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La démocratie est la gestion des conflits, pas leur suppression

Démocratie

Image par Markus Winkler de Pixabay

En élargissant l’approche lexicale on pourrait définir la démocratie comme la gestion des différences, l’équilibre des forces et le réceptacle de toutes les humeurs et détestations.

Idéalisée par sa mythique naissance grecque, elle en a été l’image hollywoodienne de l’échange et conciliation des grands esprits et de la philosophie de la sagesse. Une idée qui est à mille lieux de la réalité historique des êtres humains.

La démocratie naît toujours de la douleur, des larmes et du sang. Elle s’installe par refus d’y retomber, pas par la réalité d’une sagesse retrouvée. La démocratie canalise les conflits à travers une  structuration de la représentation politique. Cette canalisation est fondée par la règle du vote, l’égalité des voix et l’efficacité des institutions qui permettent une vie politique et administrative de la cité.

Son installation fait émerger ce qu’il y a de mieux dans les civilisations modernes. Elle est indispensable pour détourner les hargnes par l’éducation à la citoyenneté, par l’élévation du niveau d’instruction, des sciences et de la culture.

C’est la raison pour laquelle la démocratie est l’enfant miraculé des nations. Il faut l’accepter, l’aimer et être en vigilance perpétuelle vis à vis de ses ennemis. Rien n’est jamais acquis, rien n’est solidement arrimé.

Je suis toujours gêné de citer une pensée très connue car cela est habituellement réservé à ceux qui n’ont rien à dire par eux-mêmes ou qui veulent illuminer d’un savoir qui est si partagé qu’il en devient éculé. Hélas j’en use parfois plus que je ne devrais comme celle de Winston Churchill : “La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes”

En France le régime de la Vème république est frappé de plein fouet par un événement auquel il n’a jamais été confronté depuis son instauration en 1958. L’Assemblée nationale n’a effectivement jamais connu une répartition sans une majorité absolue.

Elle s’est endormie dans un présidentialisme monarchique et doit retrouver les réflexes d’un réel parlementarisme. On a oublié que les institutions de la Vème république sont, dans leur mécanisme premier un régime parlementaire. C’est comme réapprendre ce qui a été oublié par manque de pratique.

Affirmer qu’il s’agit d’une crise de régime, comme on peut le lire dans beaucoup d’articles et interventions dans les médias audiovisuels, est totalement excessif. Une crise de régime est un blocage institutionnel et politique qui ne permet plus au mécanisme constitutionnel de garantir une continuité du service de l’État.

S’il devait y avoir dans les évènements actuels une crise de régime alors les trois quart du monde le sont par l’existence de troubles et d’instabilité, souvent guerriers et meurtriers.

Par cette position qui tranche avec celle qui est majoritaire, qu’on ne s’affole pas, qu’on ne me jette pas à la Bastille. D’une part, ce ne serait pas une sanction par mon très ancien souvenir de cette rue si chère au cœur des Oranais et d’autre part, je ne supporte pas la douleur. Cette réflexion est générale et l’actualité en France n’est qu’un support pour rappeler le débat institutionnel et politique de toutes les nations et pas un plaidoyer pour qui que ce soit.

La démocratie est un état difficile mais les relations humaines sont faites d’un compromis quotidien entre la colère, la frustration et l’envie de domination par la certitude que la raison est de vôtre côté et d’autre part, le désir de l’apaisement par des accords consentis mais créant inévitablement de la frustration. La démocratie est ainsi conforme aux relations humaines instinctives, ambiguës et versatiles, ce n’est pas une vue fantasmée de l’esprit.

Il faut donc un lieu, une institution, qui mette le combat en scène. Il est le moyen d’une confrontation inévitable et souvent violente des idées mais il évite les deux écueils naturels que nous venons de citer. La démocratie substitue l’arme de guerre par l’arme de la dispute en joutes oratoires et en postures parlementaires. C’est tout de même plus aisé et permet d’avancer.

Dans l’histoire des peuples la navigation entre les deux écueils est impossible sans le risque de  percuter l’un ou l’autre à des moments de gros temps. La démocratie ne résout pas les conflits, elle fournit, autant qu’elle le peut, les outils d’une bonne navigation entre les deux écueils.

La France est en période de mauvais temps car elle n’a plus la compétence de navigation en eaux troubles que fut la sienne dans les deux républiques précédentes. Elle avait oublié ce qu’est un parlement sans une majorité absolue pour un camp ou une coalition. Elle était si assurée de la stabilité des institutions que la démocratie vient de la réveiller par une grosse bourrasque.

La démocratie, ce mauvais système selon le propos de Winston Churchill qui rappelle également qu’il est le moins mauvais. Car si les peuples veulent une forte stabilité, de la manifestation quotidienne d’un bonheur exprimé avec tintamarre, il y a une solution.

Cette solution est le régime autoritaire. Avec lui, pas de crise de régime, pas de désordre, pas de manifestations d’humeurs et pas de problèmes économiques et sociétaux. Les Parlements ne connaissent aucune difficulté à voir se confronter les idées politiques.

Ils débattent sur l’indigence des services sanitaires, les insuffisances de la préparation du baccalauréat et votent à main levée comme un seul homme et s’en retournent chez eux, fièr(e)s comme Artaban, d’avoir participé à la démocratie.

Demain, conscients de l’importance de leur pouvoir, ils reviendront pour débattre de la couleur des rideaux de l’Assemblée. C’est qu’ils sont décidés de ne pas laisser sévir la tyrannie du régime politique. Et ne leur dites jamais qu’ils ne se confrontent pas durement comme l’exige la démocratie, la palette de couleurs pour les rideaux laisse largement place aux conflits des doctrines politiques.

La démocratie est un chemin très difficile. Lorsqu’un pays est en consensus apparent, en sérénité absolue et dans une fraternité exemplaire, c’est que la démocratie a disparu ou n’a jamais existé.

Boumediene Sid Lakhdar

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