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La France des affaires défendra l’Algérie des affaires

TRIBUNE

La France des affaires défendra l’Algérie des affaires

Emmanuel Macron toujours aux affaires et Sellal à la prison d’El Harrach.

En France, les gilets jaunes fêtent, dans le feu des barricades et la répression sanglante du président Macron, le premier anniversaire de l’insurrection sociale d’un peuple longtemps appauvri, voire délibérément affamé, quand, en Algérie, au nom de la légitimité populaire et la souveraineté nationale, indéfiniment violées et mises sous scellés par une poignée de généraux à la solde d’une France néocoloniale, on fête, chaque vendredi, le réveil d’un peuple longtemps damné. 

 Mohamed Harbi, un des acteurs de la révolution algérienne et historien lumière de celle-ci, en parlant de la militarisation de l’Algérie, disait que : le pays, au sortir de la guerre de libération, n’a jamais été bâti à partir de ses différents courants politiques et ses différentes composantes sociales, mais à partir d’une poignée de militaires qui se sont empressés à militariser le pays et ses institutions. Un schéma qui, depuis 1962, a fait l’affaire de la France coloniale, celle qui ne voulait de l’indépendance du pays que si elle laissait derrière elle, indélébile, l’empreinte de la recolonisation. Depuis, l’Algérie de Larbi Belkheir, un des fondateurs de l’état violent, est en marche. 

 L’avènement des émeutes de 1988 et l’ouverture démocratique que les militaires se sont empressés à avorter, avec toutes les conséquences que l’on connait aujourd’hui, a mis la France dans une position plus que jamais d’avant-garde, dans le choix de la politique à soutenir, des hommes de paille à porter et à supporter pour que cela reste dans la lignée de ce qu’elle a laissé comme héritage, dans le pays, entre les mains de ses généraux supplétifs : la violence. Cette violence, que ce même illustre Mohamed Harbi, disait d’elle  qu’elle n’était l’apanage d’aucune société. Elle est au cœur de toute humanité et la question qui se pose est celle des circonstances qui la font éclater et s’imposer sur la scène sociale, ainsi que les formes qu’elle y prend et qui semblent, elles, relever de l’héritage culturel propre à chaque société.

L’Algérie s’est vue alors gérer par un cabinet noir qui a institué la violence à l’égard du peuple en mode de gouvernance, et la sous-traitance des affaires internes du pays, avec la France, comme une forme de perpétuation de l’indigénat.  Mais ce cabinet noir, que l’on craignait et n’osait désigner du doigt, sortait de plus en plus de son opacité pour se révéler au grand jour. Il n’était pas si noir que ce que l’on pensait, puisque de Belkheir à Nezzar, en passant par Toufik, les transactions juteuses avec les compagnies étrangères, pétrolières en particulier, ne se faisaient plus dans l’ombre d’un cabinet occulte, mais se négociaient, depuis les années 90, en conseil des ministres, entre copains et concubins d’outre-mer. Tout cela sous le regard bienveillant des gouvernements occidentaux, en particulier la France, qui dopait les factures d’importation en échange d’une caisse noire destinée à financer et soutenir les deux principaux partis politiques au pouvoir. De la gauche caviar à la droite néocoloniale, il semblerait que, sur la question algérienne, la classe politique française est unanime sur la politique à entreprendre à l’égard de ses anciens sujets, lesquels sont indéfiniment considérés sous l’angle infâme de l’indigénat.

Le FMI n’est pas du reste dans la guerre qu’ont menée les généraux, aussi bien pour affamer le peuple que pour lui scalper la langue à défaut de lui trancher la tête. Avec le soutien financier du Club de Paris, le FMI accepte, dans le début des années 90, de rééchelonner la dette, à condition de faire flamber les prix de produits de premières nécessités, de dévaluer la monnaie locale de près de 40 % et de brader les entreprises publiques aux oligarques et hommes d’affaires aux comptes en devises bien gardés en France. Le régime d’Alger acquiesce et rassure. Il a entre les mains le terrorisme islamiste qui lui servira de monnaie d’échange à toute tentative de soulèvement du peuple contre la faim et l’arbitraire qu’elle lui impose.

Ce même terrorisme islamiste que la junte d’Alger a su livrer en France au moment où, en Algérie, il endeuillait, dans l’indifférence totale des généraux au pouvoir, un pan entier de l’élite la plus progressiste du pays. La France a connu alors des attentats meurtriers sur son sol et plusieurs autres assassinats de ressortissants, dont les moines de Tibhirine en Algérie. La France, avec tout l’arsenal judiciaire dont elle disposait, n’obtiendra la moindre information tangible sur leur assassinat, en 1996. Les autorités algériennes, quant à eux, livreront les têtes des moines mais jamais les têtes des commanditaires. Raison d’Etat pour l’Algérie, et une raison de plus pour la France de ne pas se fâcher avec les amis généraux, au sommet de l’état. 

Pendant cette période, Ouyahia, en docile exécuteur des sales besognes, en profitera pour mettre en prison des milliers de cadres et mettre sous scellé les entreprises de l’état. Le FMI applaudit. La république des fils de tels, amis de l’autre et bourreau du peuple vient de franchir l’étape révolue du grand trabendiste Hadj Bettou qui, avec la complicité des généraux de l’époque, faisait sortir vers les pays de l’Afrique subsaharienne les produits subventionnés (huile, sucre, semoule), à l’étape où les richesses du pays sont saucissonnées entre généraux avares et oligarques mafieux. Ces derniers, réorganisés en société import-export, importaient de tout et de rien, le plus souvent avec l’argent du contribuable, et n’exportaient que leurs lourdes valises remplies de devises, sous escorte.

Bouteflika, bénéficiant d’une hausse considérable du prix du baril de pétrole, va solder la dette extérieure, mais pas les comptes qui lient toujours la France des affaires à l’Algérie des damnés de la terre. La France des affaires, Bouteflika l’a toujours couvé et affectionné, et elle le lui rendra bien, chaque fois que son état de santé l’amenait pour une visite de courtoisie à l’hôpital militaire du val de Grace, et que la facture salée était ensuite renvoyée, pour solde de tout compte, au peuple reclus et affamés. La première chose qu’il s’était empressé de faire était d’abolir la cour des comptes, celle-là même qui l’a condamné en 1983 pour détournement de fond publique, lorsqu’il était ministre des affaires étrangères, enchainant les racolages nocturnes et les beuveries sur les trottoirs de la république de Giscard. Ce retour programmé de Bouteflika, par le clan de Belkheir, va permettre de redessiner les schémas de prédation, en recyclant à la pelle l’argent sale accumulé par les ministres oligarques et généraux véreux. L’immobilier dans les beaux quartiers de Paris et les fameuses entreprises occultes aux noms d’un tiers incognito vont pulluler dans le paysage économique français. Se joignant aux monarques Qataris qui financent le terrorisme islamiste en France et dans le monde, le système Bouteflika va occuper les beaux quartiers de Paris avec les amis, la famille et des valises en devises à dépenser sur les champs Elysée. A ce rythme là de prédation et devant le mutisme de la justice et de la classe politique française, on s’attendait pas moins à ce que Bouteflika fasse son entrée au musée Grévin.

Mais Bouteflika ne pensait pas encore à sa postérité, ou du moins il pensait la faire forger en France, de son vivant, pour service rendu par le colonisé à son colonisateur. Hélas, le pays, jadis des droits de l’homme, se retrouve contraint de mettre de l’eau dans son vin-pêché véniel-quand Bouteflika va leur offrir le premier scandale à retentissement international, l’affaire Khalifa. Des compagnies aériennes, des banques, une chaine de télé, l’OM… l’argent sale se recyclait plus vite qu’il n’arrivait sur le sol Français. L’argent du peuple, dont Tebboune, ministre de l’époque sous Bouteflika et candidat de Gaid Salah aux présidentielles du 12 décembre, avait été un des pourvoyeurs. 

Pendant ce temps, la France, intéressée davantage par l’odeur du pétrole et du gaz que par la situation des droits de l’homme en Algérie, se tait face au génocide perpétré en Kabylie en 2001. Ali Benflis, alors Premier ministre du Monarque Bouteflika et candidat servile aux présidentielles du 12 décembre 2019, se joint au commandant des forces terrestres de l’époque, le général major Gaid Salah, pour envoyer un fantassin de gendarmes boucler hermétiquement la Kabylie et réprimer dans le feu et le sang des centaines de jeunes, à peine sortis de l’adolescence. À l’assassinat du jeune lycéen, Massinissa Guermah vient s’ajouter plus de cent autres jeunes et des milliers de blessés mis sur le compte de Bouteflika et son Premier ministre Ali Benflis.

On n’entendra parler de l’affaire Sonatrach, au début des années 2010, que parce que le conflit entre Toufik, gardien des dossiers de corruption sur les amis , la famille et les frères ennemis de la nomenklatura algérienne , voyait glisser le pouvoir de la main du militaire marionnettiste qu’il était au bras assez tendu et la voix assez entendue du ventriloque Bouteflika. La France s’était réjoui que ça soit la justice italienne qui se saisisse du dossier, même si elle savait, pertinemment, que les ramifications politico-financières touchaient, depuis bien avant la saisie par la justice italienne de l’affaire Sonatrach et l’éclatement au canada du scandale SNC-Lavalin, ses grandes firmes pétrolières installées depuis plus d’un demi-siècle dans les entrailles du désert confisqué. Le bébé était lourd à porter et la tété risquait d’épuiser la France de Sarkozy, elle aussi, en proie avec une crise financière mondiale, mais qui saura trouver sur le sol Libyen, d’abord les valises aguicheuses du dictateur Kadhafi, et ensuite les puits de pétrole abondamment juteux du peuple libyen.

L’Algérie de Bouteflika pouvait alors souffler, en promettant à un François Hollande, peu bavard, mais aussi cerbère que son prédécesseur Sarkozy sur les liens serviles qu’ils entretiennent à l’égard du pays, de se réorganiser. La France ne veut pas entendre parler d’affaires encore moins de procès, alors, elle sommera Bouteflika de bâtir un nouveau clan pour rebâtir de nouveaux schémas de prédation. Gaid Salah est alors nommé vice-ministre de la Défense, en 2013. 

Le ballet de visites officielles est alors finement organisé entre les deux pays. Manuel Valls est même revenu saint et sauf d’une visite qu’il a effectué en Algérie (pour reprendre une boutade de François Hollande), après avoir passé, lui aussi, comme du reste de tous les officiels Français en déplacement en Algérie, le casting d’un acteur bienveillant auprès d’un figurant singeant le rôle principal de président. On sort alors les caméras de l’ENTV pour une brève déclaration où on loue la perspicacité et même l’alacrité d’un président momie, un président sous anesthésie.

La mise à l’écart de Toufik et le rattachement des services de renseignement à la présidence de l’état vont redonner du souffle au clan des Bouteflika. Même Chakib Khellil, cité dans tout le feuilleton judiciaire de la SONATRACH, reviendra en immersion dans les zaouïas du pays en se voyant déjà le prochain interlocuteur de la France. En faisant la promotion de Gaid Salah : du paillasson sur lequel le clan de Toufik s’essuyait au tapis rouge sur lequel il trône comme maitre du pays aujourd’hui, Bouteflika renversera, pour la première dans l’histoire du pays, le rapport de forces entre le pouvoir militaire et le pouvoir civil. Il veillera ensuite à maintenir les mêmes mécanismes de domination envers le peuple et les mêmes schémas d’allégeance envers les Occidentaux, principalement la France, le pays qui compte autant d’intérêt économique que de pot de vin dans le pays. Le quatrième mandat n’est alors qu’une simple formalité.

Mais la lune de miel entre le militaire assujetti au civil grabataire, qui règne sans gouverner, ne va pas tarder à s’atomiser au grand dam de la France qui, au plus fort de ce qu’elle dispose comme médecine miraculeuse, n’arrivera pas le ressusciter. Alors, Gaid Salah, pour ne pas finir sur la sellette, comprend qu’il était temps pour lui, après que le peuple ait pris en main sa destinée, de renverser la vapeur avant que l’air vicié de la vendetta entre clans ne lui enserre les poumons. La France ne dépite pas un mot. Elle acquiesce, connait très bien la docilité du régime, compte encore sur sa longévité, sait que les hommes changent, mais pas le système qui les produit et les démultiplie.

Elle sait que le sol français regorge autant d’argent sale de la nomenklatura que de pétrole qui frétille dans les entrailles du désert algérien. Elle n’abandonnera pour rien au monde sa rapacité à pomper le sol algérien, à défaut de pomper le sang des Algériens, comme ce fut le cas, jadis, pendant la guerre de libération. 

Quand la France, en matière de politique étrangère à l’égard de ses anciennes colonies, fait sournoisement de la dentelle, l’Algérie des militaires, habituée à chauffer la marmite dans les cuisines occultes des cabinets noirs, leur prépare la table avec , au menu, quelques puits de pétrole pour se partager la farce. Mais la farce ne saura durer, car, la France, en proie à de violents mouvements sociaux d’insurrection, qui en disent long sur la situation plus que jamais déliquescente de millions de français, finira par asseoir cette ultime vérité qui lie les deux peuples voisins et amis, à savoir que : La justice sociale pour l’un ne s’obtiendra que si les geôles de l’autre s’teffondrent.

Auteur
Mohand Ouabdelkader

 




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