du pays en 1962, suite à de féroces luttes de pouvoir devant une population hébétée et épuisée par presque huit années de guerre, jusqu’à l’échec recommencé de l' »ouverture démocratique » après octobre 1988, en passant par l’euphorie d’un boumediénisme marqué par les Trois révolutions et le pseudo-libéralisme de Chadli, les différentes étapes de la vie de la nation ont fait l’objet d’analyses surtout économiques et politiques faisant primer les intérêts de groupes sur les données ‘’sociétales’’.

L’une des raisons, et non des moindres, de cette vision parcellaire et un tant soit peu tronquée de la réalité des choses, étant sans doute le poids d’un facteur qui, discrètement mais sûrement, allait bouleverser la donne économique du pays, le comportement des citoyens vis-à-vis de la classe qui les gouverne et même la relation que le peuple entretient avec le travail et les valeurs morales qui le sous-tendent. Ce facteur, véritable ‘’deus ex machina’’ qui remettra en cause la classification sociale d’une façon durable et qui générera des attitudes et des réflexes que nos aïeux étaient loin d’imaginer, est le pétrole, avec ses prolongements de rente distributive. La société algérienne connaîtra à partir des années 1970 des chamboulements, des mobilités, un exode vers les villes, de nouvelles valeurs morales et culturelles et une nouvelle ‘’éthique’’ que ne pouvait permettre que cette relation charnelle, complexe, magnétique, avec cette énergie fossile valorisée et portée aux nues par une consommation mondiale toujours croissante.

Un mal insidieux

Les approches économistes basées sur les effets et les dérives de la rente pétrolière ne sont pas à congédier ou à réfuter. Elles constituent un argumentaire de poids pour aller sonder les changements de fonds en comble de la société depuis 1962. Cependant, comme nous le disions plus haut, ces approches demeurent parcellaires tant qu’elles ne se penchent pas sur la dimension culturelle de la crise durable qui prend en otage le corps de la société.

Les éléments les plus visibles, les symptômes du malaise culturel sont là. À vouloir les sérier, il faudrait y consacrer des études et des volumes entiers. La crise intergénérationnelle en constitue la façade la plus exposée à l’analyse. La vitesse des changements est d’une fulgurance inouïe. Il y a moins de quinze ans, pouvoir passer un coup de fil à partir d’un taxiphone d’Alger relevait de la prouesse tant étaient rares les cabines et fortes les sollicitations. La téléspectateur algérien n’avait droit qu’à la chaîne gouvernementale, laudatrice des princes du moment, et qui avait un volume horaire moyen de douze heures de diffusion. Un peu plus d’une décennie plus tard, les effets du village planétaire, entrevu naguère par Mc Luhan, ont eu pour destination privilégiée l’Algérie. Ce n’est guère un hasard si les dernières inventions de la technologie moderne sont acquises par nos concitoyens quelques mois à peine après les premiers essais en Europe, en Amérique ou au Japon.

Grâce à l’argent du pétrole, les Algériens approchent certaines créations technologiques (vidéo, démodulateurs de télévision, téléphone portable, tablettes Iphone, Ipad, micro-ordinateur, des accessoires informatiques comme les MP3, les CD, DVD, les appareils photographiques numériques,…) avec une attitude plutôt ludique que réellement utilitaire. Ce que des pays du tiers-monde en Afrique, en Asie ou en Amérique latine mettent des décennies à connaître ou à utiliser, les Algériens l’apprivoisent en quelques mois et se montrent, ce faisant, des éternels insatisfaits. Et pour cause ! Les fondements culturels qui allient éducation au sein de la cellule familiale, formation scolaire et universitaire qualifiante et accès raisonné aux données de la culture universelle sont, on le voit bien, les grands absents. Les moyens matériels seuls ne peuvent rien apporter à l’équilibre général de la personnalité et à la formation d’un background solide sans les repères et les valeurs qui fondent les qualités de l’homme dans son environnement familial, domestique et professionnel.

On ne peut sublimer le potentiel de violence et l’énergie de la libido juvénile que par de vraies activités culturelles charriant passions et vocations. Pour n’avoir pas su canaliser la fougue de la jeunesse algérienne qui constitue 75% de la population du pays, les pouvoirs publics font courir à la société de lourds dangers de marginalisation, d’exclusion et de débordements pervers et violents dont on commence à entrevoir les amères prémices. La mission de l’élite du pays à l’endroit de cette même jeunesse demeure, elle, sans contours précis ; pour tout dire, elle manque manifestement de pertinence.

Tares et avatars

La partie la plus proche et la plus connue de l’histoire tourmentée de la culture algérienne est celle relative à la colonisation. Contrairement aux autres colonies françaises, l’Algérie était considéré comme un simple prolongement de la Métropole, à savoir un territoire formant trois départements (Alger, Oran, Constantine) au XIXe siècle. C’était une colonisation de peuplement qui favorisa l’installation de plusieurs communautés d’Europe, principalement de France et d’Espagne. À la veille de l’Indépendance, les populations européennes étaient évaluées à un million de personnes. Au vu de son statut économique, administratif et social acquis par la violence et basé sur les privilèges, cette communauté ne pouvait qu’assurer sa primauté culturelle et idéologique dans un pays qu’elle considérait comme étant le sien. Cela ne pouvait pas aller sans heurts face à une population autochtone confinée dans l’indigénat. Les expropriations des paysans, l’accélération du salariat capitaliste et la destruction des bases de la cellule familiale ont hâté une forme de déculturation dont les conséquences les plus immédiates étaient la dévalorisation de l’être algérien, la haine de soi et, in fine, le complexe du colonisé. Les formes d’acculturation auxquelles on pouvait s’attendre n’ont pas eu lieu, ou du moins avaient une portée très limitée, en raison de la logique coloniale basée sur la soumission. Les cas très rares d’indigènes affranchis du joug de l’ignorance à la faveur d’une certaine ‘’libéralisation’’ de l’école de Jules Ferry constituent plutôt une exception qu’une règle. Le résultat des courses fut qu’en 1962 le taux d’analphabétisme était effarant, soit plus de 80% de la population algérienne.

Quelle que fussent les différences d’angle de vue et les divergences d’approches, les élites algériennes de l’époque coloniale ont su décrypter l’entreprise de dépersonnalisation et de déculturation qui était mise en œuvre par les autorités, les institutions et les idéologues coloniaux. Parmi ces derniers, le cas le plus patent est sans aucun doute celui de Louis Bertrand qui considérait que la colonisation de l’Algérie n’est qu’un juste retour des choses, qu’un rétablissement d’un fait historique, puisque l’Afrique du Nord était une patrie ‘’latine’’ dont les Européens ont été ‘’injustement’’ dépossédés.

Le mouvement national, avec ses différentes facettes (ENA, UDMA, MTLD, Ulémas), a majoritairement revendiqué l’émancipation de la personnalité algérienne et la promotion des valeurs d’origine en même temps que la libération politique du pays. De même, des personnalités politiques, religieuses et culturelles ont mis à nu les tentatives coloniales de déposséder les Algériens de leur culture et de leur personnalité. Depuis l’Émir Abdelkader, jusqu’à Mouloud Mammeri et Mostefa Lacheraf, en passant par Si Mohand U M’hand, Ferhat Abbas, Messali, Mohamed Cherif Sahli, Jean Amrouche, Mohamed Laïd El Khalifa, Feraoun, Kateb Yacine, les poètes et meddahs populaires, tous, et chacun selon sa formation, sa vocation et son style, ont mis en avant l’existence et la vivacité d’une personnalité algérienne, d’une culture nationale arabo-berbère, qu’il importe de promouvoir et de faire accéder à la modernité. Cependant, au moment le plus critique du Mouvement national, à savoir au milieu de la guerre de Libération, les premiers signes de marginalisation de la fragile élite formée dans les écoles et lycées coloniaux, commençaient à apparaître dans les instances de la révolution algérienne. L’affaire de la « bleuite », avec le mystère qui pèse encore sur cette phase de la révolution, et la liquidation de Abane Ramdane sont analysés par les historiens comme une ‘’distance’’ que la révolution voulait prendre avec le versant intellectuel de la lutte de libération nationale en faveur des militaires purs et durs. En tout cas, ce fossé ne manquera pas de ressurgir après l’indépendance et, ce faisant, de confirmer une ligne de conduite qui aura la vie malheureusement longue.

La « culturophobie » prend racine

L’indépendance politique du pays ressentira cruellement ce déficit de la présence de l’élite intellectuelle sur la scène publique. Le débat qui se déroulait à l’époque en Occident sur la relation entre les intellectuels et le pouvoir (sur la base des théories de Antonio Gramsci, Althusser, Sartre,…) avait son ‘’laboratoire’’ concret en Algérie du fait d’une ‘’démocratie populaire’’, qui plus est sustentée par la rente du pétrole, ayant soumis toutes les énergies et les a moulées dans les organisations de masse du parti unique, le FLN. Plus tard, la chose se formalisera d’une manière plus dramatique avec le fameux article 120 des statuts du parti qui exclut tout étranger au parti de toute responsabilité administrative, économique ou culturelle fût-elle la direction d’un collège d’enseignement moyen.

La carte ou le badge du parti valait son pesant d’autorité, d’ascension sociale et même d’ascendant ‘’intellectuel’’. Exilées, brimées et éloignées du regard inquisiteur des princes, les élites critiques ou tenant simplement à leur esprit d’indépendance ‘’officieront’’ ailleurs ou dans la quasi clandestinité. Mohamed Harbi, Mouloud Mammeri, Bachir Hadj Ali, Mohamed Belhalfaoui, Mohamed Dib, Taos Amrouche, Slimane Azem et tant d’autres talents ont eu pour destin l’anonymat, l’exil ou même la prison et la torture pour certains d’entre eux Ce n’est qu’après la fameuse ouverture démocratique de 1989 que des figures comme Mohamed Harbi, Bessaoud Mohand Arab ou Mohya seront connus du public qui découvrira tardivement, et avec moins de disponibilité et de réceptivité, leurs immense talent et leur véritable grandeur.

Même si des écrivains ont continué à produire des œuvres littéraires et même si de belles prémices d’une culture cinématographique, sous le règne de l’ONCIC, ont commencé à éclore, la régression culturelle ne faisait que se confirmer de jour en jour. Sur plus de 400 salles de cinéma héritées de la colonisation, il n’en reste qu’une poignée au début du nouveau siècle. Les bibliothèques municipales, qui furent un programme-plutôt une velléité populiste-sous le règne de Boumediene, ont pris l’aspect de l’Arlésienne. De toute façon, l’état sinistré de l’école algérienne a fait que ce genre de ‘’luxe’’ n’est plus une demande sociale. La race des lecteurs a vécu.

Pendant trois décennies, l’ostracisme aura frappé toute la sève de la culture algérienne. Le raï, venu des fonds bédouins de l’Ouest algérien était carrément interdit. La chanson kabyle contestataire (Slimane Azem, Matoub) était frappée d’interdiction. Ahmed Saber, Cheikh El Afrit, Enrico Macias, Lili Bonich et d’autres porteurs de valeurs humanistes n’avaient pas droit de cité. N’a-t-on pas poussé le cynisme et le ridicule jusqu’à contraindre à l’exil l’auteur de Kassamen, Moufdi Zakaria ?

Et que sont les sites culturels et les monuments historiques devenus ? Le pillage et l’avancée du béton sur leur territoire en sont le funeste destin. À Tipaza ou ailleurs, des pans entiers de la mémoire algérienne sont menacés par les barons du foncier. À Djanet et dans les musées des villes du Nord, des pièces archéologiques sont volées et ‘’exportées’’ en Tunisie, au Maroc et en France.

En perte de repères culturels, la jeunesse algérienne n’a même pas la consolation d’une école qui comblerait, ne serait-ce que partiellement, ce déficit psychologique par des programmes adaptés à la réalité du pays et de l’époque. Cette institution est prise en otage par des luttes idéologiques qui lui font connaître un peu plus chaque jour la descente aux enfers. Une école qui forme des chômeurs, qui ne protège pas des déviations sociales, qui ne donne pas d’armes pédagogiques et intellectuelles pour affronter les enjeux du nouveau millénaire en inscrivant son territoire dans un équilibre harmonieux entre la réhabilitation et l’affermissement de la personnalité nationale et l’accès au monde moderne.

De Charybde en Scylla ?

Nul besoin de s’embarrasser de lourdes statistiques pour jauger du degré d’immersion de notre jeunesse dans l’animation et la création culturelles. Un regard critique jeté sur l’état de la culture, en tant qu’industrie et activité quotidienne-parce que la culture, en tant qu’élément abstrait de l’anthropologie constituant l’identité d’une personne ou d’un peuple, est une donnée historique et sociologique qui échappe aux griffes de l’administration et des pouvoirs – laisse une impression d’un vide effarant, particulièrement dans les régions intérieures du pays.

De l’indépendance jusqu’à l’ouverture politique de 1989, la culture était régentée par le parti-Etat qui en a fait un moyen idéologique d’embrigadement et de caporalisation de la société. Une étrange mixture de gauchisme et d’arabo-islamisme avait longtemps imposé ses canons creusant ainsi un gigantesque fossé entre la culture du peuple et la culture officielle.

Ainsi, des pans entiers de la mémoire et de l’être algériens furent scotomisés et mutilés. Le pouvoir d’alors n’avait pas lésiné sur les moyens financiers pour promouvoir une politique culturelle aux antipodes de l’authenticité et de la modernité. Slimane Azem, Kateb Yacine, Matoub Lounès et tant d’autres hommes de valeur ont fait l’amère expérience de la censure, de l’ostracisme et de l’exil. Dans les tréfonds de la société couvait l’underground culturel qui avait commencé à chercher ses voies d’expression publique après la fameuse ouverture démocratique.

Cependant, comme si un extrémisme était destiné à en nourrir un autre, la conception débridée du nouveau libéralisme économique a grevé d’une façon asphyxiante le secteur de la culture. L’édition, l’importation des produits culturels et des matériaux contribuant à la fabrication de ces produits en Algérie sont dangereusement hypothéqués par une politique fiscale et douanière qui assimile la culture à n’importe quelle autre marchandise. Les énergies les plus déterminées ont fini par être découragées et désenchantées par le nouveau cours des choses. Il semble, en effet, qu’en la matière on soit tombé de Charybde en Scylla : à l’ancien système jdanoviste, sustentant tous les faussaires par le système de rente, est substituée une culture soumise au pouvoir de l’argent.

Les citoyens désargentés, frappés de plein fouet par la crise économique- et que même le système scolaire n’a pas préparés à la dépense culturelle- sont de plus en plus exclus des bienfaits de la culture qui pourraient réconcilier l’homme avec lui-même et avec les valeurs humanistes universelles.

La politique d’exhibition de circonstance-comme les salons du livre, les galas et les festivals qui consomment de lourds deniers publics- ne pourra jamais remplacer une politique culturelle basée sur des institutions permanentes et des dispositifs stimulateurs à même de rendre accessibles les produits et les prestations de la culture (relance des bibliothèques municipales et scolaires, réhabilitation des salles de cinéma, détaxation des livres importés,…).

L’on peut schématiquement affirmer que plus on s’éloigne de la culture des occasions, qui « folklorise » plus qu’elle ne sacralise la pratique culturelle, plus on se donne la chance et les moyens de toucher au joyau de ce qui fait le fondement même de l’homme et des valeurs de la citoyenneté : l’éducation et la culture. Au fait, en quoi un « Mois du patrimoine« – comme on le consacre chaque année- peut-il prendre la place d’une politique constante de promotion de la culture muséale ? De quelle façon un bref et pompeux séminaire sur le patrimoine immatériel saurait-il intéresser des jeunes évincés du système scolaire, rongés par le chômage et happés par une fausse modernité qu’alimentent les nouvelles technologies non encore intériorisées ni intégrées à notre système de valeurs ?

Auteur
Amar Nait Messaoud

 




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