Dimanche 1 septembre 2019
La Kabylie, est-ce un danger ou bien une chance pour l’Algérie ?
L’Algérie indépendante est née en 1962. Cependant, la Kabylie, en tant que région et socle d’une population ayant des caractéristiques et une organisation sociale propres à celle-ci, est le produit d’une longue histoire. Cette population est le contraire de celle que décrivait La Boétie dans son œuvre « Discours sur la servitude volontaire ».
Le mot Amazigh signifie « Homme libre ». On comprend mieux son sens lorsqu’on se trouve dans l’un de ces villages kabyles perché en haut d’une montagne. La première question qui vient à l’esprit est la suivante : Pourquoi, les premiers habitants arrivés sur les lieux, ont-ils délaissé toutes les plaines fertiles situées dans la vallée pour venir s’installer dans cet endroit si austère et inhospitalier ? La réponse, on la trouvera dans le dicton kabyle : Win is3ane deg adrar ur yatsagwad d-agzaghar : « Qui a les siens dans la montagne, n’a rien à redouter dans la plaine ».
En fait, pour la population kabyle, la montagne constitue un rempart la protégeant des potentiels envahisseurs. Il fut un temps où les villageois descendaient armés de leurs montagnes afin de se rendre à la vallée pour travailler leurs terres dont le relief leur permettait de cultiver des céréales et pratiquer l’arboriculture intensive. Le soir, ils rentraient à leurs villages où leurs femmes et enfants étaient à l’abri de tout danger. Leur organisation sociale est restée la même durant plusieurs siècles.
Chaque village était une sorte d’une petite république laïque et autonome différente, en revanche, de la république athénienne, car elle était égalitaire et ne pratiquait pas l’esclavage. Donc, il n’y avait pas de classes sociales et l’enrichissement personnel était très mal perçu et était même considéré comme illicite et faisait l’objet de suspicion.
Pour les Kabyles de l’époque, la vraie richesse était la procréation, et l’égalitarisme était considéré comme étant le garant de l’homogénéité de la société. Devenant de plus en plus exiguë, l’étendue de leurs terres cultivables ne pouvait leur permettre d’y vivre aisément. Pour cette raison, ils avaient développé des activités artisanales et des techniques guerrières qu’ils arrivaient à vendre à d’autres régions en dehors de la Kabylie.
Amar Boulifa écrivait dans son ouvrage intitulé « Le Djurdjura à travers l’histoire » publié en 1920 : « Le Djurdjura, connu depuis les temps les plus reculés, n’avait jamais été profané par les envahisseurs de la Berbérie, et que ses hautes régions inabordables servirent, au contraire, de lieu de refuge à tous les opprimés de ces conquérants ». Pour comprendre cet esprit frondeur et libertaire de cette région, il est impératif de rappeler certains événements historiques importants ayant touché de près ou de loin la Kabylie, contraignant celle-ci à vivre en état permanent de résistance :
La période romaine : Contrairement aux Carthaginois avec lesquels les populations du Djurdjura entretenaient de bons rapports, la conquête romaine fut brutale. Pour assurer leurs déplacements, les Romains, arrivés en 146 avant notre ère, établirent des routes qui avaient encerclé la Kabylie et privèrent ses habitants d’accéder à certaines de leurs plaines fertiles. Ces premiers envahisseurs nommaient le Djurdjura Mons Ferratus « La Montagne de fer », cela pourrait expliquer en partie leur renoncement à pénétrer dans ces montagnes. En l’an 17 avant notre ère, de retour en Kabylie après avoir servi dans l’armée Romaine, Takfarinas combattit les Romains sept années durant, en essayant de les repousser des plaines kabyles par une tactique de guérilla. Mais, vaincu au siège de la place forte romaine de Tubusuptu (Tiklat située dans la commune d’El-Kseur), comme le relatait C. Lacoste-Dujardin dans son livre « La Kabylie du Djurdjura », la légende rapporte que, plutôt que de se rendre, il se serait jeté sur les lances des légions romaines du haut d’un rocher en un lieu encore nommé Targa Irumyen « la rigole ou le fossé des Romains ».
Lorsque les Romains adoptèrent le christianisme, les ancêtres des Kabyles, qui étaient des adeptes du paganisme, lui préférèrent le donatisme. Les donatistes étaient plus proches des opprimés, car ils étaient eux-mêmes persécutés par l’Empire romain bien avant sa reconversion. Une persécution qui n’avait jamais cessé et était à l’origine d’une longue lutte meurtrière entre Rome et ses nouveaux insurgés. Les habitants du Djurdjura ne courbèrent jamais l’échine devant les envahisseurs romains, jusqu’à leur chute, ils prirent part à plusieurs révoltes, réunissant donatistes et d’autres communautés, dont celle de Firmus fils de Flavius Nubel, Prince berbère romanisé et christianisé, grand propriétaire terrien dans les basses vallées de l’Isser et du Sébaou. En l’an 372, il occupa Cesarea (Cherchell) et incendia Icosium (Alger).
L’Empire romain prit fin avec l’arrivée des Vandales en l’an 439. Ces derniers, au regard de leur nombre et l’étendue des terres qu’ils conquirent, se contentèrent de contrôler uniquement les grandes agglomérations. Ce qui épargnerait les montagnes du Djurdjura. Un siècle plus tard, ils seront délogés par les Byzantins. Il semblerait qu’une partie de la population de ces Vandales, constituée de femmes et d’enfants, fuyant une exécution certaine par les nouveaux conquérants, trouva refuge en Kabylie. Les Kabyles peuvent offrir ce qu’ils appellent « Laânaya », c’est-à-dire la protection, à ceux qui les sollicitent par altruisme et dans un but humanitaire. Cela pourrait expliquer la blondeur et les yeux clairs de certains kabyles. Rappelons que les Vandales sont des populations germaniques.
La période arabe suivie de la période berbère : La première invasion arabe, comme celle des Vandales, n’a pas impacté l’indépendance du Djurdjura. Malgré cela, les Kabyles ne sont pas restés spectateurs des événements se déroulant devant eux. Les nouveaux envahisseurs, constitués principalement de reconvertis Égyptiens, utilisés de la même manière que les Berbères pour conquérir l’Andalousie, et à leur tête la noblesse Omeyyade et celle des Abbassides par la suite, instaurèrent un système esclavagiste et ségrégationniste où les Arabes occupaient le haut de la pyramide sociale, les convertis « Mawali » furent considérés comme des musulmans de niveau inférieur devant s’acquitter d’un impôt foncier : Le Kharâdj, au même titre que les Juifs et les chrétiens bénéficiant du statut de « Dhimmi ». Concernant les polythéistes, ils avaient le choix entre la reconversion et la mort.
C’était dans ce contexte que les premières dynasties berbères musulmanes firent leur apparition au Maghreb. Des Berbères adoptèrent une forme particulière de l’Islam, un schisme nommé Kharedjisme, comme ils l’avaient fait en s’alliant au Donatisme durant la période romaine, celui-ci était plus proche de leurs aspirations égalitaires, s’opposant ainsi à l’Islam sunnite que l’on voulait leur imposer. Cela donna naissance à la dynastie Rostémide (760-909) réputée pour son commerce florissant, son rayonnement culturel et sa tolérance religieuse. Ainsi, la domination arabe de l’Afrique du nord a duré moins d’un siècle.
Vers la fin du VIIIe siècle, un missionnaire musulman, Abou Abdellah, convainquit les Kotama, Kabyles de l’est des Babors, à adopter un autre schisme de l’Islam : le Chiisme, en les sensibilisant à l’idée que les sunnites, détenteur de l’autorité musulmane de l’époque, n’étaient que les représentants des Quraychites ayant combattu les premiers musulmans, des charlatans, des imposteurs et des opportunistes qui avaient trahi le prophète en refusant d’appliquer ses dernières volontés, en empêchant son gendre Ali de devenir Khalife. Les Kabyles du Djurdjura, tout comme leurs frères des Babors, fascinés par ce missionnaire qui leur promettait l’instauration d’un système plus juste qui serait fondé sur la probité et le mérite, joignirent leurs forces à celles des Kotama pour lever une armée en un temps record et effectuer une percée militaire jusqu’en Syrie, chassant sur leur passage tous les représentants des Abbassides et leurs alliés, en commençant par les Aghlabides régnant sur la Tunisie actuelle et une partie de l’Est Algérien. Ce fut ainsi qu’une première dynastie chiite au nom des Fatimides fit son apparition dans l’histoire.
Lorsque les différentes communautés berbères, ayant pris part à cette campagne militaire, décidèrent de se détacher de la dynastie des Fatimides en créant trois dynasties berbères indépendantes : les Zirides, les Hammadites et les Kotama des Babors, ceux qui n’auraient jamais vu le jour dans l’histoire de l’Humanité sans leur concours leur envoyèrent, sans scrupule et sans la moindre reconnaissance des services rendus, les tribus hilaliennes et celles des Banu Sulaym originaires d’Arabie, après les avoir bien sûr équipées en armes, pour piller et semer la désolation en Afrique du Nord. Ces dernières furent maîtrisées et finirent par être mélangées aux populations autochtones dans certaines régions. La majorité des Arabes du Maghreb sont leurs descendants directs.
D’autres dynasties berbères viendront étendre cette domination des autochtones sur l’Afrique du Nord qui durera environ 7 siècles. Les deux plus importantes sont Les Almoravides et Les Almohades. Les Kabyles ont eu plus d’affinités avec ces derniers, car ils contestaient la forme rigide de l’Islam prêché et pratiqué par les premiers. Rappelons que ni l’une ni l’autre ne se sont aventurées à envahir leurs terres.
La période turque : Au 16e siècle, Les Espagnols occupèrent les ports d’Alger, Dellys et Bougie. Cela suscita une vive réaction auprès des Kabyles. Bien qu’ils aient été assiégés, les nouveaux envahisseurs, grâce à leur artillerie lourde, réussirent à repousser tous les assauts des guerriers kabyles. Cette situation fit naître une alliance de circonstance entre Kabyles et Turcs qui mettrait fin aux forteresses espagnoles. Ce fut aussi le début de la conquête ottoman. Appréciant leur vaillance guerrière, les Turcs recrutèrent les Zwawa (qu’on appellera Zouave par la suite : l’origine du mot vient de Agawa), comme ils l’avaient fait avant eux les Hafsides, pour en faire une unité d’élite pour guerroyer en méditerranée et également pour mater les révoltes de leurs janissaires.
A cette période, la Kabylie était unie derrière leur chef ou plutôt leur représentant, voire leur protégé, Ahmed Oulkadhi (le royaume de Koukou). Originaire d’Aourir Nat-Ghovri (du côté d’Azazga), c’était lui qui parvint à mobiliser 20 000 Kabyles pour reprendre aux Génois le port de Djidjelli (Jijel) avec le concours du corsaire Turc Aroudj Barberousse.
Les premiers conflits avec les Turcs apparurent après la mort de Aroudj et l’arrivée aux commandes de son frère Kheïreddine. Ce dernier ordonna à ses janissaires d’envahir la Kabylie, pour qu’au final, non seulement il perdit une bataille, mais il eut été carrément chassé d’Alger pour aller s’installer à Djerba (Tunisie). Les Kabyles et à leur tête Ahmed Oulqadhi occupèrent sept années durant Alger, de 1520 à 1527, jusqu’à la reprise de celle-ci par le malheureux vaincu en usant des méthodes abjectes et perfides, ce qui caractériserait l’envahisseur turc jusqu’à la fin de son règne en 1830.
Plusieurs batailles sanglantes eurent lieu entre les enfants du Djurdjura et les Ottomans, celles-ci furent souvent suivies par des réconciliations qui ne duraient qu’un laps de temps. En 1768, le soulèvement de la Kabylie était général aboutissant au siège d’Alger durant deux années consécutives, après une bataille dont les Kabyles s’en sortirent victorieux.
Cependant, c’était un succès chèrement payé, car ils y perdirent 3 000 hommes. Sur le point de donner un coup de grâce à leur ennemi, un événement inattendu vint tout chambouler : le retour des captifs libérés d’Espagne considérés comme morts par leurs familles respectives. Ces derniers avaient été capturés durant les batailles navales entre Ottomans et Espagnols en méditerranée. A leur retour, après une trentaine d’années d’absence pour certains, ils découvrirent avec stupéfaction que leurs femmes s’étaient remariées et leurs biens étaient en partie partagés et passés entre les mains d’étrangers à leurs tribus. Cette situation mit toute la région au bord d’une guerre fratricide sans précédent. Par conséquent, tous les villages rappelèrent leurs hommes mobilisés pour assurer le siège en question.
Pour éviter une issue tragique à cette situation, Les Âarchs (tribus représentant chacune un ensemble de villages), d’un commun accord, abandonnèrent le droit islamique concernant les successions pour rétablir l’exhérédation des femmes, revenant ainsi au « qanoun » kabyle plus adapté à l’équilibre de leur organisation sociale. Cet événement prouve le fonctionnement laïque de leur société. Certes des personnalités religieuses avaient joué des rôles importants durant certains événements historiques en Kabylie. Celles-ci étaient écoutées, respectées, considérées comme des sages, jouant parfois le rôle de conciliateurs ou de médiateurs pour régler des conflits, mais elles n’avaient jamais eu un véritable pouvoir décisionnel.
La présence turque a duré 3 siècles en Afrique du Nord, dépassant largement celle de la domination arabe. « Pourtant, pas plus que tous leurs prédécesseurs au Maghreb, les Turcs ne se risquèrent jamais à monter jusque dans les villages de la montagne dans lesquels les Kabyles et leurs familles ont continué de vivre en état de vigilance permanente à la défense de leur bastion montagnard, au sein de leur vie villageoise si peu connue que, plus tard, elle devait considérablement exciter une grande curiosité ». (C. Lacoste-Dujardin).
Arrivée des Français : Malgré les relations conflictuelles avec les Turcs, lorsque les troupes françaises débarquèrent à Sidi-Fredj le 14 juin 1830, plus de 20 000 montagnards se mobilisèrent pour prêter main-forte à l’armée du Dey pour contrer celles-ci. L’armée Française s’en sortit victorieuse grâce à son armement plus efficace, notamment son artillerie navale. Déçus de cet échec, les combattants kabyles se replièrent dans leurs montagnes qu’ils défendirent 27 ans durant. Pour la petite histoire, rappelons que le corps des Zouaves, créé en 1830, n’a rien à voir avec les Zouaoua, à part qu’il portait leur nom. Lorsque l’armée française utilisait ce régiment pour conquérir de nouveaux territoires ainsi qu’en guerre de Crimée, les véritables Zouaves menaient la guerre aux nouveaux envahisseurs, réussissant à repousser quatorze offensives françaises. Ce n’était qu’en 1857, dix années après la reddition de l’émir Abdelkader, que les forces françaises parvinrent à conquérir la Kabylie.
Les habitants du Djurdjura ne s’avouèrent pas vaincus pour autant, car quatorze années plus tard, en 1871, une insurrection éclata dans toute la Kabylie. 150 000 combattants se lancèrent à l’assaut des fermes et villages installés dans les plaines par les nouveaux colons. Une révolte qui fut réprimée dans le sang, beaucoup de Kabyles furent emprisonnés et déportés en Nouvelle-Calédonie où ils se retrouvèrent en compagnie des révoltés de la Commune de Paris. Cet événement marqua le début de la véritable colonisation de la Kabylie qu’aucun des envahisseurs cités ci-dessus n’eut réussi à accomplir. En construisant des ponts et des routes, la colonisation française rendit la région Kabyle accessible.
Le premier mouvement politique réclamant l’indépendance de l’Algérie ainsi que l’abolition du code de l’indigénat naquit en France, le 2 mars 1926. Il s’agissait de L’Étoile Nord Africaine, une association fondée par des membres du Parti communiste français parmi lesquels figuraient Bachir Hadj Ali et Hamouche Akli. La majorité de ses militants étaient d’origine kabyle, car l’émigration algérienne était majoritairement kabyle à cette époque (80 % de l’émigration est kabyle). L’ENA fut l’ancêtre du FLN. Après son interdiction, elle se transforma en PPA (Parti du Peuple Algérien) créé le 11 mars 1937, qui donnera à son tour, en 1946, le MTLD (Mouvement Pour le Triomphe des Libertés Démocratiques). Une scission au sein de ce dernier entre centralistes et messalistes fit naître le MNA et le FLN. Rappelons que la première crise au sein de ce parti, dite « crise berbériste » remontait à 1949 : des militants kabyles entrèrent en conflit avec la direction en dénonçant le fonctionnement antidémocratique du parti en question, il ne s’agissait pas seulement d’une mésentente concernant la définition identitaire de la société Algérienne. Finalement, ce dernier point n’était que l’arbre qui cachait la forêt ……
Durant la révolution armée Algérienne, comme à l’accoutumée, la Kabylie joua un rôle phare. C’était à Ighil Imoula, un village situé à une trentaine de kilomètres de Tizi-Ouzou, que fut dactylographiée et imprimée la Proclamation du 1 er novembre 1954. Celle-ci était juste une déclaration de guerre. La véritable structuration de la révolution algérienne ne se ferait que deux années plus tard, le 20 août 1956, au congrès de la Soummam qui s’était tenu à Ifri, en Kabylie. Des résolutions furent prises pour une meilleure organisation de la lutte du Peuple algérien pour son indépendance. Une charte fut votée à l’unanimité stipulant : la primauté du politique sur le militaire, la primauté de l’intérieur sur l’extérieur et la collégialité en toutes les instances du Front et ses actions. Au cours de la même année, Ferhat Abbas rallia le FLN après avoir dissous officiellement son parti politique l’UDMA incarnant le courant assimilationniste, en même temps que les Oulamas qui étaient dans la même ligne politique.
La Kabylie fut la région qui avait donné onze colonels pour l’ALN, représentant la moitié de l’effectif de ses cadres. Le rapport du nombre de combattants à la population locale a été estimé 4,3 % à travers l’ensemble du territoire, en wilaya III il s’est élevé jusqu’à 24 %. Elle fut également l’objet de plusieurs opérations militaires massives et sanguinaires faisant d’elle la wilaya qui paya le prix le plus fort pour que l’Algérie recouvre son indépendance, comme en témoignent les cimetières des martyrs se trouvant généralement à l’entrée de chaque village kabyle. La lutte armée et politique aboutira aux accords d’Evian et au cessez-le-feu, mettant fin à 130 ans de colonialisme Français. En 1962, on était censé assister à la naissance d’un état républicain et démocratique, respectant les différentes composantes culturelles et religieuses de l’Algérie : les Français d’Algérie, les Arabes, Les Juifs, Les Chaouïs, les Mozabites, Les Kabyles, les Touaregs, etc. Le GPRA devrait mettre en place une phase de transition et un système politique le plus adapté aux besoins de toutes les régions et communautés constituant le pays naissant.
L’Indépendance : L’OAS et l’armée des frontières tuèrent dans l’oeuf l’espoir d’une liberté retrouvée après tant de sacrifices. La première, en faisant voler en éclats indirectement les accords d’Evian, après avoir créé une situation où les pieds-noirs furent contraints de délaisser leurs biens et prendre le chemin de l’exil. La deuxième, en confisquant tout simplement l’indépendance et en instaurant un néo-colonialisme. Les nouveaux envahisseurs venant des frontières n’avaient jamais fait la révolution. La première fois qu’ils avaient utilisé leurs armes, c’était pour tirer sur des combattants de l’ALN. Ah ! Si seulement on avait écouté les recommandations du Congrès de la Soummam, la primauté de l’intérieur sur l’extérieur nous aurait certainement évité de subir la terreur d’un clan manipulé par Nasser d’Égypte, le leader du panarabisme ; la primauté du civil sur le militaire nous aurait protégé de l’arrivée au pouvoir d’un certain Boumédiène et ses dérivés. « Rien n’est plus dangereux que lorsque l’ignorance et l’intolérance sont armées de pouvoir », disait Voltaire.
De 1963 à 1965, les partisans du FFS (Front des Forces Socialistes) dont faisait partie le commandant Bouragâa reprirent le maquis. Ainsi, Ait Ahmed devint le principal opposant à Ben-Bella, le Ben-Sallah de l’armée des frontières en quelque sorte. La guerre aux frontières marocaines dite « la guerre des sables », l’infox et la répression permirent aux nouveaux maîtres d’Alger de cantonner la vague protestataire à la seule région kabyle.
Quinze années plus tard, en 1980, suite à l’interdiction d’une conférence de Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle ancienne qui devrait se tenir à l’Université de Tizi-Ouzou, toute la Kabylie se souleva pour réclamer la reconnaissance de leur identité et de la langue berbère. Cet événement donna naissance au printemps berbère commémoré tous les ans à la date du 20 avril. Durant cette journée commémorative, des marches, des sit-in, des expositions, des conférences étaient organisés à travers toute la région. On ne revendiquait pas seulement la reconnaissance de l’identité berbère, mais aussi l’enseignement de l’arabe algérien, une langue différente de celle importée du Moyen-Orient, la libération de tous les détenus d’opinion et la mise en place d’une véritable République démocratique.
Lorsqu’après les événements de 1988, touchant cette fois-ci tout le territoire national, le système du parti unique laissa place au multipartisme, La Kabylie se rangea majoritairement derrière deux partis démocratiques tournés vers la modernité : le FFS et le RCD. Rejetant le FLN, l’instrument du système despotique et dont la mission était censée prendre fin en 1962, et le FIS qui n’était autre qu’un parti prônant la théocratie exposant le pays à une implosion et à une guerre certaine avec les pays voisins (l’Algérie aurait été la Syrie avant l’heure !). La confrontation entre le système et les intégristes engendra la décennie noire ayant causé des milliers de morts parmi la population n’épargnant ni femmes, ni enfants et ni aucune catégorie sociale. Un jour la justice passera pour déterminer la responsabilité de chacun des deux belligérants dans ces crimes abominables, ou, à défaut, il viendra le jour où les historiens se pencheront sur cette période pour faire la lumière sur tous ces événements malheureux.
En 2001, toute la Kabylie se souleva contre le pouvoir de Bouteflika intronisé par cooptation, pour dénoncer l’injustice ou la Hogra et le système mafieux. Elle sacrifia 128 de ses enfants, mais, hélas ! aucune autre région ne lui avait manifesté son soutien. Il a fallu 18 années supplémentaires pour que tout le peuple Algérien se soulève et scande : « Le peuple veut l’indépendance et veut un état civil », retournant ainsi au point de départ : le 1er novembre 1954 et le congrès de la Soummam, mais pacifiquement cette fois-ci, car il a fini par se rendre compte qu’il n’a jamais connu la véritable liberté.
Conclusion
La Kabylie est la terre de lutte et de résistance contre les oppresseurs depuis toujours. Elle ne pourrait être qu’une chance pour l’Algérie. Le pouvoir illégitime installé aux commandes depuis 1962 a tout fait pour la diaboliser, en la présentant tantôt comme séparatiste, tantôt comme l’ennemi de l’Islam et de l’arabité, or c’est bien ce pouvoir qui la pousse à demander son autonomie pour se prémunir de ses visées machiavéliques et malsaines.
La Kabylie veut préserver, en toute légitimité, son identité et son histoire. Elle est contre toute forme d’aliénation culturelle, mais ne s’oppose à aucune autre culture différente de la sienne. Au contraire, elle désire vivre dans une Algérie plurielle respectueuse de sa diversité. Des Français d’Algérie, des Arabes, des mozabites, des Juifs d’Algérie, des Kabyles… ont contribué durant la révolution déclenchée en 1954 pour libérer le pays du joug colonial.
Toutes ces communautés ont droit de cité dans une Algérie libre et respectueuse des règles démocratiques et des droits de l’Homme. L’Arabe, le Français, le Berbère, la culture hébraïque … font partie de la culture algérienne. Il est scandaleux de réduire son identité et sa culture aux seuls descendants des Banu Hilal et Banu Sulaym arrivés entre le Xe et le XIe siècle.
L’étude du génome nord-africain a révélé que la population Algérienne est à 4% arabe et 88% berbère. Il y a plus de Berbères au Liban où le génome nord-africain représente 11% que d’Arabes en Algérie. Nos concitoyens arabophones, ayant tendance à rejeter toutes les autres cultures différentes de la leur, devront prendre de la graine des pays de l’Amérique latine qui, à part le Brésil, parlent tous la langue espagnole, mais ne se disent pas pour autant espagnols. Selon leur nationalité, ils se disent Péruviens, Colombiens, Argentins, etc. Alors qu’en Algérie, on se présente souvent comme étant arabe avant de divulguer sa nationalité. Il n’y a qu’au Maghreb où les nations sont phagocytées par la langue parlée par une partie de leurs populations.
Le soulèvement du 22 février 2019 a poussé le pouvoir à effectuer un strip-tease intégral, nous dévoilant ainsi tous les détails de sa perfidie. Il se réduit à un tyran portant des rangers, un coupeur de routes, un champion de la désinformation, un falsificateur de l’histoire, un preneur d’otages, un semeur de haine et de division entre les communautés… Le peuple algérien sait maintenant qu’il lui reste un dernier obstacle à franchir avant de prétendre à son indépendance : le départ du système. Une fois celui-ci franchi, la mise en place d’un système politique garantissant le respect de sa diversité culturelle et religieuse en ferait sa richesse et sa grande force. Le jacobinisme hérité du colonialisme français n’est pas du tout adapté à la société algérienne.
Pourquoi ne pas autoriser chaque région à avoir une autonomie de gestion dans un état fédéral ? Ainsi, on permettra à toutes les entités constituant la société de s’épanouir dans le respect de leurs aspirations et du choix de leurs projets sociétaux. Ce qui mettra fin à tous ces discours haineux et ces débats stériles, sans fin.
Certains hommes politiques s’opposent au fédéralisme, sous prétexte que celui-ci pourrait se transformer en un facteur de division du pays, or, au regard des mouvements politiques nés ces dernières années, celui-ci semble être la solution la plus appropriée pour éviter justement la reproduction du scénario yougoslave en Algérie et sauver la cohésion nationale…