Depuis le début de l’explosion de la colère dans les rues de plusieurs grandes villes de France, l’état d’urgence est chuchoté par certaines déclarations mais pas encore décidé. Qu’est-ce que l’état d’urgence et ses conséquences ?
Il n’est pas utile dans cet article de présenter une étude de droit constitutionnel appris dans mes jeunes années.
Il consiste à rappeler très brièvement, mais avec précision, la notion d’état d’exception. C’est un passage indispensable avant d’aller plus loin.
Comme l’expression le laisse comprendre, il s’agit d’une mesure exceptionnelle et dérogatoire aux règles de droit, constitutionnel, législatif ou réglementaire et judiciaire.
La mesure se justifie lorsqu’il y a une menace de troubles graves qui portent atteinte au fonctionnement des institutions et qui constituent un danger pour les biens et les personnes.
Les évènements de ces derniers jours font penser qu’une mesure exceptionnelle va être inévitablement être décrétée si les troubles continuent avec la même violence que les deux jours précédents.
Mais pourquoi les rumeurs utilisent l’expression « état d’urgence », est-ce différent d’une mesure exceptionnelle ?
Nous avons défini ce qu’est une mesure exceptionnelle mais en réalité elle est un terme générique qui englobe trois états juridiques différents.
Et ce qui est simple à comprendre est qu’il y a une différence dans les raisons d’application et la gradation de la force de chacune des trois mesures. Nous pouvons donc conclure que l’état d’urgence est le premier niveau dans les mesures d’exception.
L’état d’urgence
L’état d’urgence est une mesure d’exception prévue par la loi du 3 avril 1955 et proclamée seulement cinq fois depuis cette date. Particulièrement trois fois pendant la guerre d’Algérie (dont sa proclamation suite au putsch des généraux en 1961), lors de la révolte des Kanaks en en Nouvelle Calédonie en1986 et des émeutes de 2005.
Cette mesure permet de prendre des décisions qui limitent les libertés publiques comme l’assignation à résidence, les perquisitions administratives (sans intervention de l’autorité judiciaire) et les interdictions de manifester.
L’état de siège peut être décidé en Conseil des ministres en cas d’atteintes graves à l’ordre public. C’est possible également en cas de calamité publique comme une catastrophe sanitaire, nous l’avons connu pendant la crise du Covid.
L’état d’urgence est inexistant dans la constitution. Pourquoi ? Tout simplement parce que les conditions et les moyens mis en place sont déjà prévus par les lois ordinaires, notamment par la loi de 1955 que nous venons de citer et qui en est véritablement la base juridique
Il s’agit pour le Président de la république et le gouvernement de mettre en œuvre des moyens « exceptionnels » qui permettent aussi bien de rétablir l’ordre public que de donner un signal fort par la solennité de la décision.
L’état de siège
Il est prévu par l’article 36 de la constitution car nous passons à un degré plus fort dans les mesures exceptionnelles. Les troubles intérieurs imminents ou en cours sont si graves qu’ils mettent en péril l’ordre public. Nous n’en sommes pas là avec les émeutes actuelles, ou pas encore, nous l’espérons.
La force la plus notoire qui le différencie avec l’état d’urgence est la possibilité que les pouvoirs de police soient confiés aux autorités militaires. Plus encore, ces autorités militaires peuvent juger les délits et crimes qui mettent en danger la sûreté de l’État.
Le garde-fou juridique de cette décision très exceptionnelle ne peut durer plus de douze jours sans le vote d’une loi pour la prolonger.
L’article 16 de la constitution
C’est le niveau le plus haut d’un état exceptionnel. Des trois états que nous venons d’examiner, c’est le seul qui s’arroge dans le langage courant le qualificatif « d’état exceptionnel » alors qu’il y a trois états exceptionnels.
La gravité du danger pour le pays légitime que tous les pouvoirs soient entre les mains du Président de la république. Nous voyons bien là le niveau le plus haut d’une situation légale d’exception. . Et là, comme disent mes étudiants « ça ne rigole plus ».
Alors que la durée de l’état de siège était limitée dans le temps avant l’intervention de la loi, pour l’article 16, le déclanchement est cadré par des conditions encore plus limitatives. Je reproduis la rédaction littérale des deux conditions :
« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu …/… ».
La gravité de la prise de décision oblige le Président de la république à consulter préalablement le Premier ministre, les Présidents des deux assemblées parlementaires, le Conseil constitutionnel et adresser un message à la nation. Il est écrit « consulter », ce qui veut dire qu’il peut passer outre les réserves des uns et des autres.
Bien entendu, l’article 16 doit être temporaire et correspondre à une situation bien déterminée. Cette disposition si exceptionnelle n’a été proclamée qu’une fois, par le général de Gaulle, lors du putsch des généraux à Alger, en 1961. Il n’y a pas de contradiction avec ce qui a été dit précédemment, soit également auparavant un état d’urgence.
Par ce résumé, le lecteur non averti du droit constitutionnel a, je l’espère, compris qu’il s’agissait d’une gradation de la gravité et de l’urgence et que les garde-fous juridiques sont associés à cette gradation.
À titre personnel, je ne crois pas que l’état d’urgence soit prononcé mais je ne suis pas madame Irma et je n’ai pas d’informations à ce sujet. L’article étant écrit avant la soirée, une soirée que personne ne peut en préjuger d’une aggravation ou d’une accalmie.
Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant