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La douleur des racines

Image par Dorothe de Pixabay

La terre a son importance dans le trajet de l’humain, je veux dire le lieu où l’on a grandi, vécu. Être privé par la vie de la terre ou l’on est né, c’est être déraciné, c’est laisser à jamais une partie de soi sur le quai du départ que l’on n’emportera jamais.

La terre est aussi chère que le sang qu’on a dans les veines : elle est ce suc qui anime notre corps et irrigue toutes les parties de notre âme. On ne comprend sincèrement et authentiquement la valeur de la terre de notre enfance et de nos souvenirs qu’une fois loin d’elle, de ses odeurs, de ses saveurs, de ses parfums.

C’est là tout un lourd fardeau qui pèse sur le cœur! Et les regrets tombent alors en cascades et l’on commence à se faire de longs reproches et à rendre tout le monde coupable de notre déracinement. Car, quand on est déraciné, on est presque complètement désorienté, comme si on se cherche désespérément une voie dans le brouillard.

Ainsi, tantôt par revanche, tantôt par amertume, tous ceux qui nous ont forcé à la quitter, je veux dire la terre-patrie, et les circonstances dans lesquelles on a décidé de le faire nous-mêmes pour une raison ou une autre, nous paraissent, ou plutôt constituent l’objet de nos colères. De loin, de là où l’on vit, on se sent alors attiré par tout ce qui, pourtant, ne nous attirait plus auparavant chez cette Terre-Patrie. On vit dans l’illusion du retour, du grand retour à notre mère-nourrice, tout en sachant au fond de nous-mêmes que c’est un défi presque impossible.

Avant de jeter, de se désapproprier de tout, il va falloir bien se rendre compte qu’en même temps c’est une partie de nous que nous abandonnons. Une partie de notre chair, de notre vécu, de nos traditions, de notre culture, de nous-mêmes, happés par les sirènes du grand large, du grand voyage, de la grande découverte.

Nos émotions finissent, au fil du temps, par être mitigées, même si l’on réussit à replanter notre arbre ailleurs qu’en sa terre d’origine. On portera toujours la culpabilité d’avoir laissé sa mère et surtout de l’avoir abandonnée et c’est là le grand drame de conscience qui nous pourchassera, peut-être notre vie durant.

D’aucuns parviennent par leur esprit ingénieux à réduire l’impact de cette douleur par leur engouement à se faire une patrie de rechange où ils vont arroser les fleurs de demain : leurs enfants, leurs espoirs, leurs projets, leurs ambitions, leurs rêves, leur avenir, etc. D’autres, par leur détermination à être des « iciliens » (les gens d’ici selon un célèbre artiste), s’efforceront aussi avec tous les moyens possibles à être des citoyens du monde, c’est-à-dire, des gens d’ici et de là-bas, quasi indifférents à l’odeur de la mère « exclusive » : des passerelles entre deux rives, deux mondes, deux cultures, deux horizons.

Le cul entre deux chaises, ces derniers tenteront autant que faire se peut d’avoir une parcelle où s’asseoir des deux côtés. Le réussiront-ils? C’est là toute l’excitation de l’aventure du départ vers d’autres horizons, du déracinement, de l’exil. Et il y a une troisième catégorie qui s’investit corps et âme dans une dimension pluriculturelle, rendant la douleur de la perte symbolique de leur Terre-Patrie, un thème de création et d’ingéniosité, en devenant des citoyens du monde, c’est-à-dire de la Terre entière dans sa dimension plurielle, de l’humanité.

L’histoire de l’humanité ne nous apprend-elle pas d’ailleurs, à nos dépends, que c’est toujours la marge-périphérie qui a créé le centre? Cette marge « icilienne », attirée par la transhumance, l’errance et le voyage, enracinée dans le présent de l’histoire…

Kamal Guerroua

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