Mardi 12 mai 2020
La fin de règne du roi pétrole est-elle une bonne nouvelle ?
« Construire une liberté qui veille à l’usage raisonné de nos ressources, qui veille à les mieux partager et à les épargner est à mes yeux un devoir. Là n’est pas pour moi une limite à notre liberté, mais une limite – salutaire – à la violence du monde ». Chantal Jouanno dans « Sans tabou ».
Le lundi 20 avril 2020 au soir, le roi pétrole est détrôné pour la première fois de son histoire. Le prix du baril est passé en dessous de zéro, ce qui a surpris de nombreux pays exportateurs, les spéculateurs et les investisseurs qui pensaient que l’or noir est une valeur sûre. Face à cette nouvelle situation exceptionnelle inédite, l’économie mondiale est totalement déréglée et fragilisée par la pandémie du coronavirus. Elle plonge le monde de la finance, de l’économie et de la politique dans une telle incertitude que tous les mécanismes classiques n’ont pu le prédire à l’avance.
La chute du cours du pétrole a fait perdre en peu de temps beaucoup d’argent aux industries du secteur et aux investisseurs, et pire encore, elle menace de mettre à rude épreuve l’économie de plusieurs populations dépendant de la manne pétrolière. En plus de la crise sanitaire les pays comme l’Iran, l’Irak, le Venezuela, l’Algérie, le Nigeria et de nombreux pays d’Afrique subsaharienne sont exposés pour subir parallèlement une deuxième crise d’ordre économique.
Sans doute dans les prochains jours la pression sociale va s’accroître d’une façon linéaire dans ces pays, où la contestation citoyenne gronde. Selon les spécialistes ce scénario est fortement probable et s’il s’amorce, il va conduire malheureusement à des phénomènes chaotiques imprévisibles, entrant ces pays dans de nouvelles zones plus instables et plus turbulentes. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces États vont avoir du pain sur la planche !
Depuis plusieurs années, certains pays producteurs ont profité de la hausse des cours du brut et ont épargné 80% du surplus budgétaire engendré par celle-ci pour l’investir dans d’autres secteurs de l’économie. Je pense particulièrement aux pays du Golfe. Contrairement aux idées reçues de ce qu’on se fait de ces monarchies de la péninsule Arabique, la flambée des prix du pétrole n’est pas l’unique cause du dynamisme et de développement dans cette région.
La diversification et l’investissement d’une partie de la rente pétrolière dans les secteurs du tourisme haut de gamme, de l’hôtellerie de luxe, de la construction moderne, de la culture, des loisirs et des transports ont placé certains d’entre eux comme les Emirats arabes unis, le Koweït et le Qatar dans un climat social plus stable et plus serein permettant de consolider leur pouvoir. Ceci n’est pas le cas en Arabie saoudite. Le prince héritier Mohammed ben Salmane qui veut mettre en œuvre son plan économique, lancé en 2016, visant à réduire la dépendance de son royaume à l’or noir, se heurte à la violence de la pandémie du Covid-19 et à la chute brutale et spectaculaire du prix du pétrole. Son projet économique se veut plus ouvert pour l’extérieur grâce à des réformes sociales et à des diversifications économiques dans le but de soigner son image et celle de son royaume à l’international après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi exécuté par décapitation suivi d’une disparition de son corps pour effacer toute trace.
Désormais, l’année 2020 qui devrait être une période de consécration au jeune prince vire au cauchemar. A cela s’ajoute les tensions dans la région, manque de diplomatie pour une sortie moins dramatique du conflit au Yémen, gestion de l’OPEP et guerre des prix du pétrole, pandémie de Coronavirus, crises financières et économiques mondiales en vue… Comme vous l’avez compris certains pays s’en sortent bien parce que dans leurs choix politiques ils ont anticipé l’après-pétrole et intégré d’autres diversifications économiques leur permettant aujourd’hui de faire face à l’arrêt brutal de la machine économique mondiale causé par ce sale virus !
D’autres pays à l’exemple de l’Arabie saoudite, deuxième producteur mondial de pétrole derrière les États-Unis et devant la Russie, s’en sorte moins bien comparé à ces pays voisins à cause de ses choix politiques et économiques plus tardifs. En général, les rentes pétrolières des monarchies de la péninsule ne sont pas exposées à la tentation du gaspillage comme le cas de l’Algérie par exemple.
Le peuple algérien s’interroge toujours pour savoir où est passée la rente d’environ 1000 milliards de dollars que l’industrie pétrolière a engrangé pendant les vingt années du règne de Bouteflika sans offrir aucune diversification économique au pays. A défaut de non-diversification le pays se trouve aujourd’hui pénalisé pour un bon nombre d’années. Disposer de grandes réserves du pétrole et de gaz naturel est une chose, leur exploitation d’une manière plus raisonnée et leur utilisation à bon escient, en est une autre.
L’Algérie malheureusement a raté son rendez-vous au développement économique et politique sous le régime de Bouteflika tout comme les pays qui ne souciaient pas du développement de leur économie nationale. Avec les limites de capacités de stockage de l’or noir dans le monde et de la faible demande liée à la pandémie du Covid-19, qui a déjà coûté la vie à plus de 200.000 individus, les pays producteurs l’Iran, l’Irak, le Venezuela, l’Algérie, le Nigeria et les pays d’Afrique subsaharienne sont menacés de faillite. De plus le retour à la vie normale comme celle de l’avant-pandémie est rendu plus difficile avec la fermeture des frontières entre les États. Le déconfinement dans le monde se fera progressivement, la demande du pétrole le sera aussi.
Ceci dit il ne faut pas attendre le retour à la normale avant mi-2021. Pendant ce temps, comment le monde va retrouver la paix sociale comme celle de l’avant crise sanitaire ? Difficile de faire des prédictions plus exactes, mais les analystes et le monde de la finance et de l’économie estiment que les prix du pétrole n’accroitront que si et seulement si la demande mondiale repart à nouveau. Constat qui me semble logique. Celle-ci est en berne depuis l’arrêt des activités liées au transport urbain, aérien et maritime, le principal secteur pour la consommation de pétrole.
Ceux qui pensent que tout ceci est éphémère, que l’économie repartira merveilleusement bien dans quelques mois après la fin des mesures de confinement et que le vieux roi pétrole retrouvera sa valeur d’avant, se trompent. A mon sens, ce scénario est malheureusement moins probable pour les raisons suivantes : (1). les capacité de stockage sont saturées, la production ne peut être écoulée et l’offre atteint son niveau maximum ; (2).
L’émergence des États-Unis en tant qu’acteur principal sur le marché mondial à travers de la production d’un nouveau type de pétrole de schiste ; (3). les tensions géopolitiques entre les différents membres de l’OPEP (ces derniers jours et sous les yeux du monde : l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis menacent la Russie d’inonder le marché mondial à des prix bradés) ; (4). l’activité d’extraction du pétrole fonctionne à plein régime en cette période de confinement (certains pays ont fait l’effort de réduire leur production dont l’Algérie mais cet effort n’est pas assez !). Ce choix dépasse la volonté stratégique des pays producteurs car les coûts engendrés par l’arrêt de l’exploitation d’un puits reviennent trop chers, et encore plus onéreux pour le pétrole de schiste.
De cette façon, les producteurs inondent les réserves de stockage et accentuent encore plus le déséquilibre, déjà fragile, entre l’offre et la demande de pétrole sur le marché et (5). la Chine, acteur majeur dans l’importation mondiale de brut, sa responsabilité et son implication directe dans la chute des prix du pétrole est grande. Elle seule comptabilise environ 75% dans la croissance de la demande de pétrole. En clair, c’est elle qui a grippé le système économique mondial et c’est elle qui dispose de meilleurs outils pour le dégripper à nouveau. Mais avant qu’elle se mette à la rescousse de la planète, elle va devoir commencer par renforcer son économie et sa puissance.
Dans ce contexte d’incertitude, le reste du monde s’interroge sur l’après-corona : l’avenir va-t-il se faire sans le pétrole, limiter au maximum son utilisation et relancer d’autres activités liées aux énergies non-fossiles ? Comme vous pouvez le lire le prix du pétrole pourrait rester longtemps à ce bas niveau.
Ce n’est pas comme un produit alimentaire, sa production est liée à la capacité de stockage, sa consommation est liée à l’activité économique et son prix dépend de tous ses paramètres. Je pense que le déconfinement total dans le monde engendrera certainement une croissance de la production avec un prix du baril stable autour de 20 à 30 dollars, dans une période allant de 6 mois à un an. Mais par la suite, le cours du pétrole ne sera pas aussi élevé que dans le passé : les pays puissants, le marché boursier, le monde de la finance et de l’économie devraient tirer les enseignements de cette crise et se connecter à la réalité économique mondiale.
Pour les pays producteurs qui n’ont pas diversifié leurs activités économiques avant la crise sanitaire les affaires du pétrole désormais ne seront plus aussi intéressantes, et s’ils ne prennent pas les mesures nécessaires pour une sortie de crise plus salutaire avec des plans de relance, leurs économies risquent de s’écrouler.
Hormis ces pays producteurs, la baisse des cours du baril est une bonne nouvelle, accueillie avec satisfaction mais avec prudence parce que le système de production en Europe dépend encore énormément de l’or noir. Les pays de l’OPEP peuvent toujours jouer leur joker pour gérer au mieux la production du pétrole.
Le monde est confronté à une réalité inconnue : un système économique mondial, riche par ses ressources, est fragilisé par les conditions créées par les hommes. En d’autres termes, nous avons créé un modèle socio-économique qui creuse un fossé entre les couches sociales et les nations, toujours plus puissant, imposant et violent. Faisons de cette crise une opportunité pour relancer d’autres activités économiques moins dépendantes du pétrole. L’avenir de nos enfants en est là.
Nous avons encore la possibilité de changer ou non notre logiciel. Dans ce cas particulier, l’Occident pour limiter sa dépendance au pétrole doit faire résider sa stratégie dans sa capacité d’engagement dans une double révolution technologique : celle des nouvelles technologies de l’énergie et celle de l’agro-alimentaire.
Comme tous les pays, l’Algérie, pour l’après-pétrole, doit diversifier son activité économique. A ce titre, il faut encourager la fabrication des produits locaux qui ont nourri la population pendant cette période de confinement. Inculquer la valeur de l’effort et du travail à nos enfants en réformant l’école. Former une génération compétente et capable d’assumer de hautes responsabilités, et surtout pour qu’elle prenne son destin en main.
Développer l’agriculture, l’artisanat et le système de santé. Ce dernier secteur est totalement défaillant comme en témoigne le nombre important de décès par le Covid-19 comparé aux pays du Maghreb, le Maroc et la Tunisie. Pour des soins et des interventions chirurgicales de première nécessité, la population se soigne en Tunisie et le personnel politique en Europe ! Développer le tourisme aux niveaux national et international. Le tourisme au niveau local permettra aux jeunes algériens de découvrir de très bons sites au lieu de se rendre plus souvent en Tunisie pour s’offrir un moment de détente. Sur ce plan, le pays dispose de meilleurs atouts : le désert algérien est l’un des plus beau au monde.
Mais malheureusement peu de gens qui l’ont visité. Pour le tourisme international, l’Algérie par la beauté de ses sites et ses quatre saisons, peut rivaliser avec ses voisins du Maghreb mais malheureusement elle ne dispose pas d’infrastructures adaptées comparées au Maroc et à la Tunisie. Hélas, l’argent du pétrole de l’avant-corona n’a pas profité à ce secteur. En clair pour une sortie de crise de l’Algérie plus paisible et sereine, le plan de redéploiement économique à court et à moyen termes devrait passer par : la transparence de la vie politique, la révision de l’ensemble des domaines d’activité économique, la bonne gestion de ses dépenses, la maîtrise de sa consommation et l’approfondissement de la démocratie participative afin de faire naitre le petit bébé « Made in Algérie » tant attendu !