Samedi 6 juillet 2019
«La fin des impostures» de Kamal Guerroua : Plaidoyer pour une Algérie nouvelle
Que faire pour bouger les choses en Algérie? Tel est le défi qu’a lancé l’auteur Kamal Guerroua tout au long de l’essai qu’il vient de publier aux éditions de Dar El Gharb. Un livre qui compile un ensemble de ses textes critiques et tombe à point nommé durant cette période charnière de l’histoire du pays, où un élan populaire inédit, commencé le 22 février dernier, provoque une rupture avec le passé.
Pour endosser une proximité sociale et géographique avec les siens dans le meilleur et le pire, l’auteur greffe ses analyses à l’expérience de deux grands écrivains algériens Kateb Yacine et Mohamed Dib, en écrivant : « qu’ils n’auraient pu atteindre l’universalité s’ils ne s’étaient pas imprégnés, dès le départ de leur aventure littéraire, des douleurs de leur peuple, ses cris, ses souffrances, ses misères, ses luttes, ses idéaux. »
Sur le même registre, à savoir l’ancrage des élites dans leur société, l’auteur cite l’expérience du grand dramaturge espagnol Federico García Lorca qui, au lendemain de la dictature, « a engagé sa célèbre troupe théâtrale »La Barraca » dans une mission pédagogique et bénévole au profit des différentes franges de la société espagnole». Le parallèle est ainsi établi avec le théâtre engagé de Kateb Yacine dans son rôle d’«université populaire».
Ces quelques référents d’envergure renseignent sur la nature du message que le chroniqueur veut transmettre aux lecteurs, notamment sur l’impératif de l’engagement des élites dans la réalité quotidienne de leur société. Il va de soi que son propos vise, en premier lieu, les élites et peu de gens oseraient le contredire devant l’effacement déconcertant de celles-ci du champ politique, abandonnant leur société à la déliquescence, à la résignation et aux abus du pouvoir autoritaire qui l’étouffent. L’image que donne le chroniqueur de la réalité algérienne est explicite de l’ampleur des dégâts sur un pays quand ses élites lui tournent le dos.
Si la révolte est perceptible tout en filigrane de l’ouvrage, c’est avant tout le cri du cœur que l’on retient du travail du jeune intellectuel en faveur de cette Algérie en « panne d’idées, de projets et de perspectives » écrit-il, ou plutôt s’indigne-t-il avec force et conviction.
Dans une écriture accessible et fouillée, l’auteur, soucieux de clarifier les enjeux de développement et les défis à relever pour sauver l’avenir de sa patrie, s’emploie à identifier minutieusement, chronique après chronique, les multiples causes du malaise endémique qui ronge son peuple, le rendant adepte de la résignation et imperméable au progrès et à l’accomplissement de soi.
Autant par la variété des sujets traités, leur rythme de composition et leur pertinence, les textes qui composent cet ouvrage illustrent fort bien la relation fusionnelle qu’entretient l’auteur avec sa société, et ce dans ses différentes facettes, qu’il présente ainsi : «l’Algérie du dehors et celle du dedans, l’Algérie apparente et l’Algérie cachée, l’Algérie des officiels et celle des déshérités, l’Algérie factice et l’Algérie réelle. » Le lecteur sera instruit d’une foule considérable d’informations sur les différents fléaux qui bloquent le développement véritable de la patrie ainsi que sur l’état d’esprit des Algériens.
Si la plume acérée de Kamal Guerroua n’épargne pas les intellectuels démissionnaires, les acteurs fantômes de la société civile, il ne fait pas dans l’allusion ou le mystère quand il s’adresse aux autorités politiques, premières responsables, selon lui, des différentes crises qui minent le bien-être collectif et hypothèquent l’avenir du peuple. Il leur fait porter le blâme des mauvaises décisions, qui se sont soldées par une économie de rente corruptrice et abrutissante, avec des conséquences désastreuses autant sur les comportements anarchiques qu’elle génère, que sur les richesses du pays, dilapidées dans une indifférence collective qui frise l’insolence.
Le lecteur se rendra vite compte que l’intention n’est pas de dénigrer la société, mais plutôt de l’aider à déchiffrer ses contradictions et ses incohérences, afin de se libérer des interdits et autres tabous qui n’ont de sens que dans son aliénation, et sa soumission à de faux leaders aux motivations égoïstes, et bien souvent, contraires à l’intérêt général. D’un bout à l’autre du livre, c’est en fait l’Algérie qui parle au lecteur. Car, « raconter sa patrie, c’est se raconter », avertit l’auteur. Et quand l’Algérie se raconte, il y a certes des chapitres de blessures et de larmes, de forfaitures et de trahisons, d’injustices et de corruption, mais il y a aussi des chapitres glorieux, l’épopée de sa révolution, les faits d’armes qui l’ont grandi dans l’histoire, et bien sûr ses splendeurs et richesses humaines et matérielles qui dessinent l’avenir aux couleurs de l’espoir.
«La fin des impostures» n’est pas un livre pessimiste sur l’Algérie, bien au contraire, car au-delà de l’amertume du constat, on y trouve nombre d’actes à poser, de mesures à mettre en place, de décisions à prendre et surtout d’attitude à adopter par tout un chacun pour qu’advienne l’État de droit. « Retroussons nos manches et défrichons nos cerveaux », écrit l’auteur à la fin, convaincu que la solution aux problèmes de l’Algérie est entre les mains des Algériens.
Z. H. B.
Kamal Guerroua, La fin des impostures, Plaidoyer pour une Algérie nouvelle, Dar El Gharb, juin 2019, 350 pages, Préface de Zehira-Houfani-Berfas, en couverture : Anne Munoz-Winther, prix public : 450D.
Zehira Houfani-Berfas est essayiste et romancière. Elle est l’auteure entre autres de L’incomprise (1989) et La honte se vit seule (2016). Elle a participé à l’ouvrage collectif «Quelle transition démocratique pour quelle Algérie ? Constats, enjeux et perspectives», publié en 2015 aux éditions Frantz Fanon.