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La Kabylie brûle, les esprits s’enflamment 

OPINION

La Kabylie brûle, les esprits s’enflamment 

Face au malheur qui la frappe, l’urgence est dans l’appel à la mobilisation et à la solidarité. La Kabylie paye un très lourd tribut à ce drame, plus que n’importe quel autre endroit touché par le même fléau. Notre solidarité est entière et ne doit pas faire défaut mais, pour autant, il faut savoir garder la tête froide et lucide.

C’est une situation tragique que traverse la Kabylie, de celles où il faut lutter contre un ennemi à la force terrifiante et qui ne laisse aucun espoir lorsqu’il veut engloutir les terres et les hommes. Le feu a encore une fois, dans cette planète devenue folle, fait semer la désolation.

Dans ces moments même les sentiments de solidarité et de fraternité ne sont capables d’en venir à bout car le combat est inégal entre la bête et les êtres humains pris dans la nasse. Mais ils sont absolument nécessaires pour panser les plaies des esprits en peine. Le pays a souffert et la Kabylie fut en première ligne dans cette vision apocalyptique de l’enfer, nous sommes prêts d’elle.

Pour autant, si la situation peut expliquer des mouvements de paniques et d’accusations en tous genres, il faut savoir raison garder. Or, si l’écrasante majorité a, sans aucun doute, fait preuve d’une remarquable dignité face à l’adversité, une certaine minorité s’est encore une fois distinguée par des paroles et des actes incontrôlés.

Une scène abominable et barbare 

Victor Hugo disait que la foule est parfois l’ennemi de la liberté. Ce fut le cas pour une scène atroce où l’humanité des êtres humains ne s’est pas confirmée dans un mouvement de foule qui a pour conséquence de lui faire oublier la raison et faire ressortir la bête humaine, toujours à l’affût.

Cette foule, devenue incontrôlable, a hurlé sa condamnation à mort envers un homme suspecté d’être un pyromane et détenu dans un fourgon de police. Hier, des photos et une vidéo ont été diffusées sur un réseau social. Si la vidéo fut censurée par sa violence insoutenable, les photos montrent bien l’hystérie qui s’est emparée de cette foule.

Je ne l’ai pas vue, cette vidéo, avant qu’elle ne soit mise hors du réseau mais nombre d’internautes ont assuré qu’elle était la preuve de l’assassinat du pauvre homme, dans le fourgon même, avant que celui-ci ne soit jeté en pâture à la foule.

Comme toujours, lorsqu’il s’agit de ce corps d’État que les Algériens surnomment avec humour noir, les forces de sécurité, nous ne pouvons jamais confirmer quoi que ce soit ni interpréter correctement les images.

Á la fin de la journée, il y eut trente interprétations de la scène, toutes aussi affirmatives concernant la responsabilité des policiers qui auraient donné la mort au présumé pyromane (car nous ne sommes même pas sûrs de contredire la version selon laquelle il était venu d’une autre région porter aide et secours à la population).

Aucune barbarie n’est excusable

Au final, cet homme a été assassiné et immolé par la barbarie des hommes lorsqu’ils sont dans un état bestial que la raison, s’ils en avaient une, ne peut contrôler. Qu’il ait été coupable ou non, l’acte  est insoutenable et ne peut être excusé.

On peut me dire ce qu’on veut, y compris que la police ait réellement assassiné cet individu, qu’elle ait volontairement provoquer la haine et l’excitation meurtrière de la foule, j’ai néanmoins vu cette foule entourer un homme pris dans un feu volontairement allumé par cette foule qui l’a aspergé par un liquide inflammable.

Que la police se soit comportée comme elle l’a fait dans ce pays des centaines de milliers de fois depuis mon enfance, c’est abominable mais absolument pas nouveau.

Mais qu’une foule, même entraînée par la malice du diable, se soit comportée comme une bête humaine est inexcusable et immonde. Il est bien visible sur les photos que cette foule a entouré le cadavre enflammé comme on regarde un spectacle, avec prises de clichés et une attention qui me fait glacer le sang.

Cette foule a fait honte à la Kabylie ainsi qu’à l’humanité entière et a occulté notre sentiment attristé et soutien fraternel suite au malheur qui s’est abattu sur cette magnifique région de notre beau pays natal.

Il faut impérativement accuser ces actes barbares qui déshonorent l’extraordinaire élan de solidarité  pour une majorité écorchée dans sa chair. C’est à elle que notre pensée adresse la plus grande des tendresses.

Mais il nous est interdit, aux démocrates et aux humanistes, en tout cas à ceux qui s’en revendiquent, de laisser passer une accusation de barbarie lorsque celle-ci est avérée et nous fait craindre que cette seconde république, si attendue, ne soit entachée du pire.

La Kabylie souffre, n’ajoutons pas du malheur au sien en évitant de dénoncer l’insupportable au nom d’une autre solidarité, celle qui n’honore pas.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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