Site icon Le Matin d'Algérie

La France redécouvre la normalité

Marine Le Pen

Jamais je ne m’attribuerais la même pensée que Marine Le Pen. Pourtant, dans instant très furtif, que je vais essayer d’oublier aussitôt, elle aurait raison sur un point. Je sais, commencer par trouver un seul point et la porte est ouverte pour l’ensemble des points. Il n’y a aucun risque car son affirmation est guidée par un objectif tout à fait hypocrite.

La censure qui a bouleversé le monde entier, à en croire les titres internationaux, serait l’assurance d’une catastrophe, d’une descente aux enfers et d’un recul de la France sur l’échiquier international des grandes ou moyennes puissances.

Marine Le Pen qui a voté la censure prétend le contraire mais pour des raisons machiavéliques de construire un destin national pour sa propre personne. Ce qu’elle souhaite, comme Mélenchon, est le chaos pour provoquer une démission du Président de la république, seule condition pour tenter de prendre son siège dans une élection anticipée. Et de toute façon, les extrêmes ne se nourrissent que du chaos et des peurs.

L’affaire est urgente pour elle pour rajouter au désordre, les juges vont rendre une décision en mars qui peut être fatale pour elle s’ils suivent les réquisitions du procureur. Sa crainte est surtout dans la demande d’une exécution immédiate de la peine, c’est-à-dire sans attendre un éventuel jugement en appel.

D’autant que le jeune loup trentenaire, star de Tik Tok, est aux aguets pour donner l’estocade de Brutus à celle qui l’empêche d’arriver au sommet de ses ambitions.  

Pour autant, elle n’a pas tort pour dire que la censure n’est pas le tremblement de terre qui ferait vaciller la France malgré les menaces d’un déluge annoncé par le Premier ministre sortant.

Il faut avouer que le catastrophisme est partagé, il est dans toutes les bouches, hommes politiques, journalistes et autres chroniqueurs. Tous estiment que le désordre institutionnel et politique ne peut engendrer que drames et pleurs.

C’est vrai que cela rend les choses encore plus compliquées qu’elles ne le sont. C’est même probable que le risque de cette censure soit désastreux autant que fut la dissolution, incompréhensible et matrice de tout le chaos qui s’en est suivi.

C’est vrai que l’économie va entrer dans une tempête que présageront les déclassements de la France par les agences de notation et les marchés financiers. Tout cela est vrai, Marine Le Pen en serait l’une des deux coupables.

Mais pour autant doit-on avoir peur de ce qui est normal ? La France avait oublié que les institutions de la cinquième république, avant qu’elles ne soient dévoyées par la décision d’une modification en 1962 par le général de Gaulle pour introduire l’élection du Président au suffrage universel, étaient et restent dans la matrice d’un régime parlementaire.

Ce fut le cas des deux républiques précédentes lorsqu’on prend en compte une période longue et continue à l’exception de la courte rupture du régime de Pétain.

La France avait oublié que si l’apparence de la surpuissance du Président qualifiait les institutions de « monarchie républicaine », ce qui est vrai, elles restaient installées sur un socle parlementaire.

Cette omniprésence présidentielle avait trouvé des alliés qui la renforçaient. Le mode de scrutin majoritaire et la quasi instantanéité de l’élection présidentielle dont la durée du mandat avait été modifiée pour les porter à cinq ans, donnaient une primauté encore plus impériale au pouvoir du Président.

Ainsi le fait majoritaire s’est imposé en France par un Président qui avait toujours une majorité pour le soutenir. Au début, c’était l’immense notoriété du général de Gaulle qui donnait à cette situation un caractère inéluctable. Puis ce fut une pratique renforcée par les deux circonstances que je viens d’exposer dans le paragraphe précédent. La France des trente glorieuses l’acceptait car la croissance était forte et continue.

La France avait oublié qu’elle était un îlot d’exception en Europe et que toutes les autres démocraties vivent avec la permanence des accords de coalitions. Elles sont devenues une culture politique qui n’est pas dans l’histoire institutionnelle de la cinquième république.

La France vient de se prendre en pleine figure la réalité d’un parlement qui, malgré le scrutin majoritaire aux élections législatives, redécouvre le phénomène de la « chambre introuvable », inhérente à un régime parlementaire, comme on disait du temps de la troisième et quatrième république qui n’avaient pratiquement jamais de majorité. (L’expression naît cependant d’une circonstance tout à fait différente).

Mais pour autant, prétendre que la culture des coalitions explique les stabilités de la majorité des régimes politiques parlementaires en Europe est une illusion. Les exemples sont pléthoriques pour pouvoir tous les citer. Nous ne retiendrons que ceux d’une Italie, il n’y a pas si longtemps, ceux de la Belgique ou de l’Espagne dont la formation des coalitions est aussi solide que les convictions de nos anciens démocrates algériens.

Eh oui, il a suffi d’une simple faiblesse du Président de la république, coincé dans sa possibilité d’utiliser les leviers constitutionnels qui servaient précédemment à sa puissance, pour que le régime parlementaire français ressorte des textes d’une manière visible.

Et comme toute chose qu’on avait cru enterrée et qui réapparait, c’est souvent d’une manière explosive. La France a redécouvert ce qu’était la lutte violente des idées et des partis politiques, surtout ceux des extrêmes. Elle a redécouvert que la démocratie était difficile car elle est par définition la gestion de toutes les contradictions.

Si le réveil violent est salutaire pour le futur, il est vrai que cela fait confronter la France à une situation des plus dangereuses économiquement. La période à venir sera trouble et sans aucun doute mettra à terre toutes les illusions d’un État providence qui compensait indéfiniment les déficits publics par de la dette.

Marine le Pen a raison lorsqu’elle dit que la motion de censure est banale comme outil parlementaire mais il n’empêche que ses raisons sont lourdement condamnables par son désir de puissance politique pour arriver enfin dans des sommets que son père n’avait jamais osé rêver.

Oui, la situation est grave mais elle est d’essence économique, pas institutionnelle. Quant au politique, si on veut une solide stabilité, il faut demander aux experts algériens de venir former la France de ce qu’est une stabilité de régime.

La démocratie est un bien difficile à garder, il faut y mettre de la volonté pour gérer le désordre des opinions et des intérêts contradictoires. Pour le moment la crise institutionnelle est grave mais il faut se persuader que si l’économie en est l’arbitre à court terme, le plus important est  le parlementarisme qui garantit la pérennité démocratique.

Pour conclure, qu’on ne retienne qu’une seule chose de mon article, qu’on ne s’avise pas à toucher à ma retraite. Je rajouterai du désordre au désordre.

Boumediene Sid Lakhdar

Quitter la version mobile