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 La grande mosquée d’Alger, exaltation populaire ou sublimation esthétique

DECRYPTAGE

 La grande mosquée d’Alger, exaltation populaire ou sublimation esthétique

« Les hommes les plus puissants ont toujours inspiré les architectes. L’architecte a toujours été sous la suggestion du pouvoir. L’édifice doit rendre visibles la fierté, la victoire sur la pesanteur, la volonté de puissance ». F. Nietzsche

Initialement prévue pour conclure une réflexion sur l’art en Islam, cette séquence discursive résume en partie deux points essentiels de notre travail sur l’aniconisme (absence de représentations matérielles du monde naturel et surnaturel dans différentes cultures, en particulier certaines religions monothéistes) de la représentation picturale et de la mise hors des murs de la musique.

Il ressort qu’aussi bien la peinture que la musique sont frappées d’interdit émanant des autorités religieuses même si l’interdiction est l’objet de controverses entre les savants.

Historiquement deux courants de pensée se sont divisés pour dire le licite et l’illicite et parfois des imbrications théologiques y complexifient la situation. Au point qu’Amnon Shiloah (La musique dans le monde de l’islam, éditions Fayard, Paris, 2002, pp. 77/78) y voit entre l’interdiction absolue et l’autorisation de toutes les formes de musique, y compris la danse, une infinité de nuances, certaines, par exemple tolèrent une forme rudimentaire de cantillation et des chants fonctionnels, mais bannissent les instruments.

D’autres autorisent la cantillation en y ajoutant le tambour sur cadre, du moins sans cymbalettes, mais réprouvent toute autre espèce d’instruments de musique et toutes formes de danse. Quant à  Jean During (Musique et extase, Editions Albin, Michel, Paris, 1988, pp.218/221) met en face à face deux auteurs pour retracer la position des théologiens.

Il ressort que la position ambivalente de l’imam Al Ghazzali dont il faut se rappeler qu’il était un farouche adversaire de la philosophie est moins tranchée d’un Ibn Tamiyya (Risala fi’l-sama wa’l raqs wa’l sarakh) qui refûta la position de l’auteur des (Ihya Ulim Din) en considérant la musique comme une innovation des hérétiques ou  des libres penseurs (Zanadik).

Dans le domaine de l’art pictural, nous retrouvons cette opposition entre les tenants de ce que Marianne Baruccand (L’art et l’architecture, Encyclopedia Universalis, p. 540) désigne par « l’iconophobie de l’art religieux islamique héritage antéislamique et  sémitique et proche-oriental qui s’oppose à l’utilisation de scènes figuratives à des fins didactiques; les frises épigraphiques se substituent à elles d’autant plus facilement que l’écriture est infiniment valorisée dans le monde islamique par le seul fait que la religion est fondée sur un texte, sur une parole divine qui atteint un degré de sacralité bien supérieure à celui de tout être humain. »

Le spécialistes français de l’art musulman Alexandre Papadopoulo (L’islam et les arts musulmans, Editions Citadelles et Mazenod, Paris, 1976, p. 55) résume la situation ambivalente par l’expression de l’invraisemblable qui consiste à l’abandon par le peintre des « apparences sensibles de la nature, telles que la perspective, la profondeur, les ombres et les lumières, le modelé, la diminution avec la distance. »

Une fois dit cela, remettons-nous à l’actualité algérienne pour aborder le rapport entre l’art et la politique. En ce sens la construction de la mosquée d’Alger et de son achèvement a suscité beaucoup d’interrogations que ce soit sur son utilité ou sur son coût. Indépendamment de ces interrogations tout à fait légitimes de la population algérienne envers un régime corrompu, il y a des domaines où le paradoxe laisse parfois place à la subjugation comme fait social.

C’est cet aspect cruel des choses qui donne à l’art toute sa splendeur fusse au détriment de la saignée des hommes. A coup sûr, c’est cette élévation au delà de la condition humaine qui rend possible l’admiration de vivants lorsqu’ils contemplent les oeuvres.

On ne saurait trop s’étendre sur la sociologie de l’art pour qualifier les processions des pèlerins visitant les lieux sacrés dont les tombeaux des saints et des ancêtres ou le longues files d’attente devant les musées occidentaux ou les oeuvres monumentales: pyramides, temples, cathédrales, mosquées, palais, statues, etc.

En effet, le hirak ou tout du moins les leaders du mouvement et quelques observateurs ont posé tout type de questions sur l’utilité de la grande mosquée d’Alger alors que l’Algérie manque cruellement d’hôpitaux, d’usines et de logements. Une chaine de télévision de l’opposition comme Al Magharibia a été jusqu’au faire une étude comparative entre le coût estimé d’après elle entre un et deux milliards de dollars qui depuis a été réduit à une somme ne dépassant pas les 900.000 euros d’après les autorités algériennes.

Afin de mettre les choses au point, nous avons pensé utile de reprendre l’article de Mourad Benachenou (La grande mosquée d’Alger, monument à la gloire de Dieu, ou mausolée à éterniser le nom de Bouteflika, journal El Watan du 05 octobre 2020) grand serviteur de l’Etat algérien pour discuter cet aspect des choses. Tout d’abord, nous laissons de côte les problèmes sanitaires et sociaux causés par le coronavirus pour nous limiter à l’économie de la question parce que ce haut personnage de l’Etat algérien a eu en charge le ministère de l’économie.

Après s’être apitoyé sur le sort des gens, l’ancien ministre de l’Economie écrit : « On aurait pensé qu’un chef d’Etat responsable et tenant pathologiquement à ce que son nom soit glorifié à travers les siècles, aurait saisi l’occasion de la réalisation de ce chantier pharaonique qu’était la réalisation de la Grande Mosquée, pour mobiliser toutes les capacités de conception nationales pouvant contribuer à cette œuvre unique dans ses dimensions, et montrer au monde que l’Algérie est un pays qui a, non un potentiel, mais des capacités réelles et autonomes pour réaliser un chef-d’œuvre architectural sans pareil.

Cette réalisation aurait été une occasion unique de créer des milliers d’emplois, dans les domaines les plus complexes de la construction et des travaux publics, comme dans l’artisanat et les plus humbles des emplois de maçonnerie. Cet édifice aurait donné, par les sommes qu’il a mobilisées et les multiples secteurs qu’il aurait touchés, un effet certain d’accélération à de multiples secteurs de l’économie, et aurait contribué à changer le visage du pays, au lieu de modifier seulement le paysage de la proche banlieue algéroise. »

La position nationaliste affichée par l’ancien ministre est des plus surprenantes à plus d’un titre lorsqu’il évoque les « capacités algériennes » en matière d’architecture alors que tout le monde sait que  les plus importantes réalisations en Algérie ont requis une expertise étrangère.

A titre l’exemple, la rénovation d’El mechouar -palais zianide de Tlemcen- a nécessité la présence des Ma’alim marocains. L’ancien serviteur de l’Etat qui veut défendre les « petits gens » oublie souvent que le système de la gouvernance en Algérie fonctionne sur la base de la sous-traitance.

A point nommé et sur le plan sanitaire, on peut lui rappeler que les autorités algériennes ont commandé à un laboratoire français la modélisation épidémiologique de la pandémie. Certainement, les exemples sont tellement nombreux qu’il est totalement inutile de tous les citer.

Toutefois, l’économisme affiché de Mourad Benchenhou gomme la « part maudite » de l’oeuvre monumentale. Même si l’auteur mêle l’éternité de l’homme à la gloire de Dieu, on ne peut sérieusement considérer la mosquée, signe optimal du sacré au même titre que le mausolée symbole de la sainteté (Karama) de l’homme. Du coup, on ne saurait dire que Bouteflika est un saint parce qu’il n’a pas accompli des miracles et que son bilan  économique et social est catastrophique.

Le maigre résultat de la politique dite de la « réconciliation nationale » a servi au renforcement de son pouvoir personnel jusqu’à généraliser le clientélisme seul bénéficiaire de la distribution de la rente pétrolière. Incapable d’initier une politique économique de grande envergure, il lui restait qu’à contenter son égo et peut-être l’opinion publique algérienne qui est  majoritairement musulmane pour absoudre ses propres « Si’iat » afin d’augmenter les « Hassanat » lui ouvrant  peut-être la porte du paradis: « Wa Allah Allimoun Kadir » pour formuler les choses comme le dit tout bon musulman.

Dans tous les cas, le paradoxe de l’art qui a incité Karl Marx à s’interroger sur la  puissance de subjugation des oeuvres d’art et des conditions sociales de leur réalisation, reste insoluble. Il ne serait pas étonnant de voir que même parmi les plus farouches adversaires de Bouteflika venir prier dans la grande mosquée d’Alger et les moins religieux se déplacer pour admirer le monument.

Certainement c’est un cadeau politique offert aux islamistes algériens par le président déchu. Tout compte fait et à postériori, l’histoire retiendra que l’ère  Bouteflika est une période caractérisée par une forte pratique religieuse. La grande mosquée d’Alger en est le symbole.

Auteur
Fatah Hamitouche

 




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