Lorsque des parents sont confrontés au souhait irrésistible de leurs enfants à vouloir partir vers l’inconnu, il y a deux questions possibles qu’ils peuvent poser. « Où vas-tu ? » ou « Pourquoi pars-tu ? ». Si la conséquence de l’initiative est la même, le départ, le sens de la question est différent et même inversé dans le cas de ma chronique.
Une marée d’Africains, en très grande majorité de jeunes tentent, depuis longtemps avec une accélération impressionnante ces dernières années, une aventure périlleuse. Avec frénésie et inconscience iles veulent débarquer sur les côtes qu’on leur a présentées comme celles des ennemis et des impies depuis les premiers instants de leur enfance.
Il est évident que malgré leur fuite, ils sont toujours imprégnés de la doctrine incrustée dans leur éducation. Nous en sommes persuadés puisque nous avons croulé depuis tant d’années sous leurs critiques d’avoir, selon eux, choisi la terre néocolonialiste et fui la mère patrie.
Mais laissons cela car ils ne sont que les victimes d’un système qui les a broyés de son écrasement de propagande. Il s’agit pour moi d’accuser les vrais coupables.
Ces derniers jours, suite à la grande médiatisation du bateau des très jeunes harragas, j’ai lu beaucoup d’articles publiés en Algérie (certains, hélas, en France). Tous, sans exception, posent la question « où vas-tu ? » que j’ai annoncée à l’ouverture de mon écrit.
Ce « où vas-tu ? » est clairement exprimé sous le sens de « malheureux, sais-tu dans quel destination d’enfer tu te diriges ? ». Et suit un florilège d’accusations de la France qui est déversé au cours de leurs articles. On ne sermonne pas véritablement ces jeunes, on veut leur ouvrir les yeux en les avertissant de l’enfer dans lequel ils se sont promis.
Et tout y passe, Retailleau, les OQTF, le racisme, le Rassemblement National, le néocolonialisme et ainsi de suite. Toute la panoplie du dictionnaire des régimes africains y passe. En fin de compte, jamais la question « Pourquoi partez-vous ? » n’est posée. Elle est dissimulée, contournée ou faussée par d’autres considérations.
L’Afrique ne s’est jamais posé cette question de la raison du flux considérable des voyageurs du Radeau de la méduse. Ou plutôt jamais en déclarations publiques. Elle sait le danger existentiel pour elle de la poser.
Car cette question met à nu tout un discours en propagande mené matin, midi et soir, sans aucun répit. Dans les médias, dans les écoles, dans les manifestations calendaires, aucun endroit de la société ne laisse passer la moindre brèche dans la muraille (ou le croient-ils).
Dans un autre temps les Algériens ne liraient ni ne verraient dans les médias l’image des fuyards. Il est impossible aujourd’hui de la cacher, le phénomène en Afrique est gigantesque. Ce ne sont plus ces fiers et puissants pays des nationalistes de la propagande qui font rêver ces jeunes mais l’au-delà.
Et d’ailleurs cet au-delà, ils ne savent pas ce qu’il est réellement. C’est un peu le Désert des Tartares de Dino Buzzati. Ils refusent d’abandonner cette idée que leur pays est le paradis sur terre en même temps qu’ils le fuient.
C’est incroyablement étonnant. Car il y a une chose qu’oublient toutes dictateurs est que le même réflexe zombi des populations qui les adulent et le même que celui qui les animent lorsqu’ils sont dans la misère et la terreur. Ils sont dans l’ambivalence entre une doctrine prégnante et un réflexe irrésistible.
Ce sont les malheureux de l’histoire car ceux qui les ont embrigadés ne prennent des bateaux pour se rendre de l’autre côté de la mer que pour des croisières de luxe. Ils sont les sacrifiés de cette malheureuse et dramatique histoire d’un régime militaire qui a terrorisé, embrigadé et pillé les richesses du pays qu’ils fuient au prix de leur vie pour un mirage de la terre promise.
L’Afrique ne leur posera jamais la question « Pourquoi partez-vous ? » car ils savent que c’est le mur du mensonge qui s’écroulera. Ils ont tort de s’entêter car il est démoli depuis longtemps et laisse apparaître des ouvertures géantes. Ces jeunes « enfants » qui ont pris le risque d’une aventure dangereuse et illusoire ont vu ce trou béant qui laisse passer la lumière.
Finalement c’est toujours les mêmes qui doivent passer par les brèches car ceux qui les ont emprisonnés dans la citadelle ont les clés pour sortir aisément par la porte principale.
Tous les régimes totalitaires africains possèdent cette clé.
Boumediene Sid Lakhdar