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La démocratie et le respect de la diversité pour sauvegarder l’Algérie

Manifestation du Hirak

Manifestation du Hirak/Tanekra. Crédit image : DR.

Dans l’agitation médiatique qui entoure la décision envisagée par le MAK de proclamer unilatéralement l’indépendance de la Kabylie, il convient de revenir à certains fondamentaux. Sans un véritable débat démocratique, nous risquons de passer à côté des questions essentielles qui engagent véritablement la nation algérienne.

Cette frénésie — entretenue et amplifiée jusqu’à la démesure par les réseaux sociaux — brouille les perspectives et diffère les solutions au lieu de les rapprocher. Pire encore, elle peut précipiter le pays vers l’inconnu si des acteurs étrangers venaient à s’immiscer pour étendre leur influence dans la région.

Dans un monde en recomposition brutale, croire que l’Algérie serait immunisée contre les manœuvres de déstabilisation est une illusion qui frise l’irresponsabilité. Il n’est donc pas à exclure que celles qui touchent actuellement le Sahel ne finissent par remonter, comme un sirocco brûlant, vers le nord. Les derniers soubresauts de l’unilatéralisme américain et le déclin de l’influence européenne ne garantissent nullement l’avènement d’un multilatéralisme porteur d’équilibre et de paix. Les coups de boutoir de Donald Trump contre un droit international déjà fragile, ainsi que la montée des populistes et de l’extrême droite, auront des conséquences inimaginables, quelle que soit la latitude où l’on se trouve.

Mais si les risques extérieurs doivent être pris en compte, l’essentiel se joue en Algérie. Notre mal est endogène : il résulte d’un système autoritaire et archaïque qui refuse au peuple algérien l’émancipation politique nécessaire à l’exercice de sa souveraineté. L’État de droit s’efface et les libertés fondamentales sont reléguées au rang de faveurs provisoires.

En tournant le dos aux revendications du Hirak et en déployant une répression inédite, avec un niveau d’arrestations et de condamnations arbitraires jamais vu depuis 1962, le pouvoir a réduit la politique à un pur rapport de force, vidant de sa substance l’idée même d’une gestion pacifique et apaisée des conflits.

Depuis au moins 2021, nous pouvons affirmer que notre pays a pris, à une allure folle et fulgurante, le chemin contraire de l’histoire. De ce point de vue, l’expression « avancer vers l’arrière » n’est plus un oxymore ironique. On pensait, après tant de sacrifices, que la dictature était derrière nous et que la démocratie suivrait son cours de manière inexorable. Mais l’article 87 bis a consacré la criminalisation de toute pensée différente ; l’opposition politique est assimilée à des actes subversifs ; et, comble de l’oppression, l’activité culturelle autonome est considérée comme si dangereuse que le moindre débat est soumis à autorisation.

Les cafés littéraires sont interdits d’existence et les maisons d’édition "rebelles" subissent un chantage constant, tandis que la presse écrite et audiovisuelle est ramenée au rôle de haut-parleur du parti unique.

Toutes ces oukases contre les libertés publiques ont fini par étouffer la parole interne et transférer toute possibilité d’expression dissidente à l’étranger. Aux harraga des mers sont venus s’ajouter les exilés politiques, les intellectuels et les artistes, ces voix fécondes qui auraient pu nourrir le débat national de manière responsable.

La déperdition de l’élite politique et culturelle a pris, ces dernières années, des proportions plus grandes encore que durant la décennie noire. Cette dévitalisation du corps social algérien est sans doute la pire des conséquences à long terme.

C’est dans ce contexte qu’il faut analyser la montée des discours sécessionnistes. Mais plus qu’une option viable ou raisonnable, la sécession — agitée de manière unilatérale par le MAK, contre l’avis même des Kabyles — doit être considérée d’abord comme l’échec de tout ce qui a été entrepris par l’État algérien depuis 1962 pour construire une collectivité nationale. Cela étant dit ce n’est pas parce que le pouvoir a mené l’Algérie sur une fausse route qu’il faudrait précipiter la Kabylie dans un ravin, comme le suggère la récente décision du MAK.

L’idée d’indépendance de la Kabylie est née du désespoir, et le désespoir ne peut constituer à lui seul un projet politique. Je l’ai souvent répété : la sécession, dans un pays du tiers-monde, et plus encore dans un État dictatorial, ne peut se concevoir que dans la violence armée. En Algérie, où les liens historiques entre la Kabylie et le reste du pays sont profonds, la séparation ne pourrait produire que le plus odieux des affrontements : la guerre civile. Si les guerres sont portées par des intérêts, les guerres civiles, elles, sont alimentées par la haine, le rejet de l’autre et le racisme.

Dans le même esprit, je ne peux que m’élever contre cette ambivalence axiologique qui veut légitimer la sécession tout en espérant sa réalisation pacifique : c’est tordre le cou au bon sens que de qualifier le pouvoir algérien de dictature raciste tout en prétendant obtenir de lui une séparation à l’amiable. C’est de l’infantilisme politique de croire qu’un État peut se laisser amputer d’un territoire comme s’il s’agissait d’un simple partage successoral.

Si j’évoque la guerre civile, ce n’est pas pour agiter un épouvantail, mais parce que le risque est réel. Quand M. Ferhat Mehenni affirme récemment que tout intellectuel kabyle opposé à l’indépendance est un criminel (s’est-il approprié l’esprit de l’article 87 bis ?), il doit faire l’effort de nous expliquer quel sort serait réservé à la diaspora interne kabyle dont il revendique pourtant le nombre — 12 millions selon un décompte personnel — tout en l’exposant à un avenir comparable, au mieux, à celui des pieds-noirs en 1962.

La recherche de soutiens auprès de l’extrême droite française ou israélienne constitue un cocktail explosif qui éclatera au visage des Kabyles eux-mêmes. On ne se libère pas en vendant son âme au diable, ni en se frottant à des accointances dont on devrait normalement s’éloigner comme de la peste.

Une vérité s’impose : si chacun a le droit de s’exprimer sur la Kabylie, nul n’a le droit de parler en son nom sans mandat démocratique. C’est un principe fondamental. Alors delà à l’engager, depuis l’étranger de surcroît, vers une sécession c’est fait acte de violence politique sur la conscience des Kabyles.

Pour éviter les spéculations stériles, référons-nous à la légitimité populaire. Or la dernière grande mobilisation ayant marqué l’histoire contemporaine de la Kabylie fut celle du Hirak, mouvement fédérateur avec les autres régions du pays. Cette déferlante populaire fit dire lucidement à un ami souverainiste kabyle rencontré lors de la marche du 9 mars 2019 à Tizi Ouzou :

« Cette marche est un véritable référendum contre le projet indépendantiste. Nous devons avoir le courage d’en prendre acte et de revoir radicalement notre combat et notre projet. »

Pour autant, peut-on dire qu’il n’existe aucun problème spécifiquement kabyle en Algérie ? Peut-on nier l’existence d’un particularisme historique, politique et culturel ? Ce serait du déni. Car si les Kabyles se reconnaissent dans leur immense majorité comme citoyens algériens, ils restent néanmoins attachés à une identité régionale forte. La question est donc : comment articuler une identité régionale affirmée et une identité nationale partagée ? Comment les renforcer mutuellement dans le vivre-ensemble plutôt que les voir s’entrechoquer au point de légitimer le séparatisme ? Ce n’est certainement pas avec des opérations du type « zéro kabyle » qu’on y parviendra.

Dans une contribution au journal Liberté du 05/09/2018, j’ai esquissé une réponse ouverte fondée sur le multiculturalisme et la nécessité de rompre avec le système centralisé et jacobin de l’État. Si la question de la nature de l’État se pose avec acuité, celle de la Nation est tout aussi cruciale. Se focaliser uniquement sur l’État de droit et le fonctionnement démocratique des institutions ne suffit pas : une communauté se sentira toujours menacée si elle ne dispose pas d’institutions propres pour défendre son identité singulière. C’est ce qu’on appelle, en droit constitutionnel, les droits collectifs. Beaucoup de pays dans le monde, ayant opté pour des systèmes décentralisés, ont réussi de répondre de manière intelligente et durable à la nécessité de concilier la diversité et l’unité.

L’histoire de la Kabylie après 1962 a été marquée par des affrontements avec le pouvoir central, affrontements qui ont fait des victimes. Mais contrairement au révisionnisme du MAK, ces oppositions n’ont pas été exclusivement identitaires ou régionales ; le combat démocratique y a toujours occupé une place centrale, y compris dans la guerre du FFS en 1963. Les Kabyles ont toujours privilégié la démocratie pour résoudre les problèmes politiques et identitaires. Le mouvement culturel berbère l’a constamment affirmé : la question amazighe est indissociable du combat démocratique.

Il a fallu attendre les évènements du Printemps Noir de 2001 pour voir émerger de nouveaux paradigmes liés à la lutte pour la reconnaissance. Mais après tout cela, une conclusion s’impose : si le séparatisme pose de véritables problèmes, il n’est en aucun cas une solution. Il est même un danger qui peut nous mener collectivement à l’hécatombe. L’Algérie a besoin d’un processus démocratique intégrateur pour s’ouvrir à la modernité et au pluralisme. Au lieu d’un front intérieur destiné à sauver le système, il faut engager celui qui sauvera l’Algérie : un contrat renouvelé d’unité nationale, inspiré de l’esprit du Congrès de la Soummam. C’est, à mes yeux, le meilleur hommage qu’on puisse rendre à nos martyrs de 1954.

Vive la Kabylie !

Vive l’Algérie plurielle et démocratique !

Pour la libération de tous les détenus d’opinion !

Hamou Boumedine

Le 12/12/2025.

(*)Le multiculturalisme comme réponse à la crise d’intégration de la Kabylie dans l’Algérie.

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