Avec le bouleversement mondial, créé par la folie protectionniste d’un homme, j’ai pensé qu’il était utile de replacer l’évènement dans une longue histoire américaine. La remarque la plus importante est que Donald Trump n’a certainement pas fait naître subitement le protectionnisme qui serait l’inverse de l’histoire de la doctrine libérale américaine.
Mais avant d’en venir à ce rappel, commençons par examiner les raisons qui ont occulté la réalité de l’histoire américaine à ce sujet.
Une occultation par le rêve
Une grande confusion est incrustée dans l’esprit d’une majorité de la population mondiale sur cette question de la doctrine libérale américaine. L’histoire de ce pays puissant est pourtant profondément ancrée dans le protectionnisme du commerce extérieur.
D’abord parce que dans le mot libre-échange, il y a liberté. On n’imagine pas spontanément qu’il en soit autrement. D’autant que la majorité de notre génération et les suivantes sont nées bien après la fin de la Seconde Guerre mondiale, moment du ralliement de ce pays-continent à l’idée du libre-échange et qu’il en est ainsi depuis quatre-vingt ans.
On a cru que la liberté dans les droits fondamentaux garantis par une solide constitution, des lois de sauvegarde et un système judiciaire indépendant, était automatiquement liée à l’existence d’un libéralisme dans les échanges commerciaux mondiaux.
Les Etats-Unis nous avaient prouvé, malgré certaines contradictions avec cette ligne libérale, que c’était malgré tout, le pays de la grande statue qui avait accueilli tant de millions d’immigrés venus rechercher prospérité et liberté.
Il est certain que ce pays avait eu sur le monde un soft-power considérable, un exemple de démocratie et de puissance jalousée à travers le monde. Nous avions été nourris au biberon de la création cinématographique, littéraire et artistique.
Nous étions certains de la puissance bénéfique pour le monde de tant d’universités et de centres de recherches prestigieux qui ont été récompensés par une écrasante liste de Prix Nobel. Nous avions également été admiratifs pour le niveau sportif incroyablement élevé.
Et surtout, ma génération ne l’oubliera jamais, nous avons assisté aux pas d’un humain sur la Lune. Rares sont ceux qui ont vécu un tel moment historique, l’égal de la découverte d’un autre monde par Christophe Colomb.
Aujourd’hui, ce grand pays nous montre une face que nous n’aurions jamais pu croire de lui. Avec la signature de quelques décrets il vient de bouleverser le monde et détruire toute l’image extraordinaire construite par son pays depuis un demi-siècle.
Pourtant il est loin d’être le créateur du protectionnisme américain. Il l’a juste ressuscité d’une manière si violente qu’il nous a réveillés de notre oubli de la réalité de cette doctrine présente depuis le début de l’histoire américaine.
Si le monde l’a oublié c’est qu’il est vrai aussi que ce pays avait fait amende honorable en se défaisant depuis quatre-vingt ans du protectionnisme, après le désastre de la seconde guerre qui l’avait définitivement convaincu. Ce qui n’exclut pas le rêve qu’il a suscité auparavant. Essayons de retracer brièvement la longue histoire de ce pays avec le protectionnisme.
Le protectionnisme, un cri dans le berceau
Dès les lendemains de son indépendance, en 1789, est institué le Tariff Act. Une taxe de 5 % devait financer le nouveau gouvernement fédéral. Après une continuelle montée des taxes c’est au tour du Tariff Act de 1816 qui va constituer une autre étape importante dans la montée du protectionnisme américain. L’arme protectionniste est alors conçue comme une protection de l’industrie américaine par la crainte d’un déferlement de produits à bas coûts de l’ancienne puissance coloniale.
Une initiative qui se conciliait avec le projet d’un grand programme d’investissement dans les infrastructures ainsi que la naissance d’un support financier que sera, entre autres initiatives, la création de la Banque nationale. Nous retrouverons cette idée plus tard avec la politique du New Deal du président Delano Roosevelt. Le protectionnisme s’était en même temps affirmé comme un attribut de l’identité nationale.
Le projet protectionniste se renforce lors de la conversion de l’Angleterre au libre-échange en 1846 avec l’abrogation des « corn laws » (lois protectrices du marché des céréales), inversant ainsi son régime commercial. Les Etats-Unis ont en retour renforcé davantage leur protectionnisme et nous voyons là la similitude avec la réaction de Donald Trump.
Comme si cela n’était pas suffisant, la doctrine protectionniste allait encore s’amplifier, cette fois-ci avec la guerre civile américaine qui débute en 1861. Dès le début des années trente du19 ème siècle, les menaces de sécession de la Caroline du Sud présageaient l’affrontement entre un Nord protectionniste par la présence forte de ses industries et un Sud favorable au libre-échange pour sa production agricole et sa politique d’esclavage.
Tout semblait se calmer lorsque le Nord avait accepté une baisse des taux des taxes douanières mais il avait tellement besoin de financer ses manufactures et le renforcement de son armée que les concessions sont abandonnées. Si la guerre civile avait bien d’autres raisons d’éclater, la guerre doctrinale sur la politique commerciale en avait beaucoup contribué.
Le Wilson-Gorman Tariff Act instaure une pause en 1894 en abaissant les barrières douanières dans un furtif contexte de remise en cause du protectionnisme. Mais voilà qu’ils reviennent avec une augmentation de moitié par le Dingley Act en 1897 sur une période de douze ans.
Toute l’histoire américaine du dix-neuvième siècle puis de la moitié du vingtième est ainsi profondément marquée par la politique protectionniste dans son commerce mondial.
Donald Trump est donc loin d’être à l’origine du protectionnisme américain qui est enraciné dans son histoire jusqu’à la seconde guerre mondiale. Mais il l’a fait resurgir avec force et brutalité dans un moment inattendu qui tranche avec une longue période de conversion du pays au libre-échange.
Il est radicalement en contre sens de l’évolution vers la mondialisation. Les mesures coercitives ne peuvent fonctionner que dans une économie fermée, ce qui n’est plus le cas. Par incompétence ou par manque de dispositions cognitives il a oublié que les plus puissantes entreprises américaines le sont parce qu’elles ont une dimension mondiale. Et que leur activité se mesure dans le volume de vente et aussi par la très grande implantation dans les pays à bas couts.
L’industrie américaine est interconnectée au monde et dépend de celui-ci autant que les autres ont besoin de l’approvisionnement et du vaste marché américain. Donald Trump va avoir un réveil douloureux avec les représailles de la Chine, où sont implantés des centres de fabrication de beaucoup de produits américains, comme avec l’Europe au marché supérieur en population que son pays.
Mais l’inenvisageable pour lui est la fronde de ses propres soutiens qui commence à se faire entendre. C’est souvent là que les grands tyrans perdent leur suffisance car ils pensent marcher au-dessus de l’eau avec des foules immenses de leur secte qui les soulèvent.
Boumediene Sid Lakhdar