Pendant que les médias regardent ailleurs, la rue française est vent debout face aux massacres de l’armée israélienne à Gaza. Des milliers de personnes, en majorité des jeunes, se réunissent depuis lundi en France pour scander : « Nous sommes tous des enfants de Gaza. »
L’intensification des bombardements de l’armée israélienne sur Rafah et les populations civiles a provoqué un regain de mobilisation propalestinienne dans le pays. Les images insoutenables du supplice du peuple palestinien à Gaza et en Cisjordanie provoquent des hauts de coeur. Un sentiment de révolte face au sort que fait subir l’armée israélienne aux Gazaouis. En toute impunité. Le gouvernement de Netanyahu et de sa coalition extrémiste restent sourds aux appels de l’ONU et de son Conseil de sécurité, de la CPI sont restés inaudibles. Les milliers de corps d’enfants et de femmes n’émeuvent pas le premier ministre israélien et son camp.
Pendant ce temps, pourtant, quelque chose est en train de changer en France et dans le monde. Une lame de fond anti-israélienne monte inexorablement contre la guerre menée aux Palestiniens.
Ils étaient 10.000 à Paris lundi soir, et encore 4.500 mardi et mercredi, alors que des milliers d’autres personnes étaient réunies dans plusieurs autres grandes villes françaises.
Jeudi deux cortèges de plusieurs centaines de personnes étaient encore recensés dans la capitale, et 2.500 personnes ont protesté devant le siège de TF1 parce que sa filiale LCI diffusait une interview du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.
Un niveau de participation rarement atteint, s’il l’a jamais été, depuis le début de la guerre à Gaza.
Le récent bombardement d’un camp de déplacés à Rafah fut « la goutte d’eau » faisant déborder le vase pour nombre de manifestants, témoignait mercredi Haïfa à l’AFP, grands yeux noirs maquillés, la pluie ruisselant sur son visage. « Il faut arrêter le massacre. »
L’offensive israélienne contre cette ville du sud de la bande de Gaza, dans laquelle plus d’un million de Palestiniens sont réfugiés, était redoutée par la communauté internationale, qui avait appelé Israël à y renoncer.
Un bombardement dans la nuit de dimanche à lundi contre un camp de déplacés y a tué des dizaines de personnes, des habitants décrivant à des correspondants de l’AFP sur place une nuit d’enfer et des « gens qui n’ont été ni blessés ni tués: ils ont brûlé ».
Plusieurs manifestants en France ont raconté à l’AFP leur désespoir lorsqu’ils ont visionné sur les réseaux sociaux les images de tentes de ce camp en flamme, particulièrement la vidéo d’un homme tenant à bout de bras « un enfant décapité ».
Indignation
« Peut-être qu’il y a un niveau d’atrocité à partir duquel ça devient tellement insupportable et intolérable que des gens qui n’ont pas l’habitude de descendre dans la rue le font », estimait mardi Azza, 42 ans.
« Des images atroces sur les réseaux sociaux, ça fait huit mois qu’on en voit, mais là c’est probablement le truc en trop », ajoutait cette sympathisante de la cause palestinienne.
« Il y a de l’indignation. Du dégoût », estime de son côté Pierre Abecassis, un membre de l’Union juive française pour la paix (UJFP), co-organisatrice de la manifestations parisienne mardi.
A Dijon, où il habite, ce médecin retraité explique avoir vu « cent jeunes, qu’on ne connaissait pas » participer lundi à 18H00 à un rassemblement de 150 personnes qui n’avait été convoqué que trois heures plus tôt. « Les jeunes sont beaucoup sur les réseaux sociaux. Mais là ils sont sortis. Il fallait qu’ils s’expriment », dit-il.
Même son de cloche à l’Association France Palestine solidarité (AFPS), également co-organisatrice, dont la présidente Anne Tuaillon raconte sa « surprise heureuse » face à « la détermination et (au) dynamisme » des manifestants, mais surtout leur nombre.
L’assaut sanglant du Hamas le 7 octobre contre Israël et la guerre dévastatrice de représailles d’Israël à Gaza ont exacerbé le débat autour du conflit du Proche-Orient en France et attisé les rancœurs entre deux camps irréconciliables.
Cette attaque sans précédent du Hamas a entraîné la mort de plus de 1 189 personnes, essentiellement des civils, selon un bilan de l’AFP établi à partir de données officielles israéliennes. En représailles, Israël a promis de détruire le mouvement palestinien, classé organisation terroriste par Israël, les Etats-Unis et l’UE notamment.
Sur les 252 personnes emmenées comme otages pendant l’attaque, 121 sont toujours retenues à Gaza, dont 37 sont mortes selon l’armée. Depuis l’armée israélienne s’avère incapable d’arriver à les libérer encore moins à empêcher le Hamas de lancer des attaques sur le territoire israélien.
Discrédit
Sa vaste opération militaire dans la bande de Gaza a fait depuis plus de 36.000 morts, majoritairement civils, selon le Hamas. Plus de 15000 enfants sont morts sous les bombardements israéliens, selon plusieurs sources.
En France, pays européen comptant les plus grandes communautés juive et musulmane, où les autorités redoutent une importation du conflit, les mesures se sont multipliées : manifestations pro-palestiniennes prohibées, conférences annulées et convocation policière de responsables politiques de gauche radicale pour « apologie du terrorisme ».
« Les interdictions, la répression et le discrédit porté sur nous a dû freiner des gens. Jusqu’au moment où ça les freine plus et où ils sortent parce que c’est insupportable », estime Anne Tuaillon.
Les rassemblements, fréquentés par les élus de gauche radicale, sont aussi l’occasion d’une critique acerbe du président français Emmanuel Macron, accusé d’être « complice » du régime israélien. Son gouvernement ne souhaite pas reconnaître l’Etat de Palestine, contrairement à d’autres pays européens voulant mettre la pression sur Israël pour que son armée stoppe son offensive à Gaza.
Cela dit, la mobilisation est aussi puissante dans plusieurs villes européennes et américaines. Même à Tel Aviv, capitale d’Israël, on assiste à de plus en plus de manifestation appelant à cesser la guerre et à négocier avec les Palestiniens.
Sofiane Ayache/AFP